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Mohamed Talbi: un historien dans son siècle
Publié dans Leaders le 27 - 04 - 2018

En débutant une réflexion sur Mohamed Talbi, il convient de remarquer que son parcours d'historien a constitué, au cours de ces dernières années, l'objet d'incursions multiples et diverses: notices encyclopédiques, hommages officiels, nécrologies, éloges funèbres et souvenirs de proches publiés ou inédits, autant de documents qui expriment le respect et l'estime dont qu'il jouit.
L'historien Mohamed Talbi, né à Tunis en 1921, est décédé dans la même ville le 30 avril 2017, était l'un des plus grands historiens médiévistes tunisiens, de renommée internationale. Agrégé de lettres arabes, docteur d'Etat en histoire médiévale, il devient juste après l'indépendance de la Tunisie le premier doyen de l'Université des sciences humaines et sociales de Tunis. Auteur d'une œuvre très dense, il était aussi connu du grand public par ses relectures de la tradition musulmane(1) et par ses interventions dans les médias. En mai 2017, l'hommage officiel que lui rend l'Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts(2) s'associe à celui publié par la Présidence de la République tunisienne, sorte de sacre de Talbi au panthéon des immortels de la nation.
Versant dans l'exercice imposé de l'hagiographie,les textes funèbres publiés juste après sa mort se calquent généralement les uns sur les autres et jettent successivement, dans l'espace de quelques lignes, sa qualité d'ingénieur du passé, son implication pour l'étude de l'Histoire et de la philologie classique, avant d'énumérer quelques-unes de ses publications(3) . Les souvenirs des proches-ami(e)s de Talbi offrent aussi une perspective limitée à l'étude de sa vision d'historien mais ils développent par là-même un regard original sur l'homme, hors des reconstructions basées sur la lecture de ses écrits. Aux détours d'une anecdote, ces souvenirsoffrent des portes ouvertes sur la jeunesse de l'historien, son quotidien, ses fréquentations,ses influences, ses convictions politiques et religieuses.
En 2002, Gwendoline Jarczyk propose une première lecture d'ensemble de la vie de Mohamed Talbi(4). Ce texte constitue la source factuelle la plus riche sur la vie de l'historien, suivie par quelques travaux ultérieurs(5). Aussi complets soient ces livres d'entretien, ils n'évitent cependant pas quelques difficultés qui les empêchent de se hisser au niveau d'un travail académique. Quelques années plus tard, tout en bénéficiant des travaux d'Abdou Filali-Ansary(6), les livres de Touhami El-Héniet de Nafati Taher Achour n'apportent pas d'éléments nouveaux à la relecture de l'œuvre de Mohamed Talbi(7). En somme, ces premiers travaux à visée critique se rapprochent de la biographie victorienne qui, suivant les mots de l'historien français François Dosse, «diffuse des "vies" autorisées, sources de respectabilité, expurgées de tout élément pouvant nuire à la bonne moralité, [. . .] écrites par les proches du biographé qui ne retiennent de sa vie que ce qui peut apparaître édifiant»(8).
Moins étoffée que les travaux précédents, la notice biographique réalisée par l'universitaire Salah Trabelsi pour le Dictionary of African Biography propose pourtant un travail bien plus abouti d'un point de vue historiographique. S'il s'appuie sur les différends mélanges offerts à notre historien, Trabelsi prend de la distance critique qui manquait à ces prédécesseurs, pour établir une notice plus conforme aux usages contemporains de l'histoire, qu'il fait suivre d'une petite liste bibliographie. Mais il convient de s'interroger sur l'opportunité de relancer à nouveaux frais des recherches biographiques, et encore sur le sens qu'il conviendrait de donner à une telle entreprise. L'historien(9) Jacques Le Goff nous aide ici pour répondre à une telle question lorsqu'il notait: «La biographie ne me retient que si je peux…réunir autour d'un personnage, un dossier qui éclaire une société, une civilisation, une époque»(10). Dans ce travail, notre perspective se veut moins ambitieuse que celle de Jacques Le Goff puisqu'elle se veut réflexive.
Les travaux de Talbi sont souvent devenus objets de réflexions, d'analyses, d'observations(11), et il convient sûrement d'en reparler un jour avec toute l'attention, le respect, l'honnêteté intellectuelle qu'on leur doit et qu'ils méritent amplement. Car cette œuvre qu'elle recueille la plus large adhésion ou qu'elle suscite certaines critiques, ne laisse jamais personne indiffèrent. Et cela vaut pour tout lecteur ou auditeur, qu'il soit universitaire, chercheur, journaliste ou encore, tout simplement, quelqu'un faisant partie de ce «grand public», attiré par les questions historiques et/ou civilisationnelles.
Mais ces quelques mots n'ont, bien entendu, aucune vocation de présenter, même dans ses grandes orientations, cette œuvre de fondateur qu'a accomplie Mohamed Talbi. On peut seulement dire que, dès ses premiers livres(12), Mohamed Talbi a ouvert une brèche dans l'univers souvent clos et conservateur de la recherche sur le haut Moyen-âge ifrîquien. D'article en article, d'un ouvrage à l'autre, il renouvelle, voire révolutionne, l'approche historique du patrimoine Maghrébin de l'époque arabe classique, en privilégiant une démarche pluridisciplinaire, en faisant appel non seulement à philologie, la philosophie, la psychologie historique et à l'anthropologie sociale, mais aussi aux documents archéologiques.
Une question fondamentale sous-tend une grande partie de ses écrits: Comment identifier la pensée maghrébine du Moyen-âge? Comment est-elle constituée? Comment peut-on la reconstituer, la suivre dans son cheminement historique? À travers ses travaux d'historien, Talbi explose ses outils et ses techniques d'analyse de cette problématique, il examine les documents, se concentre sur quelques exemples dans ses articles, interroge le sens de l'histoire chez les penseurs maghrébins du moyen-âge(13), analyse leurs grandes créations littéraires de l'époque aghlabide pour réfléchir enfin sur le développement de cette pensée maghrébine dans la longue durée(14). Dans ses travaux historiques, Talbi parle de «flux et de reflux» de populations, de «montées ou descentes» de marées conjoncturelles et du corps social(15). Il hésite parfois sur l'utilisation de la perspective braudelienne de la longue durée et se souvient des réserves de Claude Lévi-Stauss sur «le trop long temps non maîtrisé». Cela ne donne qu'originalités à son travail d'historien qui n'aime pas se voir emprisonner pas un cadre méthodologie défini à l'avance.
Après plus de cinquante ans de production académique, y a-t-il une pression forte et durable de Mohamed Talbi sur l'Ecole historique tunisienne? Autrement dit, Mohamed Talbi a-t-il une postérité universitaire qui utilise la même instrumentalisation? L'œuvre de Mohamed Talbi appelle certainement à être reprise là où elle fut laissée, comme un «chantier», comme une «entreprise» qui demande un temps de respiration et l'affinement de nos instruments mentaux.

Mohamed-Arbi Nsiri
Historien - Université Paris-Nanterre
(1)Talbi (M), Réflexion d'un musulman contemporain, Casablanca, Fennec, 2005; Ibid, L'Islam n'est pas voile, il est culte: rénovation de la pensée musulmane, Carthage, Cartaginoiseries, 2010; Ibid, Dieu est amour: guide du musulman coranique, Tunis, Nirvana, Tunis, 2017.
(2)Collectif, Mohamed Talbi (1921-2017), Carthage, Beït El Hikma, Carthage, 2017.
(3)HayetAmamou, «Mohamed Talbi: pour ne jamais oublier», in Les Cahiers de Tunisie, 214/215, 2012 [2018], p.155-157 (article en arabe).
(5)Talbi (M), Ma religion c'est la liberté: l'islam et les défis de la contemporanéité, Tunis, Nirvana, 2011.
(6)Filali-Ansary (A), «Mohamed Talbi. Comment peut-on être musulman aujourd'hui ?», inRéformer l'islam? Une introduction aux débats contemporains, Paris, La Découverte, 2005, p. 167-176.
(7)Héni (T), Mohamed Talbi face aux problèmes du monde musulman, Tunis, Qalam, 2015 (livre en arabe); Achour (N-T), Pour et contre Talbi, Tunis, Sotumedias, 2018 (livre en arabe).
(8)Dosse (F), Le pari biographique. Ecrire une vie, Paris, La Découverte, 2005, p. 64.
(9)Collectif, Mélanges offerts à Mohamed Talbi à l'occasion de son 70ème anniversaire, La Manouba, Université de la Manouba, 1993; Collectif, The Religion of the Other: Essays in Honour of Mohamed Talbi, Londres, Maghreb Publications, Londres, 2013.
(10)Le Goff (J), À la Recherche du Moyen Âge, Paris, Le Seuil, 2006, p. 260-261.
(11)Kurzman (Ch), «Mohamed Talbi, Religious Liberty», in Liberal Islam: A sourcebook, Oxford, Oxford UniversityPress, 1998, p. 161-168; Nettler (R-L), «Mohamed Talbi on understanding the Qur'an», in Modern MuslimIntellectuals and the Qur'an, Oxford, OxfordUniversityPress, 2004, p. 225-239.
(12)Talbi (M), Al-Mukhassass d'Ibn Sïda, Tunis, Imprimerie officielle, Tunis, 1956; Ibid., L'émirat aghlabide (186-296/800-909): histoire politique, éd. Adrien Maisonneuve, Paris, 1966; Ibid., Biographies aghlabides extraites des Madarik du Cadi Iyād, Tunis, Imprimerie officielle, 1968.
(13)Talbi (M), «Ibn Ḫaldūn et le sens de l'Histoire», in StudiaIslamica, 26, 1967, p. 73-148; Ibid., Ibn Khaldûn et l'Histoire, Tunis, MTE, 1973.
(14)Talbi (M), Kairouan au temps des Aghlabides: le monisme doctrinal et ses débuts, Tunis, Sotumedias, 2017 (livre en arabe).
(15)Talbi (M), Etude d'histoire ifrîqiyenne et de civilisation musulmane médiévale, Tunis, Université de Tunis, 1982.


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