Par Taoufik CHARRADI L'élection de l'Assemblée constituante se solde par un net exploit du parti islamiste Ennahdha qui devient la formation politique la plus puissante et marque un tournant dans l'histoire tunisienne. En l'absence d'une majorité absolue, une coalition est attendue entre le parti Ennahdha et d'autres formations politiques pour rédiger la Constitution future du pays. Les élections ont donné une éclatante victoire au parti islamiste Ennahdha qui devient la première force politique en Tunisie avec 90 sièges, suivi du Congrès pour la République (CPR) avec 30 sièges et d'Ettakatol, en troisième place avec 21 sièges. Le Parti démocrate progressiste (PDP) représente des fractions de quelque importance (soit 15 sièges). Les fractions de l'extrême gauche et les autres partis de gauche, malgré une liste unitaire (le Pôle démocratique moderniste), représentent un taux faible. Les petits partis et les indépendants n'obtiennent qu'un ou deux sièges chacun. Les trois premiers partis totalisent ensemble 141 sièges sur 217 et deviennent la «coalition» la plus importante disposant de presque la majorité des deux tiers. En effet, ni les libéraux, ni les conservateurs, ni les communistes, ni les socialistes, ni les démocrates, ni les progressistes, ni les indépendants ne parviennent à réunir une majorité. Le scénario le plus envisageable est donc une coalition autour du parti Ennahdha. Avec son beau score, ce parti est en position de force et une coalition avec le CPR ou Ettakatol est possible pour obtenir une majorité absolue (50%+1). Le succès du parti Ennahdha est dû, d'une part, grâce à une bonne organisation, à une stratégie de communication bien préparée et à l'espoir qu'a suscité son programme électoral et d'autre part au désir des Tunisiens avides de stabilité et qui s'avèrent rattachés au conformisme et à leur identité arabo-musulmane. On peut se permettre d'expliquer la victoire ou la défaite d'un parti par un certain nombre de facteurs mais rien ne justifie le résultat, issu d'ailleurs de la volonté du peuple. La seule notion objective et mesurable pour déterminer la grandeur d'un parti est le nombre de voix obtenues dans les urnes. La puissance d'un parti politique ne se mesure pas en termes de déclarations médiatiques de nature à montrer son passé glorieux ou à déclarer son opposition à tel parti, mais surtout à «l'aune du bilan». Une compétition politique est comme un match de football; avant le coup d'envoi, toutes les équipes sont toujours à égalité et, quelle que soit la qualité des joueurs que l'on aligne, seul le nombre de buts marqués détermine la victoire. Les résultats de cette élection vont, sans doute, inciter les partis (vainqueurs ou perdants) à revoir leurs stratégies de communication dans les prochaines élections et à s'adapter aux changements (culturels, économiques et sociaux) qui se profilent à l'horizon. L'évolution constitutionnelle est significative de la transformation de la société tunisienne, et sans doute de ses exigences de démocratie, c'est-à-dire donner le pouvoir au peuple. Cette tendance est dominante qu'aucun parti politique ne met en cause et reste une aspiration collective, à défaut d'être une réalité. La future Constitution sera tournée vers un système représentatif, vers un multipartisme et vers le respect des libertés individuelles (pensée, expression, et presse) et des droits sociaux (emploi, santé, etc.). La nouvelle Constitution s'avère soucieuse de ne pas rééditer les erreurs des constitutions précédentes marquées par l'absence de séparation des pouvoirs et par la confusion entre les organes de l'Etat et ceux du parti unique qui ont conduit au despotisme. Cette Constitution énoncera les principes fondamentaux reconnaissant la souveraineté du peuple et les droits de l'Homme. Quant au choix du régime politique, le souvenir du totalitarisme, encore vivace, empêchera la création d'un régime présidentiel fort, par crainte de dérapage plébiscitaire. Dans un pays où il n'existe pas de traditions démocratiques, cette ambiguïté est porteuse d'instabilité, avec laquelle le nouveau gouvernement sera obligé de gouverner dans un centre modéré. Toute approche voulant aller au-delà de la simple description des institutions se heurtera à l'inadaptation du modèle politique occidental à la réalité tunisienne.