Une première édition qui gagnera à identifier ses points faibles pour être à la hauteur de ses promesses... Vendredi et samedi, la Bibliothèque nationale accueillait un événement fort médiatisé : le Festival de tous les savoirs. Derrière cette rencontre qui a drainé du beau monde, il y a l'association tunisienne Al-jamiaa al-maftouha (JAM), qui a su s'octroyer un partenaire de taille à travers l'Institut du monde arabe (IMA). Lors de la séance inaugurale, Jack Lang, ancien ministre français de la Culture et actuel président de l'IMA, était présent à la tribune. En tant que «membre du Conseil international de soutien» de l'association organisatrice, il a prononcé une allocution. Notre ministre de la Culture, Mme Latifa Lakhdhar, était également là, aux côtés de l'équipe dirigeante de la JAM - Kalthoum Saâfi Hamda, présidente, et Abdelmajid Charfi et Faouzia Charfi, coprésidents, mais aussi de l'hôte des lieux, M. Kameleddine Gaha, qui préside la BN. Les deux journées de cette rencontre avaient été divisées en «axes». Au nombre de 7, ils portaient les intitulés suivants : «De la culture», «Etat et démocratie», «De la nécessité de maîtriser une langue pour penser», «Religiosité et rapport au religieux», «Science et société», «La démocratie et la violence» et «Révolutions et liberté : Tahrir entre le rêve et la réalité». A vrai dire, c'est une gageure de rassembler largement autour de thèmes pareils, dans un espace vaste et qui se veut ouvert, sans s'exposer au risque de certaines «sorties de route». Sans compter que les choix des intervenants et la plus ou moins bonne préparation des communications sont déjà des facteurs qui déterminent le succès ou l'échec de pareilles rencontres. Il appartiendra aux organisateurs de faire le point sur cette première édition, dont on peut dire que les faiblesses et les lacunes sont à la mesure de ses ambitions. Quoi qu'il en soit, on nous permettra de faire quelques remarques critiques sur l'un des sept axes, quel que soit son degré de représentativité par rapport au reste de la rencontre... Donner le nom de «café philosophique» à un moment de la rencontre qui, sur le plan de la forme, ne se distingue en rien des autres, c'est un peu tromper le client sur la marchandise. Non seulement la forme est classique, avec une succession de conférences entrecoupées de quelques paroles introductives prononcées par un modérateur - en l'occurrence une modératrice - mais le contenu lui-même n'avait rien de philosophique. Le titre, lui, promettait de l'être, puisqu'il évoque la relation du langage et de la pensée. Or, qu'avons-nous eu au fond de notre tasse ? De la psychologie cognitive, dont le public a pu découvrir le jargon plutôt déroutant, et des considérations sur l'état de la traduction dans le monde, en général, et dans le monde arabe, en particulier. La seule partie réellement philosophique était la «mise en bouche» de la modératrice, Mme Malika Ouelbani, qui enseigne la philosophie : «Le langage, insiste-t-elle, n'est pas un «outil»... Au sens où il y aurait un contenu de pensée dans un premier temps et, dans un second temps, une action «d'habillage» par le langage...» Cette réflexion préliminaire, dont les développements auraient pu être très riches, n'a pas eu de suite claire et convaincante, en dehors de cette idée que le déficit en matière de connaissance des langues par les nouvelles générations d'élèves et d'étudiants induit un rétrécissement du champ de la pensée... Et que, par conséquent, il est impératif de reconsidérer la place accordée à la maîtrise des langues dans les programmes éducatifs, qu'il s'agisse de la langue nationale ou des langues étrangères. Quelques mots quand même de la communication de M. Gilles Gauthier sur la traduction. Cet ancien ambassadeur français, arabisant, traducteur de l'écrivain égyptien Ala Al'Aswany, met le doigt sur la faiblesse du mouvement de traduction dans le monde arabe, aussi bien pour offrir ses productions intellectuelles au public non-arabe que pour mettre à la disposition de son propre public les productions intellectuelles mondiales. Le conférencier explique cette faiblesse par le fait que les élites dans le monde arabe sont très souvent bilingues ou trilingues. Par conséquent, elles n'ont pas de problème d'accès aux œuvres diffusées en langues étrangères. Mais, ajoute-t-il, le fait de ne pas mener ce travail de traduction crée un fossé à l'intérieur même des sociétés arabes, entre les élites et le reste de la population... Tout un pan de la société, celui de l'intérieur du pays, suggère-t-il, n'est pas en mesure de puiser dans les ressources de la production intellectuelle mondiale pour penser le monde... C'est vrai !