Après le départ de Mehdi Jomâa, c'est Habib Essid qui vient d'élire domicile à La Kasbah. Le nouveau chef de gouvernement a des urgences à régler, des «promesses» à tenir et surtout des résultats à concrétiser. Ce ne sont pas les défis, ni encore moins, les dossiers chauds qui manquent. Des dossiers auxquels le nouveau gouvernement est astreint d'apporter, au moins, des éléments de réponse rapide. A commencer par le terrorisme, la transition économique et l'engagement des grandes réformes Le gouvernement Essid a «réussi» son premier examen devant l'Assemblée des représentants du peuple avec mention «bien». Il a obtenu 166 voix. Par contre, son programme a obtenu une note moins bonne. Car, plusieurs experts ainsi que des députés, parmi ceux qui ont accordé leur confiance au 1er gouvernement de la IIe République, qualifient le programme de Habib Essid de généraliste, sans diagnostic, sans objectif, sans mécanismes concrets et surtout sans objectifs chiffrés. Aussi, pour Moez Joudi, président de l'Association tunisienne de la gouvernance, l'urgence du gouvernement est la relance de l'économie. A son sens, la situation économique ne cesse de s'aggraver. Les chiffres en témoignent largement et les faits l'attestent, notamment au niveau des équilibres macroéconomiques du pays. Mais aussi au niveau de la baisse conséquente du pouvoir d'achat du citoyen et de la chute vertigineuse de l'investissement. Equipe de choc Face à cette situation, il est urgent d'agir et d'entamer un plan de sauvetage et de relance. Des réformes profondes et des mesures douloureuses sont nécessaires certes. Mais, elles apporteraient leurs fruits. Car, «elles seraient de nature à relancer les investissements qui seront appuyés par une politique de grands projets structurants, répartis sur toute la République», a indiqué le président de l'ATG. «Partant des enjeux et des défis clairs, la Tunisie a besoin d'un gouvernement fort, bien outillé, avec une vision, un programme et un plan d'action !», selon l'expert Moez Joudi, qui ne manque pas d'ajouter que l'équipe gouvernementale doit être une équipe de «guerre», de «choc» capable de mener les réformes fiscales, bancaires, financières et sociales dont le pays a besoin d'urgence. Or, le programme du chef du gouvernement annoncé devant l'APR ne reflète pas, semble-t-il, le sens des défis qui attendent le gouvernement. Moez Joudi affirme que le gouvernement est appelé à rassurer certes. Mais aussi et surtout à assurer. Un gouvernement opérationnel dès les premiers jours et capable d'actionner un train de mesures urgentes dont, en premier lieu, arrêter l'hémorragie des déficits publics, restaurer la confiance, lutter activement et sévèrement contre l'économie parallèle et la corruption. Mais encore, des mesures à même de booster les exportations, assainir le climat des affaires, restructurer les entreprises publiques, sauver les PME tunisiennes... ». Sortie de crise, pas dans les 100 jours Experts économiques, société civile et l'ensemble des forces politiques et sociales du pays sont unanimes quant aux défis et priorités du nouveau gouvernement. Il s'agirait, principalement, de rétablir la sécurité, à travers notamment une stratégie claire et des plans d'action de lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Mais, il s'agit, par ailleurs, de rétablir la confiance du citoyen, d'engager des réformes urgentes sur les plans économique, administratif, financier, social et éducatif. A ce titre, la réforme de la fiscalité, l'impulsion de l'investissement, l'amélioration des conditions de vie des citoyens et de leur pouvoir d'achat, la lutte contre le commerce parallèle et la contrebande, le développement régional comptent parmi les priorités du prochain gouvernement. Des priorités rappelées dans les documents présentés par les principaux partenaires économiques et sociaux au chef du gouvernement, en l'occurrence l'Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt) et l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica). Les experts économiques estiment, d'un autre côté, que l'économie tunisienne ne sortira pas de l'auberge de sitôt. A leur sens, la sortie de crise ne se réalisera pas pendant les 100 premiers jours du gouvernement. Par contre, les décisions qu'il mettra en place ne manqueront pas d'avoir un impact sur les résultats. Les priorités mises en avant par le chef du gouvernement concordent plus ou moins avec la catégorisation des forces vives du pays. En effet, le nouveau gouvernement met en avant la sécurité, la lutte contre le terrorisme et le renforcement des services de la douane. Il a, par ailleurs, placé la baisse des prix en première ligne avec notamment des mesures urgentes. Habib Essid a aussi promis de surmonter les obstacles auxquels font face les projets de développement, à travers la mise en place d'un plan sur cinq ans. Contrebande, commerce parallèle : décisions douloureuses Au-delà de toutes ces priorités, il ne faut pas omettre que l'endettement extérieur constitue, aujourd'hui, un lourd fardeau pour le prochain gouvernement. En effet, la Banque centrale de Tunisie (BCT) prévoit un taux de croissance ne dépassant pas 2,4% à la fin de l'année en cours. Par ailleurs, le recours excessif des derniers gouvernements à l'endettement a provoqué une hausse de l'encours de la dette évalué à 37,174 milliards de dinars, hissant ainsi le taux de l'endettement à 44,1% en 2014 contre 41% en 2013, selon les prévisions de la BCT. La BCT avait déjà mis en garde contre les grands risques qui menacent les équilibres financiers du pays, surtout sur le plan extérieur, au vu de l'approfondissement du déficit commercial compte tenu de la régression des exportations, celui-ci pouvant s'aggraver au cours des prochains mois en raison d'une absence de relance dans la zone euro. Sans oublier la lutte contre le commerce parallèle et la contrebande et la réduction du taux de chômage. Une réduction qui exigerait, selon les experts économiques, un taux de croissance de l'ordre de 7 à 8% qu'il faudrait trouver ! Restaurer l'autorité Du côté de l'Ugtt, Sami Tahri, secrétaire général adjoint, a indiqué que pour la centrale ouvrière, la priorité demeure le « respect des engagements pris par le gouvernement et notamment d'engager les négociations sociales et surtout de geler les prix et d'entamer la réalisation de projets structurants.... Sans compter la prise en considération de la situation des chômeurs, à travers la création d'une prime de chômage. Du côté de l'Utica, les dirigeants estiment que la priorité des priorités demeure la sécurité des citoyens et des entreprises. Dans ce contexte, la centrale patronale propose au nouveau gouvernement, entre autres, d'accélérer l'adoption de la loi sur le terrorisme et de restaurer l'autorité dans les services publics et dans l'administration en sanctionnant les négligences et la nonchalance à tous les niveaux. Mais encore et surtout d'apaiser le climat social et de créer rapidement de l'emploi dans le secteur privé. Même si certains estiment que le gouvernement Essid ne répond pas à ces exigences et à ces contraintes, car il s'agit d'un gouvernement un peu trop politique à leur goût qui manque de cohérence, tous demeurent d'accord pour accorder à ce gouvernement une chance de travailler pour le bien du pays.