Depuis qu'elle a été soulevée pour la première fois, la question relative à la recapitalisation des trois banques publiques, à savoir la STB, la BNA et la BH, a suscité de vives critiques et des appréhensions chez plusieurs hommes politiques qui y ont vu un moyen détourné de les privatiser. Parmi eux, il y avait le député, Mongi Rahoui, qui a déclaré que l'Etat envisageait d'ouvrir le capital de ces banques à des investisseurs tunisiens ou étrangers, en accusant le ministère des Finances de chercher à dissimuler les vraies intentions qui se trouvent derrière l'augmentation de leur capital à hauteur de 500 millions de dinars. A l'époque, le gouverneur de la Banque centrale a jugé indispensable cet effort, car il permettrait, selon lui, à ces établissements financiers de jouer leur rôle dans le financement de l'économie nationale, un rôle que ne favorisent ni les difficultés de la conjoncture, ni la manière dont ils sont gérés. Comment a évolué la situation depuis? Les craintes exprimées et les critiques formulées sont-elles fondées? Les piliers de l'investissement Le ministre des Finances, Slim Chaker, vient de déclarer, en marge de la réunion annuelle des instances financières arabes au Koweït, que le gouvernement tunisien cherche un partenaire stratégique pour céder la quote-part de l'Etat ou une partie dans ces trois banques nationales. Pour mieux appréhender cette décision, il importe de saisir la vraie valeur du rôle de ces dernières dans les domaines du développement, de l'investissement et de l'animation boursière dans le pays, en plus de leur importance capitale dans l'indépendance de la décion nationale. D'après des experts, dont Houcine Rehili, le secteur bancaire est considéré, d'une façon générale, comme étant l'un des secteurs pilotes de l'économie nationale de n'importe quel pays. Cette importance, il la détient non seulement de la mobilisation des ressources locales et étrangères ainsi que du financement de l'investissement, qui constitue le nerf de l'activité économique, mais aussi du fait qu'il représente le point de contact le plus important avec le monde étranger, comme il est l'un des principaux soubassements de l'essor économique. Il en découle que l'appareil bancaire et l'investissement sont deux éléments interdépendants pour produire la richesse et le développement sur des bases constantes et durables. Pour bien se représenter la situation, il faut savoir que le secteur bancaire en Tunisie comprend vingt-et-un établissements résidents, effectuant toutes les opérations bancaires, sans exception aucune, et gérant des actifs bancaires de l'ordre de 80 milliards de dinars, c'est-à-dire presque l'équivalent du PIB du pays, et dont 38% sont monopolisés par les trois banques nationales. En plus de cela, elles ont un rôle déterminant dans l'investissement des secteurs majeurs de l'économie nationale, avec un taux qui dépasse les 40%, surtout dans les domaines de l'agriculture, des industries transformationnelles, de l'habitat et des services. Un audit resté sans suite Il apparaît nettement à travers ce qui précède la position centrale et axiale de ces banques dans l'opération de développement et d'investissement directs dans le pays. En outre, elles représentent un poids au niveau de l'embauche, étant donné qu'elles recrutent, de manière directe, plus de 9000 agents et cadres parmi les grandes compétences nationales de la spécialité. «Alors, pourquoi insiste-t-on à céder ces banques publiques en dépit de leur rôle?», se demande l'expert Houcine Rehili. Cela est d'autant plus inquiétant qu'après soixante ans d'activités et d'accumulation, elles ne sont plus de simples institutions bancaires et boursières, mais elles sont devenues une richesse nationale et une histoire boursière qu'il faut protéger, conserver, améliorer et valoriser. Pour répondre à la question, l'expert rappelle que lors du prêt de 2,9 milliards de dinars, accordé, au temps de la Troïka, en 2013, à la Tunisie, le FMI a émis, dans le cadre d'un nouveau plan d'ajustement structurel, plusieurs conditions dont la soumission de ces banques à un audit et leur recapitalisation à partir des fonds publics, pour les céder, en fin de compte, soit totalement, soit partiellement. Cette opération d'audit a démarré en juillet 2013, avec un financement et un accompagnement rapproché de la BM. Ces études sont terminées, mais personne n'en connaît encore les résultats qui ne sont pas publiés jusqu'à maintenant. Et ce sont ces études minutieuses qui nous permettent d'identifier les problèmes et les vraies raisons qui se trouvent derrière le grand déficit dont souffrent ces banques nationales à cause des dettes qui sont estimées à environ 10 milliards de dinars et dont le remboursement est donc inespéré. Il est à souligner que le processus de recapitalisation de ces banques a commencé avec les gouvernements de la Troïka, avec une valeur de 1250 millions de dinars qui se répartissent comme suit: 500 millions de dinars en 2013, 500 millions de dinars en 2014 et 250 millions de dinars en 2015. Et au terme de ce processus, c'est-à-dire au cours de cette année, le gouvernement actuel compte les privatiser, estime notre expert. Rembourser l'argent confisqué Houcine Rehili poursuit son questionnement: «Mais pourquoi ces banques vivent-elles cette situation? Qui l'a provoquée et les a rendues incapables de récupérer leurs dettes colossales? Et leur cession constitue-t-elle une solution à ces problématiques? Ou bien le but de cette opération consiste tout simplement à couvrir le déficit du budget général, comme le faisait le régime de Ben Ali, dans le cadre des solutions faciles mais douloureuses pour le pays et l'avenir du peuple?» Les réserves financières des trois banques publiques ont été dissipées par les crédits faramineux alloués pour la création de projets imaginaires ou infructueux économiquement, notamment dans les domaines du tourisme, de l'immobilier et d'autres secteurs parasitaires, ainsi que par les familles gouvernantes et leur entourage. Le pire, selon lui, c'est que la plupart de ces crédits accordés ne s'appuient pas sur des études de faisabilité, ni ne comprennent aucune garantie de la part des emprunteurs, dans le cadre du système de corruption et de sabotage méthodique des établissements bancaires publics. Là, il veut parler de certains «hommes d'affaires» qui continuent à gérer leurs business et qui jouissent d'une protection et d'une couverture politiques, suivant la politique du chantage. Donc, pour Rehili, les autorités actuelles doivent obliger ces derniers à rembourser, immédiatement et conformément à la loi, cet argent confisqué des trois institutions bancaires publiques. «L'exploitation des épargnes stratégiques du peuple, pour les injecter dans ces banques nationales, sous le slogan «les sauver et les recapitaliser», vise à céder et à vendre au capital étranger pour un prix dérisoire ces derniers remparts de l'économie nationale, ce qui constitue un crime à l'encontre du peuple et de l'Etat», conclut l'expert Houcine Rehili.