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Une révolution en gestation ou un changement dans la continuité?
Publié dans Leaders le 02 - 12 - 2013

Cette lecture est une réflexion qui a pris corps et a évolué à l'épreuve de plus de deux années de pratique de terrain aux quatre coins de la Tunisie, de travail de proximité, de recueil de témoignages, de formations, d'organisation d'actions et d'événements, et à la lecture et l'observation de l'environnement et du paysage politiques de notre Pays, à travers leurs évolutions et les crises qui les ont traversées et les traversent encore.
Notre préalable est que la révolution ne se décrète pas à priori. Elle se reconnaît à postériori en tant qu'irréversible transformation et instauration d'un ordre nouveau, à la suite d'un processus de mutations sociales et politiques, en marche à la faveur de soulèvements, révoltes et bouleversements sociaux et de la chute, souvent brutale, d'un régime ou d'un système.
La Tunisie est actuellement dans le processus de mutations. Cependant, est-il la matrice qui porte une authentique révolution en gestation, ou illustre-t-il simplement un changement dans une certaine continuité ?
Dès l'annonce de l'organisation de la tenue d'élections pour une Assemblée Nationale Constituante, deux projets politiques, qui se heurtent pour l'essentiel sur deux visions antagonistes du projet de société, se sont opposés. Cette opposition s'est encore plus exacerbée après les élections, la constitution des gouvernements successifs et l'approfondissement des crises, d'abord et surtout sécuritaires, mais aussi et de même gravité, politiques, économiques et sociales ; opposition sur la conception même de l'Etat et des règles de gouvernance.
Légitimement, la société politique et la société civile démocratiques, modernistes et progressistes, se sont mobilisées et engagées dans un combat, indiscutablement prioritaire, pour la défense des fondamentaux qui font l'Etat moderne tunisien, abstraction faite des dérives que ce modèle a connues par le travestissement de ses valeurs par les régimes successifs. Cependant, cet engagement se heurte à quelques données fondamentales :
* Il n'a pas forcément toujours intégré la diversité sociologique, sociale et régionale de la Tunisie. La société tunisienne est une mosaïque polychrome, enfermée pour une partie dans le conservatisme, soumise à une organisation sociale patriarcale, clanique, tribale et régionale, souvent asservie au système clientéliste développé et enraciné par le Parti-Etat de l'ancien régime et qui a vampirisé l'énergie créatrice et entrepreneuriale libératrice. Pour une partie, elle est engluée dans les vicissitudes d'une vie réduite à un combat de survie dans une marginalité où elle est privée des conditions élémentaires de la dignité. Pour ces franges de la société tunisiennes, et dans leur matrice de lecture, notre combat pour les « acquis progressistes et modernistes » renvoie quelque peu l'écho d'une entreprise socialement déstructurante et suscite un sentiment de rejet pour ce que certains interprètent comme un « combat de privilèges, pour une classe de privilégiés ». En tout état de cause, et sciemment déformé par une certaine propagande, ce discours est resté inaudible.
* Dans le même temps, la classe politique démocratique, aujourd'hui dans le camp de l'opposition face à un pouvoir qui reproduit un modèle de gestion de l'Etat hégémonique, népotique et autoritaire, s'est emmêlée dans ses contradictions. Toujours attachée aux valeurs républicaines et progressistes dans lesquelles elle se reconnaît, elle a renoncé à ses lignes de clivage et s'est laissé piégée par la rhétorique du consensus, qui va jusqu'aux possibles « rapprochements » et alliances, contre-nature, pour une gestion commune des affaires de l'Etat, dans le souci, dit-on, du salut national. Envisager le salut en conciliant les inconciliables autant dans le référentiel idéologique et doctrinal, que dans le projet de société, les choix et les priorités de développement ou les stratégies de réformes paraît improbable. L'embourbement du dialogue national, que nous avons, avec d'autres, prévu, en est l'illustration. Qu'en sera-t-il alors après les élections législatives et pour une législature de 5 ans où toutes les transformations du corpus de l'Etat seront possibles ? Cette orientation accentue les difficultés de lisibilité de l'entreprise politique démocratique.
* Cette contradiction se double d'une autre. Il y'a d'une part le compromis et le consensus avec l'adversaire, mais de l'autre le va-tout contre l'adversaire. Et celui-ci se drape dans le paradoxe d'une normalisation bienveillante avec des acteurs politiques d'un « autre temps », aujourd'hui réorganisés en partis politiques ; le paradoxe d'une banalisation du retour au devant de la scène de ténors de la politique des décennies passées, que dis-je, de la dernière année, des derniers mois, du dernier jour du régime déchu. Des ténors et un discours, parfois hautain, arrogant, teinté d'une insolence insoutenable. Nous ne sommes ni partisans des tribunaux populaires, ni des expéditions punitives et encore moins des punitions collectives, nous ne nous érigeons pas non plus en juges et ne mettons pas en doute, à l'extrême limité, la probité de ces personnalités. Nous disons, toutefois, qu'au moins, et au même titre que nous affirmons l'échec du pouvoir actuel, nous ne pouvons que convenir des échecs cuisants des politiques qui l'ont précédé. Sans quoi, pourquoi les événements du bassin minier ou de Ben Guerdene, pourquoi l'immolation du 17 décembre 2010, pourquoi les manifestations qui l'ont suivie et qui sont allées en grossissant, pourquoi le 14 janvier 2011, pourquoi le système sécuritaire répressif, pourquoi la dégradation des système d'enseignement et de santé, pourquoi cette fiscalité injuste et inefficiente, pourquoi l'émergence et l'explosion des secteurs informels, pourquoi ces taux indécents de pauvreté, pourquoi ces disparités sociales et régionales, pourquoi ce taux de chômage, ces bas salaires et cette précarité, pourquoi cette montée inexorable du radicalisme depuis des années, dont l'expression s'est libérée depuis le 14 janvier 2011, surtout parmi les plus jeunes ; bref, pourquoi ce terreau favorable à un modèle de société que d'aucun juge étranger à notre pays et à nos traditions ? Encore une fois, les cartes se brouillent et le projet politique démocratique, en plus de n'être parfois perçu que comme une charge d'opposition, n'exprime pas d'identité et n'envoie pas de signaux lisibles, audibles et qui donnent de la visibilité.
* Quant aux questions pressantes qui taraudent le citoyen resté en dehors des cercles des débats politiciens et des enjeux électoralistes, l'offre n'est ni claire ni précise. Certes tout le monde s'accorde sur le bilan et déploie les promesses de sécurité, de justice sociale, de croissance économique, de réformes structurelles, de création d'emplois… Mais le citoyen n'a entendu ni COMMENT, ni QUAND, ni SELON QUEL MODELE. Il est dans la tourmente de ses difficultés sans voir de direction, de cap et de plan de sortie de son marasme.
Alors quelles transformations pour un ordre politique et social nouveau?
Nous nous sommes engagés sur une constituante, mais nous sommes restés dans le classicisme normatif. Nous sommes dans la lecture du droit constitutionnel comparé, nous sommes dans la transposition des régimes politiques existants, en cherchant à imiter et copier. On peut nous rétorquer que la construction se fait sur l'accumulation du patrimoine de l'humanité et les expériences d'autrui. Nous sommes les premiers à le revendiquer. Mais la construction se fait aussi par la lecture critique, par une dynamique évolutive, d'innovation… de transformation. N'est-ce pas une révolution?
La démocratie représentative étale aujourd'hui ses maux à travers le monde où la démocratie est enracinée. Les penseurs du monde « libre » s'y penchent et s'interrogent. Nous n'avons pas été capables de nous interroger, de proposer une alternative, une autre incarnation.
Nous encensons la gouvernance locale mais sur quel modèle ? Avons-nous seulement pris en compte les dynamiques d'influence et de pouvoir de notre société profonde pour trouver une parade qui assure une représentativité authentique du citoyen et garantit un développement partagé?
Nous l'encensons au nom de la décentralisation. Sommes-nous réellement capables de renoncer à la toute puissance de l'Etat central ? Alors que nos organisations politiques et civiles démocratiques n'ont pas encore réussi à rompre avec la centralisation et la concentration des pouvoirs et de la décision, et à la hiérarchisation rigide.
Avons-nous imaginé un autre modèle de l'organisation politique? La réponse est à l'évidence non.
Alors quelles transformations pour un ordre politique et social nouveau?
Dans la profusion d'organisations politiques qui nous submerge, dans le flot de paroles qui nous berce ou nous secoue, dans les arrangements qui se mettent en place, dans les « plans » de redressement qui semblent s'élaborer ici ou là, une tendance dominante, qui en occulte certainement bien d'autres, émerge, celle d'un système de développement (plutôt que d'un modèle) déjà éprouvé et qui a déjà failli. Entre les contraintes des systèmes économiques et financiers internationaux et des habitudes bien installées, avec certainement leurs avantages mais avec, aussi, leurs distorsions et leur système de privilèges, l'émergence comme une éruption d'une autre façon de concevoir le développement, en mettant l'individu au centre du projet, et les innombrables et étendues spécificités et richesses régionales au cœur de la solution, ne trouve pas sa voie. Bien entendu, il n'est pas question ici de faire table rase de l'existant. Mais même dans le monde « libre », démocratique, libéral, auquel nous faisons souvent référence et que nous prenons pour modèle, la réflexion sur la nécessaire application de modèles alternatifs occupe le devant du débat.
Beaucoup concourt à cette inertie, à la limite du réactionnaire. Cela va de la conviction libérale voire ultralibérale de certains, à l'incapacité de transcender notre modèle politique pour en faire une entreprise participative et transversale, aux ambitions et obsessions électoralistes, à l'enfermement dans l'immédiateté sans s'inscrire dans la mise en perspective dans le temps long, jusqu'à l'individualisme aussi, il faut se l'avouer, de certains.
Et lorsque nous observons le tournant que prennent les événements politiques et le cheminement qu'a suivi le débat national, aujourd'hui encore à l'arrêt, d'une part, et d'autre part, les déclarations de certains acteurs de la vie publique et les commentaires de certains observateurs avertis ou de profanes, un étrange sentiment se dégage. Il y a comme un air de nostalgie pour une certaine stabilité et un semblant d'embellie économique… du passé, sans Ben Ali et sa clique, bien sûr, et avec la liberté d'expression, conquise mais certes menacée. Parce que comme l'a dit une éminente personnalité, « la révolution a, pour certains, été accomplie lorsqu'on a accédé à la liberté », liberté d'expression s'entend. Mais pour les autres… Ne devons-nous pas admettre que désormais, nous ne pourrons plus savourer le bien être et le bien vivre que s'il est partagé, dans un apprentissage du vivre en commun pacifié? Et ne devons-nous pas nous avouer que les disparités ne sont plus soutenables et représentent en réalité la première menace à la paix civile ? Cela exige l'acceptation de renoncements et de sacrifices, parfois énormes, dont les fruits, dans bien des domaines, ne seront probablement pas cueillis sur le temps court. Sommes-nous prêts aux renoncements et aux sacrifices pour une certaine idée que nous nous faisons de notre pays ? Sommes nous, surtout, en mesure de renoncer au confort du déjà fait, du déjà vu et du laisser faire par les autres, selon des schémas pré établis et à moindre frais? Sommes-nous simplement prêt à revêtir l'habit du Citoyen engagé?
Le bilan de la période écoulée laisse un sentiment mitigé, entre la fierté et l'ivresse de la libération, et la crainte d'un fléchissement de la volonté d'engager une authentique révolution, en tant que transformation irréversible et instauration d'un ordre nouveau. En définitive, formatés selon une certaine pensée dominante, nous n'avons pas été et ne sommes toujours pas capables de transgresser les systèmes traditionnels et conventionnels – systèmes politiques, économiques, sociaux – et demeurons quelque peu conservateurs, dans le sens de la perpétuation de l'existant. La régression indéniable que connaît notre pays dans bien des domaines réveille des peurs légitimes, mais ne doit pas conduire à la facilité et au confort d'une sorte de réformisme « doux » qui consacre des arrangements sans rupture. La révolution sociale et la révolution politique ne sont pas des révolutions intimes. Il revient aux élites de se faire violence pour les mettre en concept mais aussi pour les mettre en mots et en actes pour qu'elles se transforment en révolution populaire, irréversible et durable.
Emna Mnif
Lecture introductive au Colloque
« Résonance entre projets politiques et réalités sociologiques »,
Tunis, 30 novembre 2013

Tags : Tunisie Emna Mnif révolution


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