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Tunisie - Libye: Le rêve de l'accord de Djerba
Publié dans Leaders le 12 - 01 - 2021

Par Slah Ferchiou - Le hasard voudra que Slah Ferchiou, proche de Bourguiba, assureur de profession avant de fonder un groupe alimentaire de référence dans les viandes, se retrouve, il y a dix ans, début janvier 2011 à Djerba, en vacances à l'hôtel Ulysse Palace. Le lieu est chargé d'histoire. N'a-t-il pas vécu la rencontre historique entre Bourguiba et Kadhafi, le 12 janvier 1974, et la signature de l'accord d'union entre la Tunisie et la Libye. A la radio, Mohamed Masmoudi, alors ministre des Affaires étrangères et artisan de cet accord, annonçait la naissance de la République arabe musulmane (RAM). «Nous allons y ramer», commentera-t-il avec son sens de la formule. Quand des journalistes français traduiront la nouvelle appellation en République arabe islamique (RAI), il acquiescera en répondant : «Ça sera sur mis sur les rails.»
Slah Ferchiou est le fils du cheikh Abdeslam Ferchiou, un homme pieux, imam et notable respecté de Monastir et du Sahel, qui avait accueilli, lors de l'invasion italienne de la Libye, au début du siècle dernier, le roi du Fezzan et les siens. Patriote, généreux, aux nobles valeurs, il avait offert son hospitalité aux illustres voisins et frères réfugiés. Depuis lors, leurs relations ne se sont pas interrompues, se transmettant entre les générations montantes.
Slah Ferchiou a gardé un vif souvenir de cette relation et un grand intérêt pour la Tunisie-Libye. Consignant son émotion et ses réflexions à l'hôtel, il avait écrit le texte suivant, les 9 et 10 janvier 2011. Dix ans après, il le retrouve dans ses archives et le complète. Rapportant des propos qu'il tient de Bourguiba, il révèle une autre prémonition du ‘'Combattant Suprême'': «C'est dommage, cette union n'a pas été comprise, refusée par certains militants...Kadhafi n'est pas éternel et il va disparaître un jour ou l'autre… Mais nos peuples seront toujours dans cette partie de l'Afrique du Nord…»
Je viens de passer quelques jours à Djerba, et un désir pressant m'amena à loger à l'hôtel Ulysse Palace qui représente pour moi et pour les hommes de ma génération un lieu «mystique». Depuis l'antiquité et la légende du «jus d'aloès», breuvage qui amena Ulysse à séjourner durant plusieurs années sur cette île.
L'île regarde avec dignité le continent africain auquel elle est reliée par une voie bâtie par les hommes que les historiens attribuent aux Romains appelée ‘'chaussée romaine''. Je dirais «chaussée djerbienne». Elle abrite - faut-il le rappeler - une des plus anciennes synagogues de l'histoire de l'humanité : «la Ghriba». Un jardin haut en histoire, culture, légendes et rêves.
Mais l'histoire s'enchaîne-t-elle à des rendez-vous qui échappent sur l'heure mais qui remontent plus tard avec un impact profond - et je veux aujourd'hui rappeler aux concitoyens de mon âge (plus de 75 ans), aux jeunes Tunisiens, à mes enfants et à leurs enfants... la date du 12 janvier 1974. Elle marque la rencontre historique entre deux hommes hors du commun, le père de la nation tunisienne, le ‘'Combattant Suprême'' Habib Bourguiba, l'homme qui a consacré sa vie à l'instauration de la liberté et de la dignité pour son peuple, et le leader de la révolution libyenne Mouammar Kadhafi. «El Kaïed» est un combattant acharné depuis 40 ans du colonialisme et de l'injustice, partout où l'appelait sa conviction en Afrique, dans le monde arabe et même en Irlande, aux Amériques.
A l'hôtel Ulysse, durant trois jours, en ce début de janvier 2011, je m'installais sur la véranda au bord de la mer, et mon regard ne se détourna pas de la direction Sud-Est, au loin, je dévoilais la côte libyenne, à partir de Zarzis, Zouara, Ras Jedir...Des questions se posent à moi ! Mais, où suis-je ? Chez moi, ici et là-bas ? Qu'est-ce qui sépare les populations habitant dans toutes ces régions ? Rien ! Même langage, mêmes habitudes culinaires, bien sûr, mêmes croyances... mêmes légendes héritées de nos ancêtres...un commerce ancestral forcément bénéfique à tous.
Mes souvenirs sur «l'acte» historique à Djerba se bousculent, oui, à quelques mètres du fauteuil où je suis installé face à la grande et merveilleuse bleue. Un événement extraordinaire a eu lieu le 12 janvier 1974 - l'acte de l'union de nos deux contrées signé par nos deux chefs d'Etat.
Permettez-moi de vous rappeler - à tous ceux qui n'ont pas vécu cet événement - que le président Bourguiba, qui m'a fait l'honneur de me recevoir très souvent, jouissait de toutes ses facultés intellectuelles et ne se laissait pas influencer à cette période de sa vie (70 ans).
Je pense, avec le recul, et en me rappelant tous les commentaires qu'il me faisait sur cette affaire, que Bourguiba n'a pas été pris au dépourvu ce matin du 12 janvier, le rapprochement avec la Libye lui a toujours parcouru l'esprit. Il me rappelait souvent que sa famille a pour origines Misrata et m'a ordonné de changer le nom de la rue où est bâtie sa maison paternelle à Monastir pour lui donner le nom de «rue des Tripolitains» (حي الطرابلسيّة). Faut-il aussi rappeler qu'il a traversé cette contrée à pied au moment où il fuyait la police française, a été accueilli, protégé et soutenu par les Libyens durant les années 36?
L'Union du Maghreb est un rêve de plusieurs générations. Je citerais - pour ceux qui ont fait leurs études à Paris - l'Association des étudiants musulmans nord-africains, créée après la première guerre mondiale (Amena).
Cette association a regroupé, dans son local du 115 Boulevard Saint-Michel, plusieurs générations d'hommes et de femmes qui ont pris, plus tard, les destinées des pays du Maghreb. J'ai été, durant deux ans, membre du bureau et vice-président de cette association, et nos rêves, nos souhaits étaient d'entamer l'unité du Grand Maghreb dès l'avènement de nos indépendances.
Je reviens donc à l'événement et dois rappeler la proposition de projet d'union de la Tunisie et de l'Algérie, avancée par Boumediene au Kef. Bourguiba n'a pas dit non, mais a demandé dans une première étape de rattacher le département de Constantine à la République Tunisienne, se basant sur le fait que durant des siècles, cette région dépendait des beys de Tunis. Bien entendu, Boumediene changea de sujet.
En septembre 1973, lors de sa visite à Tripoli, Bourguiba s'est ouvert à Kadhafi, déçu par les positions égyptiennes sur une proposition d'union, et il lui a dit: «Non, pas...avec des Levantins, vous devez regarder l'Ouest et non l'Est. Venez en Tunisie, ce serait plus sérieux».
L'invitation est lancée par Bourguiba, il sait ce qu'il dit. A mon avis, il voulait, au fond de lui-même, un rapprochement très important avec la Libye, et pense que la Libye doit se détourner du Machrek pour s'intégrer plus dans le Maghreb.
Le bon grain est semé dans les têtes des hommes, Kadhafi et Bourguiba. Je suis sûr que les deux hommes y pensaient, en pesaient et soupesaient les avantages et les difficultés.
Bourguiba, durant ses longues promenades en solitaire, réfléchit. Il dévoile rarement ses plans, ses stratégies, lance un mot, une phrase... Ceux qui le connaissent bien sentent qu'il est loin et qu'il essaie de deviner ce que sera la Tunisie dans vingt ou trente ans, dans quel environnement le pays pourra avancer, se maintenir dans le peloton des pays émergents, avec ses cadres universitaires, ses hommes de valeur...
Lorsque Kadhafi demanda à venir pour discuter avec Bourguiba, il proposa comme lieu de rencontre Zarzis ou Médenine (où il se sent dans son environnement). Bourguiba, après réflexion, accepta la rencontre, mais à Djerba et à l'hôtel Ulysse qu'il connaît bien.
Je suis sûr que l'histoire et le passé de l'île ont brillé dans ses yeux d'un bleu méditerranéen.
Je suis sûr encore qu'il pensait à l'union avec la Libye, en allant vers Djerba. À titre de rappel, Bourguiba, Premier ministre du Bey au début de l'année 1957, s'est rendu à Dhibet (frontière libyenne) où il prononça les mots suivants : «Nous sommes une seule nation réunie autour d'un même drapeau».
Je suis sûr encore qu'il n'en a parlé à personne de son entourage. Tahar Belkhodja, ministre de l'Intérieur à l'époque, l'affirme.
La minute de vérité, de spontanéité - face à face entre les deux hommes - était suffisante pour qu'ils réalisent leurs rêves (pas forcément les mêmes niveaux), rêve pour leurs peuples, pour la géostratégie globale de la région, rêve enfin pour un début de réalisation du Grand Maghreb.
L'union avortée
Le président Bourguiba était accompagné de Tahar Belkhodja, Mohamed Essayeh, Habib Chatti et Allala Laaouiti. Masmoudi et Hassen Belkhodja étaient arrivés à Djerba la veille du 12 janvier et se sont entretenus avec Kadhafi. L'acte d'union et la liste du futur gouvernement ont été écrits ce soir-là.
À leur retour de Djerba, au salon d'honneur, Bourguiba a reçu deux coups de téléphone, l'un de Hedi Nouira, le Premier ministre, qui était ce jour-là en Iran, et l'autre de Wassila Bourguiba qui était à Beyrouth.
Le président algérien Houari Boumediene a très mal accueilli ce projet. Lorsque Bourguiba lui a téléphoné, le lendemain, pour lui proposer de rejoindre les deux pays frères, il lui a répondu qu'il était contre ce projet et qu'il ne prenait pas le train en marche.
Un nombre important de personnalités politiques s'opposait à une union complète avec la Libye tandis que d'autres ont bien accueilli cette initiative et y ont vu un avenir meilleur pour leur pays et leurs enfants. Par ailleurs, l'accord signé prévoit un référendum des deux peuples pour son application dans un délai de quelques jours, prévu le 18 janvier.
Or, la Constitution tunisienne de 1959 ne prévoyait pas de référendum. Cette disposition prévoit un délai de trois mois pour être votée définitivement. Cette situation a constitué un motif valable présenté à Kadhafi pour retarder l'accord.
Après plusieurs consultations, Bourguiba a pris la décision de remettre ce projet à plus tard.
Aujourd'hui, en ce début d'année 2021 que penser de cet acte d'union?
On ne peut pas refaire l'histoire, mais on peut rêver.
La Libye a des richesses énormes, les plus importantes du bassin méditerranéen, en pétrole et en gaz. Son peuple est en train de s'entretuer pour le pouvoir. Mais je continue à croire que les Libyens font le jeu de très grandes puissances occidentales, de la Turquie, de la Russie et de leurs serviteurs.
La Tunisie, de son côté, est au bord de la faillite. Ses quelques richesses sont gaspillées et dilapidées par un système politique soi-disant démocratique, et fait le jeu d'hommes politiques incapables, irresponsables et opportunistes, alors que sa population est formée d'hommes et de femmes qui comptent parmi les meilleurs à l'échelle mondiale dans les domaines scientifique, médical, culturel et même financier. Le système politique actuel, issu d'une révolution « téléguidée » de l'étranger, est inapplicable à notre société arabo-musulmane.
Il suffit de faire la liste de tous les pays arabes, du Maghreb jusqu'au Golfe, et de constater que les peuples n'ont pas assimilé la démocratie telle qu'elle est appliquée en Europe et en Amérique…
Les Tunisiens et les Libyens forment, depuis des siècles, une même population : la langue, la culture, les habitudes culinaires, le mode de vie, les traditions et les croyances sont les mêmes. Plusieurs villes tunisiennes ont des quartiers appelés «حي الطرابلسيّة», «quartier des Tripolitains». J'ai toujours présent à l'esprit que la famille Bourguiba a pour origine Misrata, située à une centaine de kilomètres à l'est de Tripoli.
La décadence de notre région, après la perte de l'Andalousie et la chute de la ville de Grenade, a eu pour résultat l'invasion de notre pays par les régimes du nord de la Méditerranée. Les derniers colonisateurs français, anglais et italiens ont imposé des frontières artificielles à nos pays. Celles-ci ne sont, à ce jour, toujours pas acceptées par les habitants des régions frontalières du sud tunisien et de l'est libyen.
Pour être fidèle à l'état d'esprit du leader Habib Bourguiba, je complète ce texte pour les historiens et pour nos enfants. Je répète mot à mot ce que m'a dit le Président lors d'une promenade dans le parc du Palais de Skanès à Monastir un an après :
«C'est dommage, cette union n'a pas été comprise, refusée par certains militants. Si Hédi n'a vu dans cette opération que la nomination de Kadhafi comme vice-président de la Tunisie, cela est dû au fait qu'il ne l'apprécie pas.»
Après quelques minutes de silence, Bourguiba ajouta :
«Kadhafi n'est pas éternel et il va disparaître un jour ou l'autre… Mais nos peuples seront toujours dans cette partie de l'Afrique du Nord…»
J'ai senti dans ces paroles beaucoup de regret et d'amertume.
Le rêve de Bourguiba, et de beaucoup d'autres Tunisiens, d'unifier nos deux pays se concrétisera un jour. Incha Allah.


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