Au sein de l'Assemblée des représentants du peuple, les conventions internationales qui feront couler l'argent tant attendu sont adoptées sans que personne n'accède à leur contenu ou aux conditions qu'elles énoncent. Et si on découvrait au moment de leur publication dans le Jort qu'elles sont anticonstitutionnelles ? L'Assemblée des représentants du peuple (ARP) a fini par adopter, jeudi 5 mars, les deux conventions de crédits qui ont fait couler beaucoup d'encre et de salive et suscité un tollé général de réprobation dans la mesure où les députés ont approuvé les deux emprunts sans avoir pris connaissance de leurs contenus, plus particulièrement les conditions selon lesquelles les crédits accordés à notre pays vont être remboursés. «Ni la commission des finances ni la plénière n'ont pu avoir accès aux détails concernant les emprunts contractés», écrivait justement notre confrère Karim Ben Saïd dans son article paru dans notre édition d'hier. En plus clair, plus de 150 de nos députés ont donné leur accord à un texte qu'ils n'ont pas lu. Et les questions de fuser. Est-il acceptable que l'ARP adopte des lois sans que les députés en découvrent le contenu aussi bien au niveau de la commission parlementaire spécialisée qu'à celui de la séances plénière où tout peut être remis en cause si les députés l'exigent ? Existe-t-il une issue juridique qui puisse faire tomber les deux lois en question quand elles seront publiées dans le Journal officiel de la République Tunisienne (Jort) après leur ratification par le président de la République ? S'agit-il d'un précédent dans l'action parlementaire dû à la précipitation et au manque d'expérience de nos députés ou existe-t-il d'autres cas similaires commis par la défunte Assemblée nationale constituante ? Le dernier mot revient exclusivement à Si El Béji Abdelmajid Abdelli, enseignant de droit public à l'université El Manar et spécialiste des conventions internationales, tempête: «Il est grave que l'ARP approuve une convention, qui plus est internationale, sans en connaître le contenu. Une fois adoptée, la convention en question devient supérieure à la loi tunisienne en vertu de l'article 20 de la Constitution du 27 janvier 2014. L'article 67 de la même Constitution précise que les conventions à caractère financier sont soumises à l'approbation de l'Assemblée et à la ratification par le président de la République. Elles ne deviennent exécutoires qu'après leur approbation et leur ratification. Quant à l'article 77 de la même Constitution, il indique : le président de la République ratifie les traités et autorise leur publication, ce qui revient à dire que leur contenu et les conditions qu'ils comportent vont être révélés au public. Je me demande comment vont réagir les députés qui ont voté ces conventions quand les Tunisiens découvriront qu'elles contiennent des exigences portant atteinte à la souveraineté nationale et menaçant l'indépendance de notre décision, comme ne cessent de le clamer les députés du Front populaire, alors que leurs collègues de Nida Tounès, d'Ennahdha, d'Afek Tounès et de l'Union patriotique libre minimisent les effets néfastes des conventions et accusent leurs collègues frontistes de surenchère politicienne». Reste à savoir si ces conventions peuvent être annulées bien qu'elles aient été approuvées par l'Assemblée ? «Oui, la Cour constitutionnelle, dont on attend la création, peut le faire en vertu de l'article 120 de la Constitution relatif à la mise sur pied de cette même Cour. Selon cet article, la Cour constitutionnelle est spécialisée dans le contrôle de la constitutionnalité des conventions internationales que lui soumet le président de la République avant qu'il ne procède à leur ratification et qu'il n'autorise leur publication dans le Jort. La seule personne ayant compétence de saisir la Cour constitutionnelle concernant la constitutionnalité des conventions internationales est le président de la République, contrairement aux autres lois où la Cour peut être saisie par le président de la République, le président de l'Assemblée des représentants du peuple et enfin par au moins trente députés. Donc, c'est à Béji Caïd Essebsi que revient exclusivement la décision de faire annuler les conventions en question, à condition que la Cour constitutionnelle trouve qu'elles sont contraires à la Constitution», indique le Pr Abdelli. «Non, ce n'est pas un précédent, explique Ahmed Safi, membre de l'ANC sortante et rapporteur de la commission des libertés et des droits. L'ARP sur l'exemple de l'ANC Déjà, à l'époque de la Constituante, deux conventions de prêts signées avec le Japon et la Turquie ont été adoptées en séance plénière sans que personne parmi les constituants ne connaisse leur contenu. Et même les constituants du Bloc démocratique ont voté pour sans demander à voir leur contenu. Les quelques voix qui se sont élevées pour dénoncer cette pratique n'ont eu aucun écho. Je me rappelle qu'il n'y avait ni rapport de la part de la commission spécialisée ni texte à lire ou à discuter. Les constituants se contentaient de voter un article unique comportant l'intitulé de la convention en question ni plus ni moins et même quand la convention est publiée dans le Jort, elle apparaissait sous cette formule. Malheureusement, cette pratique s'est poursuivie avec l'ARP. Beaucoup d'observateurs invoquent le manque d'expérience de la plupart des députés actuels ou la pression du temps puisqu'il fallait adopter les conventions citées avant le 8 mars. Seulement, je me demande comment des députés expérimentés comme Mongi Rahoui ou Iyed Dahmani, même s'ils se disputent la présidence de la commission des finances, laissent passer une pratique pareille. Et où est Mohamed Ennaceur, le président de l'ARP, dont l'expérience parlementaire n'est pas à prouver et dont l'intégrité morale et la compétence professionnelle font de lui la personnalité à laquelle tout le monde a recours ces derniers temps pour résoudre les problèmes les plus ardus».