Par Brahim OUESLATI Tout porte à croire que le mouvement Nida Tounès est « en danger d'implosion », compte tenu de la crise qu'il traverse, la plus grave depuis sa création. La guerre de positionnement et les luttes intestines amplifiées par un déballage médiatique, où les principaux dirigeants lavent le linge sale du parti en public, ont semé le doute chez les militants qui ne reconnaissent plus leur parti. Pire, des accusations d'une extrême gravité ont été lancées contre certains dirigeants soupçonnés de « collusion avec des parties étrangères pour fomenter un putsch au sein de Nida Tounès et le détruire de l'intérieur ». « Un mouvement correctif » composé de députés, de membres du bureau exécutif et des coordinateurs régionaux a vu le jour. Il pointe un problème de gouvernance et de dysfonctionnement au sein du parti proclamant dans une pétition lue, en direct, dimanche soir, sur Nesma TV, leur « profond désaccord sur la conduite et l'orientation actuelle du parti » et décide de retirer sa confiance à l'instance constitutive et de ne plus lui laisser les clés du parti. Il a appelé à une réunion exceptionnelle de la commission nationale pour samedi prochain 14 mars afin de débattre de la crise et « adopter une nouvelle feuille de route ». Entre-temps, l'instance constitutive dément « l'éviction » de Mohamed Ennaceur, Fadhel Ben Omrane et Hafedh Caïd Essebsi qui continuent à y siéger. Chronologie des crises Retour sur une chronologie de crises. En effet, la crise actuelle, la plus profonde, est la conséquence d'autres qui l'ont précédée et qui ont été circonscrites, grâce, notamment, à la perspicacité du président fondateur Béji Caïd Essebsi. Aussi faut-il rappeler que faute de congrès, le parti n'a pas d'institutions légitimes et la seule qui se prévaut de la légitimité est le comité fondateur composé de 12 membres dont le président démissionnaire devenu, plus tard, instance constitutive après l'intégration du vice-président Mohamed Ennaceur, du président du groupe parlementaire Fadhel Ben Omrane et du responsable des structures, Hafedh Caïd Essebsi. Toutes les autres structures, comme le bureau exécutif qui compte une centaine de membres ou la commission nationale composée de plus de 300 cadres du parti ont été créées pour la circonstance en vue «d'accueillir » le flux de compétences et de militants. Même les coordinateurs régionaux ont été choisis, parfois, selon le bon vouloir de certains membres influents. D'où les mouvements de contestation, les départs et les démissions qui s'ensuivirent. Les seules élections ont concerné les coordinations à l'étranger. Et elles ont provoqué la première crise au sein du parti, laquelle a failli dégénérer. Les résultats ont été contestés parce qu'ils ont abouti à l'émergence d'une équipe monocolore, sans équilibre entre ce qui est communément appelé « les quatre courants ». S'ensuit l'épineuse question de la tenue du congrès qui a divisé les militants. Le comité fondateur avait opté en majorité, par neuf voix contre deux, pour l'organisation du congrès avant les élections législatives et présidentielle et la commission présidée par le doyen Lazhar Karoui Chebbi a préconisé la formule d'un congrès consensuel et non électif pour se prémunir contre les divisions. Mais Béji Caïd Essebsi, par souci de préserver l'unité de son parti, a préféré le reporter après les échéances électorales, chose qui a été entérinée au cours d'une réunion de la commission nationale. Retrouver l'esprit du 1er mars La montée en puissance de Nida Tounès, qui a réussi en peu de temps à se poser comme la seule alternative possible au mouvement Ennahdha, à créer un équilibre dans le paysage politique et à conduire le mouvement qui a abouti à la formation du gouvernement Mehdi Jomâa, a aiguisé les appétits de nombreux prétendants. « L'ambition individuelle est une passion enfantine », disait Charles de Gaulle. Mais, ce genre d'ambition s'est développé à la faveur des ambitions du parti et la constitution des listes pour les législatives a envenimé la situation avec la présentation de listes dissidentes sous la bannière de « l'Union pour la Tunisie ». Des coordinateurs régionaux ont démissionné et, encore une fois, c'est Béji Caïd Essebsi qui intervient pour sauver les meubles. Les élections gagnées haut la main et Nida Tounès a été chargé de former le gouvernement. Entre le choix d'un chef de gouvernement issu du parti vainqueur ou d'une personnalité indépendante, la deuxième option a été privilégiée. Sur 22 noms proposés par Nida Tounès à Habib Essid pour composer son équipe, seuls 7 ont été retenus. La suite on la connaît, une rébellion parmi les parlementaires et les membres du bureau exécutif qui a fait tomber la première liste proposée par le chef de gouvernement désigné. Mais cette inextricable situation a jeté de l'ombre sur la situation interne du parti qui s'est aggravée après la démission de son président fondateur, suite à son élection à la présidence de la République. On a assisté alors à des échanges d'accusations, frôlant parfois l'indécence et la calomnie entre les dirigeants et on a failli aller aux tribunaux. Pour calmer les esprits et satisfaire certaines ambitions, parfois démesurées, une proposition d'un bureau politique composé de 30 membres dont les 14 de l'instance constitutive a été adoptée par l'ensemble des protagonistes. Les 16 autres devraient être élus à parts égales parmi le groupe parlementaire et le bureau exécutif. La réunion du 1er mars a permis de dépasser la crise qui couvait et le communiqué est clair sur ce point-là. « Les participants considèrent que cette réunion a mis fin aux divergences au sein du parti et ouvert une nouvelle page pour relever les défis dans un climat de responsabilité et de solidarité entre tous les membres du parti ». Il insiste sur « l'unité du mouvement et la complémentarité entre ses différentes structures ». Tout en précisant les prérogatives du bureau politique, le communiqué ajoute même que « sa formation se fera par consensus, mais faute de quoi, on ira aux élections ». C'est pourquoi, il a été décidé de reporter la constitution de cette nouvelle instance, le temps d'aboutir à un accord. Mais la réunion prévue dimanche dernier pour l'élection du bureau politique a été annulée à la dernière minute et aucune partie n'en a assumé la paternité. Et le parti d'entrer de plain pied dans la crise. Une crise de loin plus grave et les protagonistes campent sur leurs positions. Une initiative d'un groupe de membres du bureau exécutif a appelé au « respect de l'esprit du communiqué du 1er mars et à privilégier le dialogue et le consensus pour éviter toute velléité de dissidence ou de scission ». Tout en réaffirmant « leur attachement à l'unité du parti et à éviter le déballage médiatique », les signataires insistent sur « la nécessité de confirmer la composition actuelle de l'instance constitutive avec ses quatorze membres et au respect du partage des responsabilités en son sein ». Les regards sont maintenant rivés sur Béji Caïd Essebsi en sa qualité de président-fondateur et de président d'honneur qui observe avec beaucoup de tristesse et d'inquiétude cette lutte intestine entre les dirigeants de son ancien parti. Recevant hier le directeur exécutif, Boujemaâ Remili, il a insisté sur l'unité au sein du parti et appelé à ressouder ses rangs. Façon de dire qu'il est encore là et qu'il siffle la fin de partie. Les militants comptent aussi sur la capacité de l'instance constitutive qui devait se réunir pour proposer une sortie de crise et annoncer la tenue du congrès. Aussi les divergences devraient-elles être traitées très sérieusement, car elles ne sont pas iniquement des effets de personnes.