Par Khaled TEBOURBI Impressionné encore par la prestation de Moncef Gennoud, vendredi 23 juillet à «Carthage». Impressionné et songeur: pourquoi nos musiciens n'atteignent-t-ils pas à cette qualité ? Ils en ont pourtant les moyens et le talent. Les jeunes de l'Institut supérieur de musique, surtout, qui donnent le sentiment d'être des artistes ambitieux et résolus. Une réponse possible : Gennoud, voilà plus de trente ans, ne s'occupe (conf son cv) qu'à son jazz, alors que, visiblement, nos musiciens font «la navette» entre deux musiques dont ils n'ont pas fait forcement le tour : la tunisienne, et celle qui se répand presque partout dans le monde, la musique occidentale dite «de pointe». On dira, certes, que l'environnement n'est pas le même. Gennoud vit en Suisse depuis sa tendre enfance, ce qui ne pose pas de problème de culture ou d'identité. En revanche, nos compositeurs et nos solistes se sentent plutôt à la «croisée des choix», entre localité et mondialité, tradition et innovation, patrimoine et création ; l'hésitation peut leur faire frein. Mais on parle de savoir et de savoir-faire, ici. Identité ou mondialité, tradition ou innovation, quelle importance au fond ? Moncef Gennoud a tout appris, tout écouté, tout découvert du jazz, avant de le pratiquer au plus haut niveau, et dans l'excellence. Ce dont on est moins sûr, c'est que nos artistes (arrangeurs et distributeurs en premier) entendent suivre la même voie. Ni hasard, ni miracle de l'art Beaucoup de contre exemples, à vrai dire, dès cette première quinzaine de festivals, avec quelques concerts où mixages et «métissages» étaient la règle, mais pour quel résultat : ces interprétations orchestrales confuses ? ces sonorités surchagées ? ces chants, en conséquence, à peine audibles? Désolé d'avoir à le dire, mais pour réussir à mixer ou à métisser des musiques, il faut, au préalable, que celles-ci soient également connues, également maîtrisées. Honnêtement, est-ce ce qui ressort des spectacles tunisiens proposés jusqu'ici sur la scène du théâtre romain? En fait, quand on a écouté Moncef Gennoud, ce vendredi 23, on comprend bien que depuis des décennies il ne se soucie que de présenter la musique qu'il connaît le mieux. Son envol à «Carthage» ne devait rien au hasard pas plus qu'au «miracle de l'art». Le jazz lui restitue ce qu'il lui doit : voilà tout. La leçon qui s'en suit pour la pléthore «d'innovateurs» qui investissent notre musique est, dès lors, simple : qu'ils essayent de faire comme Gennoud, qu'ils s'assurent d'abord (musiques d'ici ou d'ailleurs) à tout apprendre, à tout comprendre, à ne rien négliger en cours de route, à ne jamais se contenter des «demi-mesures», ainsi seulement ils pourront prétendre à la synthèse musicale dont ils clament la nécessité à tout venant. Leur mot d'ordre, aujourd'hui, est la modernisation de la musique tunisienne, qu'à cela ne tienne! Aucun art ne peut survivre reclus sur lui-même. Mais quand on se pique de modernité, on va au fond des patrimoines et des répertoires, des techniques et des esthétiques que l'on aborde. A défaut, on reste à la surface des choses, au pire on déçoit (La Hadhra), au mieux on «dore la pillule» (Amine Bouhafa dans «Hel el bibane» de Nabiha Karaouli). C'était, pour l'essentiel, la «recette» (le filon) de nombre de têtes d'affiche en ce début d'été. D'aucuns exultent même sur les médias, criant haut et fort leurs «réussites» et en en annonçant de nouvelles. Peu de musique, beaucoup de paroles. Moncef Gennoud, lui, s'est mis au piano, et a joué. Une heure de grand art et les deux trois mots qu'il faut. Autre leçon.