Par M'hamed JAIBI Les quatre partis formant la majorité parlementaire sur laquelle s'appuie le gouvernement se sont enfin réunis et ont convenu d'une coordination permanente de douze membres, trois par formation. Cela n'est intervenu qu'à quelques enjambées des 100 jours du premier bilan, mais c'est une bonne chose. Un orchestre harmonieux On s'acheminerait donc vers un orchestre plus harmonieux, sauf que le chef d'orchestre n'était pas de la fête, lui qui, dans notre régime semi-parlementaire, concentre l'essentiel des pouvoirs de l'exécutif. Il s'agit là d'une anomalie à corriger d'urgence, surtout que nombre de ministres «indépendants» ont été nommés à son initiative et doivent absolument accorder leurs violons. Autre faiblesse majeure de cette coordination tardive, les divisions et incohérences qui caractérisent désormais le parti Nida Tounès, lequel voit ainsi s'affaiblir le rôle de facteur d'équilibre qui l'a vu naître. Car la perspective de la tenue de son premier congrès ne fait qu'accentuer les prétentions des uns et des autres, au point que l'on voit se dessiner sur les réseaux sociaux de véritables campagnes visant les quelques ministres nidaïstes, menées tambour battant par des franges du même parti. Ce alors que parviennent des bruits contradictoires sur la formation de «coordinations» parallèles, régionales ou locales au sein du parti. Coordination et «coordinations» Les «coordinations» constituent les seules structures régionales et locales de Nida Tounès. Elles se sont historiquement matérialisées autour d'un «coordinateur» par région, choisi par le Comité fondateur du parti et son président, Béji Caïd Essebsi. Et c'est au coordinateur régional qu'est revenue la tâche de désigner le bureau de sa «coordination», puis de choisir les coordinateurs locaux. Nominations sur lesquelles est intervenue par la suite la commission des structures que préside Hafedh Caïd Essebsi. Le Bureau politique ayant élargi, par voie de vote, le comité fondateur, a tenté d'aplanir les désaccords entre les divers prétendants dans les différentes régions, mais cela n'a pas vraiment abouti. De sorte que peu de régions sont aujourd'hui vraiment unifiées, dotées d'une «coordination» reconnue de tous les militants et cadres nidaïstes de la région. Ce qui appelle une révision de l'approche adoptée en vue du congrès. Car, dans la réalités des choses, différents groupes, souvent organisés dans des structures parallèles, déclarées ou pas, reconnues ou pas, sont en concurrence pour siéger aux congrès régionaux et nationaux. Bourguiba à cheval Il faut toujours revenir à l'histoire pour comprendre et expliquer la symbolique des événements et des objectifs nationaux. Une polémique fortement «facebookée» a entouré la promesse faite par le président Caïd Essebsi de ramener à Tunis la statue de Bourguiba à cheval. Mais la symbolique de cette posture bourguibienne échappe à de nombreux Tunisiens. En ce 1er juin 1955, les autorités coloniales avaient interdit au leader Habib Bourguiba une entrée triomphale dans la ville «européenne» de Tunis, en signe de victoire sur l'occupation française. La Résidence générale avait donc refusé le premier plan de circulation qui aurait permis à Bourguiba d'entrer dans Tunis, à cheval, par l'actuelle Avenue portant son nom. Pour, a-t-on dit, «éviter toute provocation» vis-à-vis de la population d'origine européenne. Et le cortège a dû faire toute la banlieue jusqu'à Gammarth, puis Raoued vers l'Ariana en direction de Bab Saâdoun et la ville arabe. Cette statue de Bourguiba à cheval, en plein centre du Tunis moderne, est la matérialisation d'un acte de souveraineté dont Bourguiba et la Tunisie de l'«autonomie interne» avaient été, en ce 1er juin, autoritairement frustrés. L'équilibre de notre échiquier Revenons, de la même manière, à l'historique des choses concernant Nida Tounès. L'«Appel de la Tunisie», effectué par le militant destourien Béji Caïd Essebsi, le 26 janvier 2012, a historiquement permis de rééquilibrer notre échiquier politique, de mettre fin à l'expérience de la Troïka et du pro-jihadisme, et d'ouvrir de nouveau la voie à la modernité. Grâce à la caution du vote populaire lors des législatives et de la présidentielle. Mais que vaudrait l'expérience actuelle sans un Nida Tounès uni et que serait l'avenir du pays si l'équilibre acquis au niveau de l'échiquier politique était mis en cause ? Voilà ce à quoi doivent songer les divers acteurs au sein du parti présidentiel, et les différentes sensibilités ayant convergé autour de Béji Caïd Essebsi. C'est là, également, que l'on aurait besoin d'une «coordination» entre les quatre confluents historiques : destouriens, syndicalistes, gauche bourguibienne et indépendants modernistes, auxquels s'ajoute désormais une cinquième frange, celle se réclamant de Hafedh Caïd Essebsi et qui fait beaucoup de bruit.