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Mohamed BEN ISMAIL
Publié dans Leaders le 20 - 11 - 2008

A 72 ans, Mohamed Ben Ismail garde toujours les mêmes réflexes du cardiologue aussi dévoué à ses patients qu'avide de savoir et de connaissance. Ses patients, il peut vous les citer de mémoire. Ceux qui poursuivent leur traitement, voire ceux qui sont décédés, du moins une bonne partie d'entre eux. Pour lui cet attachement fait partie intégrante du traitement tout comme la participation aux différents congrès scientifiques internationaux intéressant sa spécialité est indissociable du savoir, seul et unique moyen d'être au fait des progrès de cette science qui, explique-t-il, « se rapproche de plus en plus d'une science exacte ».
Avec le temps, Mohamed Ben Ismail est devenu le personnage incontournable de ces congrès tant il s'est investit dans cette science qui lui a tout donnée. Une véritable idylle qui dure depuis bientôt un demi siècle si on inclue les études universitaires. Et il faut les compter.

Mohamed Ben Ismaïl, élégamment habillé, cheveux grisonnant, tient à peine dans son fauteuil. Son cœur bat au rythme de ses souvenirs aussi attachants que lointains. Des moments forts mais aussi des souvenirs anodins peuplent une mémoire vivace. De son cabinet médical de la clinique dont il est l'initiateur, « à contre cœur », aime-t-il préciser, il n'est pas prêt d'oublier toutes ces années parisiennes à la fois attachantes et studieuses. Il n'est pas non plus prêt d'oublier ces années sfaxiennes ayant accompagné son enfance et sa prime jeunesse. Choyé et dorloté par un père autoritaire et attachant, exigeant et jovial, il ne put se dérober à la volonté paternelle de faire de lui un médecin. « Etre médecin, c'est être tout à la fois », disait son père non pas pour expliquer ce choix, encore moins pour le justifier mais pour se donner une raison car, il savait qu'on ne lui refuserait rien. Chez les Ben Ismaïl, on ne discute pas, on ne refuse pas. On obéit. En parfait patriarche, son père savait mener son monde et veillait jalousement sur lui.

Après des études primaires à l'école coranique « Echabab » (La Jeunesse), il entre au collège de Sfax poursuivre ses études secondaires qui, manque de pot, se terminèrent en queue de poisson. Et pour cause : Après les événements sanglants de 1952 occasionnés par la répression des forces d'occupation, les établissements scolaires furent fermés et l'examen du baccalauréat annulé. Son père, l'un des bourgeois les plus en vue de la société sfaxienne n'hésita pas à l'envoyer à Bordeaux dans l'un de ces établissements où les élèves, en séjour bloqué, préparaient et passaient leurs examens.

Né le 15 mars 1935, Mohamed Ben Ismaïl, obtint son baccalauréat à l'âge de 17 ans et entra à la faculté de médecine de Paris après avoir obtenu son BCP (Physique, chimie et biologie) à Tunis. A cet examen, passage obligé pour faire médecine, il était classé 4ème. De sa génération, il se rappelle de Rachid Terras, Mekki Laroussi, Ahmed Grab, Saâdeddine Zmerli, Mohamed Fourati, etc…Une nouvelle page de sa vie s'ouvrait : Riche en savoir, fertile en connaissance et dure en labeur.

Mais l'homme à l'esprit cartésien, pétri de culture philosophique prônant la logique et le pragmatisme, ne pouvait mieux tomber. Mieux. Il ne regretta pas son penchant pour l'histoire et était ravi d'atterrir en médecine et d'être l'élève des cardiologues les plus réputés du monde, à savoir : Le professeur Lenègre et celui moins connu parce que moins médiatique le professeur Caroly Gastro.

En côtoyant les meilleurs, celui qui s'était donné à fond ne pouvait être qu'aussi brillant. Modeste, Mohamed Ben Ismaïl préfère revenir sur un cursus ponctué de succès et riche en titres : Docteur en Médecine de la Faculté de Médecine de Paris (lauréat de la même faculté), externe des hôpitaux de Paris, interne des hôpitaux de Paris (1966), chef de clinique de la faculté de Médecine de Paris (1964-1966) et enfin professeur agrégé, concours 1966 à Paris.

En rentrant à Tunis, au cours de la même année, Mohamed Ben Ismaïl, était le plus jeune professeur Tunisien en Médecine. Son père, en grand seigneur, lui offrit une belle voiture décapotable. Ce beau geste, Mohamed Ben Ismaïl, s'en souviendra toute sa vie. Tout comme il se souviendra de son mariage avec Odile, une française qui l'avait accompagné tout le long de sa vie estudiantine. Comment avoir la bénédiction paternelle pour ce mariage. « Il était hors de question que je le lui annonce moi-même », confie-t-il en parfait connaisseur des usages, ajoutant « chez les Ben Ismaïl, nous sommes trop respectueux les uns les autres pour évoquer franchement de tels sujets qui pouvaient occasionner des voltes face regrettables ». Il chargea un ami à son père de lui en parler. Résultat : une bénédiction qui en surprit plus d'un. « Odile ne tarda pas à s'intégrer dans le cercle familial », aime-t-il à dire en guise d'hommage à celle qu'il considère comme « le plus cadeau que la France m'ait jamais offert ».

Se remémorant ses années parisiennes, Mohamed Ben Ismaïl, la voix claire mais le timbre légèrement cassé, se rappelle de son séjour à la Maison de Tunisie à la Cité Universitaire Paris 14ème. Il préparait son examen d'internat avec la fille et le gendre d'un des grands responsables de l'instruction publique en Tunisie sous le Protectorat. Celui là même, précise-t-il, qui avait renvoyé les élèves des collèges les empêchant de passer le baccalauréat en 1952, suite aux événements douloureux qui avaient occasionnés la mort de plusieurs militants. « Le monde est réellement petit », commente-t-il, un brin philosophe ajoutant qu'il s'était bien gardé d'évoquer ces souvenirs.

A Tunis, une brillante carrière l'attendait. Il était chef de service à l'hôpital « La Rabta » et continuait d'enseigner à la faculté de Médecine de Tunis depuis sa création en 1964. « J'arrivais de Paris spécialement pour donner des cours. J'habitais le Carlton et repartais aussitôt après », dit-il, fier d'avoir participé à l'essor de cette jeune faculté. Nous étions tous de jeunes professeurs en médecine conscients de notre rôle dans une Tunisie fraîchement indépendante et engagée dans la passionnante bataille du développement. En les recevant, le Président Bourguiba fut surpris par la jeunesse de Mohamed Ben Ismaïl et ne put s'empêcher de dire à son sujet : « Mais nos professeurs sont de plus en plus jeunes ». Ce à quoi Ben Ismaïl répliqua : « C'est à l'image de la Tunisie, Monsieur le Président ». Bourguiba était ravi. Il ne savait pas encore qu'il allait revoir ce même professeur à son chevet un certain 15 mars 1967 lorsqu'il fut victime de son premier infarctus. L'entourage du Président fut également surpris par le jeune âge du professeur et avait du mal à se fier à son diagnostic, exigea de convoquer le professeur Lenègre qui, après avoir ausculté l'illustre patient, conclut en ces termes : « Je n'ai rien à ajouter au diagnostic du professeur Ben Ismaïl » et répartit le jour même pour Paris.

A « La Rabta » où il devait rester jusqu'en 1990, les choses n'étaient pas aussi simples. Mohamed Ben Ismaïl allait engager une véritable bataille qui dura deux années. Résultat : Le pavillon 13 était entièrement équipé. La Tunisie venait d'entrer de plain pied dans la cardiologie moderne avec notamment l'introduction de l'hémodynamique et le cathétérisme intra cardiaque, etc. Ce bon départ fit de la Tunisie l'un des pays en développement le plus à la pointe des progrès de la cardiologie. Pour preuve la confiance des médecins français qui nous envoyaient des internes passer près de deux ans dans nos hôpitaux. « Tous ces efforts ont permis de limiter dans d'importantes proportions les cardiopathies rhumatismales, causes des maladies cardiaques jusqu'en 1980 », précise Mohamed Ben Ismaïl ajoutant « qu'à compter de cette date et avec l'amélioration du niveau de vie, on dénombrait de plus en plus d'atteintes coronariennes ». Conseil d'un cardiologue pour éviter ces maladies qui tuent : « Ne pas fumer, manger moins et marcher plus ».

Se démenant dans son service qu'il a monté de toutes pièces, Mohamed Ben Ismaïl régnait sur son monde en patron incontesté et incontestable. Ayant constamment recours à la coopération internationale, il organisa plus d'un congrès pour être « up to date », acheta de nouveaux équipements et forma plusieurs générations de médecins mais aussi de cardiologues. « Une véritable famille unie et solidaire était née», dit-il l'air pensif, ajoutant « qu'aucun des cardiologues ne voyait sa vie en dehors de l'enceinte de ce service. Aussi la réforme de 1988 obligeant les chefs de service à choisir entre le public et le privé a-t-elle été vécue comme une véritable déchirure ».

En 1990, il quitta « La Rabta » après y avoir passé deux années pour préparer la relève, la sienne, à la demande de qui de droit, Mohamed Ben Ismaïl, se retrouva quasiment dans la rue à l'âge de 55 ans. « Je n'avais que mon stéthoscope et mon stylo et ne savais rien faire d'autres que la cardiologie», dit-il l'air contrarié mais plus décidé que jamais à tourner définitivement cette page. Homme d'une grande sensibilité, il ne laisse jamais couler une larme dont on voit la brillance à travers ses lunettes de myope. Il la retient, juste à temps. Il a trouvé la sortie. Un concours de circonstances allait lui permettre le « transfert », au sens philosophique du terme, de « La Rabta » à une clinique dont il est l'initiateur avec ses anciens collaborateurs devenus ses partenaires.

Le cordon ombilical qui le reliait à cette discipline allait être reconstitué comme par miracle. Lui qui croit aux miracles en fut le premier surpris. Tout comme il fut surpris par l'arrivée d'une patiente trois ans après avoir diagnostiquée comme mourante suite à une défaillance cardiaque gravissime. « Elle avait effectué le pèlerinage et venait me saluer », dit-il heureux par ce que côtoyant la mort au quotidien et sachant ce qu'elle engendre de tristesse et de malheur.

Devait-il céder, lui qui avait ce besoin vital de travailler, de se sentir utile et d'être au milieu de ses patients ? Il était épanoui dans son service à « La Rabta » qu'il avait agrandi, modernisé et compartimenté (adultes, congénital, soins intensifs, hémodynamiques, etc.) sans compter ces mémorables « staff » cardiologiques du samedi matin et du mardi après midi où l'élite de la cardiologie tunisienne venait se ressourcer et apprendre une cardiologie de pointe. Plus d'une génération de cardiologues a été formée dans cette sanctuaire du savoir.

L'idée d'ouvrir une clinique ne l'avait, jusque là jamais effleuré par ce qu'il considère que « ce n'est nullement l'affaire des médecins ». Il s'y plia de bonne grâce et revit un moment ses débuts à « La Rabta ». L'opération « transfert » commença sur les chapeaux de roues. La première clinique cardio-vasculaire était née. Un succès qui le surprit lui-même. Un succès qu'il n'a jamais désiré. « J'ai ardemment voulu rester le médecin hospitalier que j'étais ». « Rien ne vaut la médecine hospitalière », insiste-t-il ajoutant que « c'est une médecine libre de toute servitude si ce n'est l'amour du métier ». Quelque part, il sentait que l'argent avait détérioré la relation médecin – malade. Mais que pouvait-il faire dans un monde où l'argent était devenu le maître mot ? Rien.

Regrettant aux larmes une situation qu'il n'est pas prêt d'oublier, Mohamed Ben Ismaïl, officier de l'ordre du 7 novembre, commandeur de l'ordre de l'indépendance et de la République, chevalier de la légion d'honneur française et Commandeur de l'ordre du mérite civil Espagnol, trouve constamment refuge dans son équipe de football préférée, à savoir le Club Sportif Sfaxien –CSS- qu'il suit partout et où il a fini par entraîner sa femme. Désormais, ils sont deux fervents supporters ne ratant aucun match. Ils vivent intensément les matchs de leur équipe. Ils gloussent de bonheur quand elle gagne. Cet amour viscéral de leur club, ils l'ont transmis à leur descendance. Et l'ambiance médicale de devenir également une ambiance sportive.

Père de trois enfants, Samia, maître assistant à la faculté de droit de Tunis, Malika, pharmacienne et Mehdi, architecte, Mohamed Ben Ismaïl est heureux de ne pas avoir engendré de médecins comme beaucoup de ses collègues. « J'ai souffert en faisant médecine car j'ai beaucoup travaillé. Et c'est précisément pour cette raison que je n'ai pas tenu à ce que mes enfants fassent médecine », dit-il en soupirant avant d'ajouter souriant : « je n'y ai pas échappé puisque mes deux gendres sont médecins ».
« S'il y a une chose qui me manque aujourd'hui, poursuit-il, avec une infinie tendresse, c'est précisément la joie que je lis et vois sur le visage de ces gens simples qu'on ne côtoie que dans les hôpitaux, ces hauts lieux où le savoir se communique et se perpétue », conclut-il nostalgique.
« Tiré du livre à paraître en 2009. Titre : Médecine et Médeins de Tunisie. Auteur : Mohamed BERGAOUI »


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