Les experts appellent le gouvernement à engager immédiatement les réformes les plus urgentes Le dinar tunisien s'est négocié, hier, à 1,958 dollar sur le marché des changes, après avoir atteint 2,010 dinars le 11 mars, selon la BCT. S'agit-il d'un effondrement historique ou bien d'un dérapage lié davantage à la conjoncture internationale et la parité dollar/euro ? Deux spécialistes en finances, l'universitaire Moez Laâbidi, et l'expert en gestion des risques financières, Mourad Hattab, livrent à l'agence TAP une analyse différente de la situation. Cependant, les deux spécialistes s'accordent sur l'étroitesse de la marge de manœuvre de la BCT ainsi que sur les effets pervers de cette hausse sur l'économie nationale: inflation importée, renchérissement des prix des matières premières, hausse de l'endettement et détérioration de la balance des paiements. La parité euro-dollar en cause Pour M. Laâbidi, le «glissement remarquable» du dinar par rapport au dollar, ces dernières semaines, puise ses racines davantage dans la forte appréciation du dollar par rapport à l'euro que dans la détérioration de l'économie tunisienne. «Il s'agit davantage d'un problème de parité euro-dollar que de parité dollar/dinar, comme le confirme la stabilité du dinar par rapport à l'euro à 2,07 dinars, le 10 mars à l'achat et à 2,1 D, le 13 courant». Situation d'effondrement: le dinar a perdu 11% de sa valeur Pour l'expert Mourad Hattab, la situation se présente différemment. Le dérapage du dinar a commencé depuis septembre 2013, avec le dépassement du seuil psychologique à l'époque de 1,6 dinar pour un dollar. A ce moment, les analystes avaient évoqué un événement historique et, probablement, irréversible pour une économie nationale largement tournée vers l'extérieur. «La situation actuelle de la monnaie nationale est celle d'un effondrement, vu qu'elle a perdu dans un laps de temps court pratiquement 11% de sa valeur en moyenne par rapport aux monnaies internationales de référence (Dollar, Yen, Euro, livre sterling). S'agissant des répercussions de cette situation sur l'économie tunisienne, les deux spécialistes évoquent une détérioration aux niveaux de l'inflation, de l'endettement et de la balance des paiements. Laâbidi souligne un effet positif de la hausse du dollar, à savoir l'amélioration des revenus des entreprises exportatrices dont les transactions sont en dollar. L'universitaire demeure prudent, préférant n'évoquer les conséquences que si la situation actuelle du dinar perdure au-delà d'un trimestre. Il convient, néanmoins, que cette hausse aura des impacts sur l'augmentation de la dette extérieure en dollar, ce qui risque de creuser davantage le déficit budgétaire. En outre, «avec la dépréciation du dinar face au dollar, nous ne pouvons pas nous attendre à une amélioration des recettes touristiques car ces dernières sont très sensibles à la parité euro-dinar, restée inchangée, d'autant que les Européens constituent les principaux clients du tourisme tunisien», précise-t-il. En tant que gestionnaire de risques financiers, M. Hattab affirme que l'effondrement aura des répercussions très néfastes en ce qui concerne l'aggravation du service de la dette extérieure libellée à raison de 45% en dollar, contre 30% en euro, et 10% en yen. Il appréhende «une détérioration beaucoup plus importante des termes des changes, qui se répercutera sur la balance commerciale, la balance des paiements et le compte du capital qui seront largement déficitaires vu que l'effet de l'effondrement sera cumulatif», rappelant que la Tunisie a adopté un régime de changes flottants où la BCT peut intervenir lors de déséquilibres importants sur les marchés de changes. La balle dans le camp du gouvernement et non pas de la BCT Pour les experts, la marge de manœuvre de la BCT est minime compte tenu de la nature du choc négatif sur le dinar qui résulte de facteurs exogènes mais, aussi, du déficit colossal de la balance courante. Pour sa part, Laâbidi estime que la balle est beaucoup plus dans le camp du gouvernement, lequel doit faire preuve de plus d'audace pour limiter l'importation de certains produits superflus et engager les réformes les plus urgentes (accélérer l'adoption du code d'investissement). De son côté, le citoyen doit déserter le terrain des revendications excessives et destabilisantes pour les fondamentaux de l'économie. «Malheureusement, certaines formations politiques excellent dans la diabolisation des financements extérieurs mais n'ont pas le courage de dénoncer le blocage de l'appareil productif dans les fleurons de l'économie».