Pomme de discorde, le projet de loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) n'a pas fini de faire couler de l'encre, sur fond de tiraillements et convoitises corporatistes. Après avoir observé, récemment, une journée de grève générale, l'Ordre national des huissiers de justice (Onhj) a rebondi pour protester contre la position passive du gouvernement à son égard. C'est que ce dernier, aux dires du chef de file de la corporation, M. Abdelhamid Graoui, continue sa fuite en avant, faisant la sourde oreille face à toute sorte d'objections ou de propositions. Pourtant, revenir à la version de janvier dernier telle que finalisée par le comité technique du ministère de tutelle, en concertation avec la profession, dans toutes ses ramifications, résonne comme un appel à la raison. Cela n'émane pas uniquement des huissiers de justice, mais aussi des magistrats et des robes noires qui l'entendent bien de cette oreille. Quoi qu'ils ne soient pas tous du même avis sur la composition du CSM et ses pouvoirs institutionnels. Lors d'une conférence de presse tenue hier à Tunis, les huissiers de justice ont fait montre de leur mécontentement, tout en réitérant leurs réserves quant à ce projet controversé. M. Samir Lachhab, secrétaire général de l'Onhj, l'a jugé anticonstitutionnel et exclusif. De même, il donne matière à interprétation, laissant planer le doute et la méfiance quant à l'intention de faire mainmise sur le pouvoir judiciaire. D'autant plus que le projet du gouvernement n'a pas respecté, d'après lui, le tiers indépendant dans la composition du CSM, à travers ses trois conseils juridictionnels d'ordre judiciaire, administratif et financier. D'ailleurs, a-t-il ajouté, ni la forme ni le fond ne semblent compatibles avec ce que stipule le 2e alinéa de l'article 112 de la constitution qui insiste sur l'intégration, aux côtés de deux tiers de magistrats, du tiers restant de non-magistrats parmi les spécialistes et qui soient forcément indépendants. Pas d'exclusion ! Cela signifie, sans équivoque, que tous les auxiliaires de la justice ont droit d'y être représentés. A preuve, les huissiers de justice en sont aussi partie intégrante. L'objectif, comme l'a bien démontré l'article 114, est de «veiller au bon fonctionnement de la justice et au respect de son indépendance». Ce qui l'érige, lance-t-il, en un pouvoir autonome et institutionnalisé et non pas un simple service comme il était sous l'ancien régime. Et partant, plaide le président de l'Onhj, il n'y a pas raison d'exclure aucune corporation liée au secteur. Récemment auditionnés par la commission chargée de la législation générale au sein de l'ARP, les huissiers de justice, rappelle-t-il, avaient déjà émis des réserves sur le projet de loi et les failles qui s'y trouvent. Ils ont eu, tout autant, l'occasion de déposer leurs propositions et conception sur le nouveau conseil de la magistrature. Pour M. Graoui, la réunion était aussi productive. Mais, jusque-là, on n'a rien vu venir du côté du ministère. Et là où le bât blesse, c'est que, à l'en croire, M. Mohamed Salah Ben Aissa, ministre de tutelle, fait encore cavalier seul. «Sans que ce dernier ait donné intérêt à nos revendications les plus légitimes, consistant à nous faire participer à la représentation des conseils juridictionnels relevant du CSM», reproche-t-il, soulignant que le ministre n'a jamais reconnu la légitimité de leurs mouvements de protestation. Afin de convaincre, le président de l'Onhj n'a pas manqué de faire valoir le rôle des huissiers de justice, à même de garantir aux justiciables leur droit à une justice équitable. Pourquoi, s'interroge-t-il, de tels amendements ont été apportés au projet dans sa première version, sans même l'aval du comité technique chargé de son élaboration ? Celui-ci s'est, ainsi, étonné de voir ce projet refait de façon unilatérale. «Nous jugeons douteux un tel projet décidé dans la discrétion et la précipitation, sans qu'il ne nous ait été proposé pour avis», affirme-t-il en colère. L'Ordre national des huissiers de justice menace d'aller plus loin dans son escalade, si le ministère de la Justice ne revient pas sur sa décision.