Entre ceux qui saluent la naissance du Conseil supérieur de la magistrature comme un moment historique et ceux qui considèrent que la loi est anticonstitutionnelle, la saison estivale sera chaude. Le verdict est finalement tombé, hier, à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Les députés ont adopté, à une large majorité, le projet de loi organique portant création du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Ils étaient 154 députés à avoir pris part au vote (sur 217 au total, soit 63 députés manquant à l'appel) dont 131 ont donné leur aval au projet de loi qui a suscité une polémique qui n'est pas près de s'apaiser puisque les magistrats qui s'opposent à la loi ne sont pas disposés à lâcher prise et menacent de poursuivre leur fronde et de saisir la Cour constitutionnelle une fois qu'elle sera instituée. Les députés de l'opposition, qui ont rejoint les magistrats frondeurs dans leurs positions, n'ont pas voté en masse contre la loi puisqu'ils ont été seulement 14 à dire non à la loi. Les autres qui se sont abstenus et qui ont préféré s'abstenir (préserver leurs voix) ont été au nombre de 8 députés.. Zouhaier Maghzaoui, député du Mouvement du peuple «Haraket Echchab», a essayé, hier, sur les ondes d'une radio privée de justifier le vote abstentionniste des députés de son parti. Ses arguments selon lesquels les doléances des magistrats mécontents sont excessives et qu'il ne faut obéir à toutes leurs demandes n'ont pas convaincu, même s'il a essayé de réaffirmer que son parti est toujours attaché à une magistrature indépendante et qui n'obéit à aucun autre pouvoir. Riadh Mouakhar, député d'Afek Tounès (partenaire de la coalition au pouvoir), explique le niet opposé par son parti à la loi par le fait que même le ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Issa, initiateur du projet de loi en question, «ne reconnaît plus son texte tant il a été chambardé par les membres de la commission de législation générale au point que les dispositions anticonstitutionnelles qu'il comprend sautent aux yeux et il n'est pas demandé d'être un connaisseur en droit constitutionnel pour découvrir les irrégularités commises». Une position déjà partagée par Rym Mahjoub, députée d'Afek Tounès, qui précise : «Le texte contient des articles non constitutionnels dont l'intégration de représentants de la justice militaire dans la composition du conseil. Habib Essid doit impérativement soumettre le projet de loi à l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois». Le consensus, de nouveau Pour Mohamed Ennaceur, président de l'Assemblée des représentants du peuple, «c'est le consensus qui a prévalu de nouveau. Aujourd'hui, nous avons vécu un moment historique consistant en la création de la première instance constitutionnelle après les élections du 26 octobre 2014. La solennité du moment est à souligner. Les députés, en particulier les membres de la commission de législation générale, ont accompli un travail considérable et les débats lors de la plénière ont été à la hauteur du climat démocratique et pluriel caractérisant le Parlement tunisien. Maintenant, nous devrons nous concentrer sur les lois qui attendent, dont en premier lieu la loi organique de lutte contre le terrorisme et l'éradication du blanchiment d'argent». L'optimisme de Mohamed Ennaceur trouve un écho favorable auprès de Mohamed Fadhel Omrane, président du bloc parlementaire de Nida Tounès. Il relève : «Le texte de loi a fait l'objet d'un consensus. C'est un texte équilibré qui préserve les droits de toutes les parties et vient conforter l'indépendance du pouvoir judiciaire. Il est injuste qu'on introduise un recours contre le projet». Le mot est lâché Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens, n'y va pas par quatre chemins. «Le texte est conçu à merveille pour assujettir les magistrats afin qu'ils demeurent sous la coupe du ministère de la Justice, plus particulièrement l'Inspection générale, qui continuera à décider de notre promotion professionnelle et de l'évolution de nos carrières», martèle-t-elle sur les ondes d'une radio quelques minutes après l'adoption de la loi. Maintenant, on s'attend à ce que les mouvements de protestation reprennent de plus belle et on prévoit également un été chaud dans les tribunaux.