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La belle aventure de Biladi ou la naissance de la presse populaire en Tunisie
Publié dans Leaders le 02 - 11 - 2010

Dimanche 20 novembre 1977. Dans son bureau du 2ème étage du siège du PSD à la Kasbah, Abdelhak Chraiet, fondateur-directeur de l'hebdomadaire "BIiladi "piaffe d'impatience. Son rédacteur en Chef, Abdelwahahed Mahroug tarde à lui soumettre la "une" du numéro du lendemain. La veille, un évènement capital s'était produit : à la surprise générale, Sadate s'est rendu en Israël. Jusqu'à la dernière minute, le secret a été bien gardé. Satisfaction en occident, mais émoi dans le monde arabe où déjà on crie à la trahison et au "lâchage". En Tunisie, on garde un silence prudent, mais la déception est grande. Les Tunisiens se souviennent: pour moins que ça, Bourguiba avait été traité de tous les noms par Sawt El Arab en 1965 après le discours d'Ariha.
Et voilà que la même station couvre de louanges le raïs qualifié de « messager de la paix ». Abdelhak imagine déjà un titre choc :« ‘Idimoul Khiana ». Pour un titre choc, c'en était un. Mais a-t-il pensé aux conséquences ? Pour le moment, il n'en a cure. Et voilà que Abdelwahed entre. Il soumet aussitôt la maquette à son directeur. Abdelhak écarquille les yeux, il croit rêver : un combat de béliers (c'était la mode à cette époque) en pleine page à la une, alors que le monde entier est en ébullition ! D'un geste rageur, il déchire la page, prend un bout de papier et un crayon et commence à esquisser, grossièrement, la "une" telle qu'il la conçoit. Deux grands portraits de Sadate et Begin (alors Premier ministre d'Israël ) avec au milieu une croix gammée et juste au dessus des portraits, un titre barrant la page, le fameux titre.
Sans le savoir, A.C vient de signer l'arrêt de mort du journal. Comme prévu, Biladi sort le lendemain. A 10 heures, le couperet tombe. Le directeur est remercié et le journal, suspendu. Trente trois ans plus tard, Abdelhak Chraiet se souvient de ce lundi noir comme si c'était hier. Mais il n'en démord pas : "si c'était à refaire; je referai la même chose" reconnaît-il, "j'avais le pressentiment, ajoute t-il que cela allait être fatal au journal et à moi-même, mais la colère et l'indignation étaient trop fortes pour que je puisse les contenir. Il me fallait un exutoire. C'était le journal."
Ainsi prend fin -provisoirement, parce qu'il y aura d'autres suspensions et d'autres reparutions - une belle aventure qui avait commencé le 1er juin 1977 à Paris, lorsque Hédi Mabrouk, alors ambassadeur en France, lui conseille d'éditer un hebdomadaire pour notre colonie tunisienne à l'étranger. lI lui en propose même le titre, Biladi. C'est que le besoin se faisait sentir d'encadrer la population émigrée qui était (déjà) travaillée par des courants politiques contradictoires ( baath, extrême gauche, et bientôt l'intégrisme religieux).
Abdelhak avait 32 ans et préparait une licence d'arabe à la Sorbonne. Mordu de journalisme (il le pratique depuis l'âge de...16 ans au journal parlé en langue arabe), l'idée de diriger un journal n'était pas pour lui déplaire. Il en rêvait même. Il s'empresse donc de donner son accord. On lui remettra, l'équivalent de 8000 dinars à charge pour lui de former une équipe de journalistes, d'imprimer le journal et de le vendre. Il fera appel à ses vieux amis, Naceur Klibi, représentant de la radio tunisienne auprès de l'Ortf,, l'ancêtre de France-Télévisions et à Boudidah et Sahnoun pour rédiger quelques rubriques en dialectal (une nouveauté dans la presse généraliste, car seuls les journaux satiriques des années 30 et 40 y avaient recours). Le reste, il s'en chargera. Il fera imprimer le journal chez Noureddine Ben Mahmoud, un intellectuel tunisien installé depuis longtemps à Paris, propriétaire d'une vieille imprimerie du côté de la rue Parmentier, dans le Xème.
Quant à la distribution, il fera du porte à porte, allant à la pêche au lecteur dans les cafés, les foyers, les HLM, leur lieu de travail. Il fera quatre numéros. Au beau milieu de l'été, Abdelhak avait épuisé toutes ses économies. Il contacte ses amis à Paris et Tunis, l'ambassadeur. En vain. Découragé, il s'apprête à rendre son tablier. Mais, il se ravise très vite. Il n'est pas homme à se laisser abattre. Il rentre à Tunis, contacte les dirigeants du PSD, leur explique l'intérêt qu'il y a à garder un tel journal compte tenu de l'importance croissante de la colonie tunisienne en Europe. Ses interlocuteurs, d'abord sceptiques, finissent par se rendre à ses arguments et décident même de parrainer le journal, sans pour autant s'immiscer dans sa ligne éditoriale. Depuis, le journal sera tiré sur les presses de Dar El Amal. On lui offre même l'hospitalité dans les locaux du siège flambant neuf du parti à la Kasbah. A.C fait le voyage à Tunis, recrute quelques amis et le journal redémarre.
Un bol d'air frais dans la presse tunisienne
Biladi apporte un nouvel esprit dans une presse tunisienne ankylosée, la "Une--vitrine des rubriques variées, un ton direct à la limite de l'insolence, parfois iconoclaste reflétant le tempérament de feu de son directeur, ses sujets proches des préoccupations du lecteur, un style jeune, alerte, simple qui plait aux jeunes. Tout le contraire du style guindé de la presse tunisienne de cette époque avec ses titres banals ses articles ennuyeux et sa mise en page d'un autre âge. Manifestement le journal plait et gagne chaque semaine de plus en plus de lecteurs des deux côtés de la méditerranée 20000, 30000, 40000. Le tirage monte, monte jusqu'à atteindre 120000, dont 30000 étaient diffusés en France (chiffre jamais égalé ni approché par un journal tunisien à ce jour) à la veille de sa première suspension. en novembre 77.
A.C se démène comme un diable. Il se charge même de la promotion du journal (galas artistiques, représentations théâtrales auxquels sont conviés les lecteurs et leurs familles). On est certes loin des temps héroïques du début. Mais, il n'a rien perdu de son enthousiasme. Le succès aidant, le journal acquiert une certaine immunité et Abdelhak va en profiter pour aborder des sujets tabous. Il ira même jusqu'à réserver deux pages entières aux activités syndicales rédigées par Néji Chaari, un proche de Habib Achour où on s'attaque aux patrons et aux entreprises off shore accusés d'opprimer le travailleur, alors qu'au même moment le régime et l'ugtt étaient à couteaux tirés (on était à quelques mois du 26 janvier 78). Ceci sans parler du sport qui accapare à lui seul le tiers du journal (une autre nouveauté).
Le journal sera donc suspendu en novembre 1977. Trois mois plus, il reparait avec un nouveau directeur, Houssine Maghrébi qui était l'un des intelllectuels les plus en vue du parti. Avec lui, Biladi prendra une orientation plus littéraire, plus élitiste. En 1980, c'est Hédi Ghali, rédacteur en chef du journal parlé à la RTT qui lui succèdera. Les choses vont alors prendre une autre tournure avec la disparition des rubriques qui avaient fait le succès du journal. Résultat : une baisse vertigineuse des ventes et une migration des lecteurs vers les autres journaux comme El Bayane et bientôt Les Annonces, deux nouveaux sur la scène médiatique. En juillet 1983, sur intervention personnelle de Bourguiba, retour au bercail de Abdelhak Chraïet qui se morfondait dans le poste de chargé de mission auprès du directeur du parti qu'il occupait depuis son départ de Biladi. Et retour à la case départ pour le journal. Pendant six mois, A.C va donner la pleine mesure de son talent.
Si Biladi" marque la naissance de la presse populaire en Tunisie et l'émergence d'un lectorat populaire qui avait été, jusque-là, négligé apportant un bol d'air frais à la presse nationale, son directeur entrera dans l'histoire comme le père de cette presse qui va bouleverser le paysage médiatique tunisien et donnera naissance à cette génération de tabloïds qu'on connait aujourd'hui. On peut lui ajouter un autre titre: il est le précurseur du journalisme d'investigation dans notre pays. Ses anciens lecteurs ne sont pas certainement près d'oublier cette série d'enquêtes, d'une audace inégalée jusqu'à aujourd'hui, réalisée en 1984 sur les dealers qui étaient dans leur grande majorité des Tunisiens. Avec la bénédiction du commissaire divisionnaire, Marcel Morin, chef de la brigade des stupéfiants et des bonnes moeurs et la collaboration de Safia Bouchoucha, Abdelhak a vécu pendant deux mois dans ce monde interlope, partageant le quotidien des dealers à la manière des journalistes anglo-saxons. Il en rendra compte sur 4 numéros avant d'en interrompre la publication "de mon propre chef", précise t-il, après avoir constaté que les émigrés de retour au pays commençaient à faire l'objet de quolibets et traités de "Gabbara".
D'autres sujets tout aussi osés seront abordés toujours sous la plume du directeur du journal, comme les maisons closes de Tunis, les détenus tunisiens dans les prisons françaises, les prostituées tunisiennes à Paris, les malades du SIDA, une maladie alors inconnue, et cela, sans que personne ne lui fasse la moindre remarque même si beaucoup au parti commencent à se dire qu'il en fait trop.
Un contenu plus agréable, des titres accocheurs et un ton plus libre. Cela durera jusqu'au mois de février 1984. Quelques semaines à peine après la révolte du pain. Un article au vitriol sur la crise sous la plume de AC (décidément incorrigible) où tout le monde en prendra pour son grade et le journal est suspendu à nouveau. Mais cette fois-ci, on enfilera des gants pour s'en débarrasser, sachant l'affection que lui porte Bourguiba. On invoquera des raisons financières. N'étant pas dupe, car le journal était financièrement très solide, Abdelhak quittera défintivement le pays pour s'installer à Paris avec sa petite famille où il s'occupera du courrier diplomatique de l'ambassadeur puis, après le départ de Hédi Mabrouk, se contentera de petits boulots (correspondant à Paris de journaux tunisiens, travaux de traduction etc.) avant d'être chargé de la communication au Comité de coordination du RCD à Paris.
Quant au journal Biladi, il n'a pas survécu longtemps au départ de son fondateur. Il reparaît une troisième et dernière fois en juillet 1984. On fera appel à nouveau à Houssine Maghrébi qui retrouvera un journal moribond dont le tirage ne dépassait pas les 20000. Que pouvait faire si Houssine, sinon accompagner Biladi dans sa lente agonie qui durera jusqu'à 1986.
Tirant sur sa énième cigarette de la journée, Abdelhak Chraiet se remémore cette observation que lui avait faite, un jour, l'homme qui l'avait le plus marqué dans sa vie, Hédi Mabrouk : ماتنجّمها كان إنت sur mesure إنت مزوّر عملت جريدة
A.C a l'air d'apprécier. Il sourit.C'est peut-être, le meilleur compliment qu'on lui ait jamais fait.


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