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Abdelwahab Meddeb: Boko Haram et les martyrs de Cordoue
Publié dans Leaders le 12 - 05 - 2014

L'enlèvement le 14 avril dernier des 276 lycéennes (de 12 à 17 ans) scandalise le monde entier. Cela a eu lieu à Shibok, à l'est de Borno, la province du Nigéria, au nord-est, frontalière du Cameroun où sévit Boko Haram dont le premier nom est Jamâ'at Ahl as-Sunna li-Da'wa wa'l-Jihâd. On dit même que certaines des filles enlevées ont été vendues pour être mariées à des combattants de la foi. Le chef actuel de Boko Haram, Abû Bakr Shekau est apparu dans une mise qui imite Ben Laden: en treillis militaire, un turban lui ceignant le front, cajolant une kalachnikov dans les bras ; il a déclaré: «Les filles ont été enlevées, je les vendrai selon la sharî'a, loi de Dieu (…). L'éducation occidentale doit cesser. Les filles doivent quitter l'école et se marier.»
Où situer ceux qui ont commis un tel crime universellement assimilé à un acte de barbarie absolue? Tout est dans le nom de ce groupe. Boko Haram sont deux mots étrangers adoptés par la langue vernaculaire, le haoussa : boko vient de l'anglais book, livre; et haram est le mot arabe qui renvoie à l'interdit, au péché. Par condensation Boko Haram veut dire: la culture occidentale incarnée par les livres est un péché, elle est interdite. L'appellation arabe de ce groupe signale au nom de quoi ce commandement est édicté: cette culture occidentale doit être remplacée par les livres qui illustrent la sunna, la tradition, et qui instruisent la da'wa, la propagation de la foi, pour conquérir le monde et convertir à l'islam l'humanité entière par l'arme du jihâd.
Tel radicalisme islamiste agit ici; il atteint le maximum de schématisation lorsqu'il est prôné et pratiqué par des néophytes qui poussent leur zèle à l'excès. Au-delà de la farce sanglante qu'il représente, il s'agit d'un radicalisme qui procède de la maladie de l'identité qu'exploite l'idéologie islamiste quelque forme qu'elle prend, des Frères Musulmans à al-Qâ'ida et Boko Haram. Le dessein de ces malades de l'identité est de lutter contre la culture hégémonique, en l'occurrence l'occidentale, et de neutraliser ceux des leurs qui l'adoptent, qui en adaptent le sens et les valeurs à leur singularité pour être dans le siècle et agir dans le contexte historique qui est le nôtre.
Ces contaminés par le virus de l'identité exclusive veulent détruire les modernes parmi les musulmans ; ils veulent ligoter les séculiers parmi leurs concitoyens, quelle que soit leur croyance. Les sectateurs de Boko Haram veulent neutraliser tant de Nigérians qui brillent dans tous les domaines de la création artistique, littéraire, scientifique, technique. La mouvance idéologique à laquelle ils appartiennent veut anéantir ceux parmi nous qui donnent le meilleur d'eux-mêmes pour contribuer à la civilisation et faire advenir telle civilisation aux leurs.
Je voudrais remonter dans le temps et procéder à ce que l'historienne Lucette Valensi appelle un «anachronisme contrôlé» et j'ajouterai «édifiant». La référence que je convie peut même servir d'apologue. En effet, la maladie de l'identité qui sévit aujourd'hui en islam et dont Boko Haram est la manifestation à l'état brut me rappelle le moment où elle a corrompu la conscience chrétienne lorsque l'islam représentait la culture dominante. Revenons à l'épisode des «Martyrs de Cordoue» (850-857): une cinquantaine de chrétiens ont provoqué l'autorité musulmane pour obtenir le martyre; leurs noms nous sont parvenus et ils sont glorifiés par les exclusivistes catholiques comme héros de la foi. Excités par les idéologues de l'identité, Euloge et Alvare, ils se sont offerts au martyre pour signaler leur refus de la culture hégémonique de leur époque, celle qui a conduit la civilisation à un sommet jusqu'alors inconnu, surtout après la venue d'Orient du fameux Ziryâb, lequel a injecté des nouveautés culturelles qui ont fait muter les mœurs.
Séduits par cette culture, bien des chrétiens y ont succombé. Au grand dam d'Euloge et d'Alvare qui appelaient les leurs à refuser cette culture. Ils attaquaient avec virulence leurs coreligionnaires acculturés, ceux qui ont troqué le latin pour l'arabe, même comme langue liturgique. La polémique s'est installée à l'intérieur du camp chrétien entre pourfendeurs et défenseurs de la culture dominante. L'évêque Reccafède, métropolitain de Séville, critiquait avec férocité Alvare et autres malades de l'identité. Il refusait même d'accorder statut de martyre à ceux qui, à Cordoue, ont obtenu la mort, en provoquant la loi. De même, Saül, évêque de Cordoue, lequel fréquentait assidûment la cour de l'émir ‘Abd ar-Rahmân II (822-852). Le conflit, interne aux chrétiens, opposait à l'église officielle intégrée à la culture dominante, des rebelles formant une église purifiée ou «donatiste».
Selon le médiéviste américain de l'université de Nantes, John Tolan, cet épisode des martyrs de Cordoue met en scène l'opposition dans le camp chrétien entre identitaires et partisans de l'hybridation, ceux qu'on appelle Mozarabes, de l'arabe Musta'ribûn (Arabisés), équivalent des Occidentalisés parmi nous aujourd'hui. Je cite John Tolan: «Confrontés à l'islamisation et l'arabisation de l'émirat de Cordoue, la plupart des Chrétiens de la capitale embrassent la nouvelle haute culture islamique, ou du moins, s'y adaptent. Ils parlent et écrivent l'arabe, ils s'habillent comme les musulmans, fréquentent la cour de l'émir; certains vont jusqu'à se faire circoncire. Face à cette culture urbaine dhimmi qui s'adapte bien aux exigences et aux limites de la convivancia ‘umayyade se dresse la culture latine des monastères, qui voit ce compromis comme une capitulation. Pour un moine comme Samson, la circoncision des chrétiens est le prélude à l'apostasie, pour Alvare, éduqué dans les monastères, c'est la marque de l'antéchrist. La crise des martyrs de Cordoue est souvent présentée comme une confrontation entre islam et christianisme. Il serait plus exact d'y voir une profonde rupture entre deux cultures chrétiennes désormais hostiles qui ont du mal à se comprendre».
Et ces sont ces Mozarabes tant décriés par les malades de l'identité qui joueront le rôle de médiateurs pour la transmission de l'avancée arabe au latin, transmission qui donnera des ailes à la créativité humaine pour faire muter l'esprit et contribuer à la construction de la civilisation hybride qui éclaire au présent notre monde.
Je pense qu'aujourd'hui en islam nous vivons une situation similaire, opposant les séculiers qui s'adaptent aux apports du siècle et les puristes radicaux prônant le retour à une origine fantasmée. Ceux-ci veulent s'imposer au monde en recourant aux violences les plus extrêmes. Eux, ils cherchent à tuer le plus grand nombre : c'est ce qui les distingue de leurs frères chrétiens de jadis avec qui ils partagent la maladie de l'identité: car ces derniers n'ont pas porté atteinte à autrui, ils ont offert leur personne en s'immolant sur l'autel du sacrifice.
Abdelwahab Meddeb
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Tags : Abdelwahab Meddeb Boko Haram Frères Musulmans


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