Elyes Chaouachi, Riadh Jrad, Fethi Zouhair Nouri…Les 5 infos de la journée    Décès de Ameur Bahri, figure emblématique de l'Espérance sportive de Tunis    "The Voice Of Hind Rajab » film d'ouverture du Festival du film de Doha    Gaza: le bilan s'alourdit et dépasse 65 mille victimes    Ben Arous : mandats de dépôt contre onze intermédiaires informels pour spéculation    Ministre de l'Intérieur: « La Tunisie est confrontée directement à la menace cybernétique »    La Tunisie fixe le stock régulateur de lait pasteurisé pour 2025    Marwa Bouzayani : 4e place et nouveau record national aux Mondiaux 2025    Ilhem Bouaziz, nouvelle présidente du conseil d'administration de UIB Assurances    Mechket Slama Khaldi : la notation souveraine confirme la résilience économique de la Tunisie    Climat: la Tunisie mise sur la nature pour bâtir une résilience locale durable    Déviation partielle de la circulation près de l'Hôpital des grands brûlés à Ben Arous : prudence !    Mois du cinéma documentaire en Tunisie : une vitrine sur le cinéma indépendant et alternatif    Elyes Ghariani - La solution à deux Etats: clé de la justice pour les Palestiniens et de la stabilité régionale    L'IA désormais capable de détecter les signes précoces de la dépression    Kasserine : lancement d'un projet pilote pour gérer l'eau de ruissellement    Ligue 1 – championnat national (6e journée) – USM : Frapper un grand coup    Ligue 1 – championnat national (6e journée) – ESZ : Garder la boussole    Ligue 1 – championnat national (6e journée) – CAB : Enchaîner un nouveau succès !    Tunisie : une révolution médicale avec la nouvelle spécialité d'oxygénothérapie hyperbare    Bizerte : Plusieurs blessés dans le renversement d'un bus à Mateur    Enseignement supérieur : les bacheliers appelés à se connecter à l'application « Massari »pour confirmer leur inscription universitaire    DECES : Radhouane Ben Salah veuf de Nadra Sakka    Fin des privilèges à vie pour les anciens premiers ministres français    Diplomatie tunisienne : revenir aux fondamentaux et savoir avoir la politique de ses moyens    Les enseignants en grève partielle pour dénoncer le blocage du dialogue social    Global Sumud Flotilla : plus de 50 navires ont pris la mer pour livrer une aide humanitaire à Gaza    Abdelkader Ben Zineb : il y a une absence totale de coordination entre les fonctions législative et exécutive    Piraterie interdite : la FTF menace toute diffusion illégale des matchs de Ligue 1    Compétences tunisiennes en Corée du Sud : Un pilier de l'innovation sanitaire    811 écoles primaires privées en Tunisie    Crise des pharmaciens : Molka El Moudir dénonce l'inaction de la Cnam    Fadhel Jaziri - Abdelwahab Meddeb: Disparition de deux amis qui nous ont tant appris    Moins de chaleur, plus de vent : météo contrastée ce 17 septembre    Tunisie : La famille Mzali fait don d'une bibliothèque personnelle à la Bibliothèque nationale    Le dollar chute à son plus bas niveau depuis quatre ans contre l'euro    La Flottille de la Liberté mondiale en route vers Gaza : plus de 50 navires en mission humanitaire    Décès de Robert Redford légende du cinéma américain    Nafti renforce la coopération Arabo-Africaine à Doha    Opportunité pour les filles tunisiennes de devenir ambassadrice d'une journée    Maher Kanzari face à la commission    Fadhel Jaziri (1948-2025): La pensée et le spectacle    Olivier Faure (PS) appelle à faire flotter le drapeau palestinien sur les mairies le 22 septembre    Entre position et positionnement : la géographie ne suffit pas à comprendre la politique internationale    1,5 million de dollars pour faire de la culture un moteur de développement en Tunisie    Enthalpie et âme: une poétique de l'énergie vitale    Ons Jabeur en passe d'ouvrir une nouvelle académie pour jeunes talents à Dubaï    Le gouvernement prépare l'inscription de Sidi Bou Saïd au patrimoine mondial de l'Unesco    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Abdelaziz Kacem: De l'islamophobie ou l'échec de Vatican II
Publié dans Leaders le 17 - 11 - 2021

Nous autres, citoyens du Maghreb et du Machreq, nous qui sommes issus de la partie utile du monde arabe, la plus ancrée dans la civilisation, avons, à l'égard de l'Europe latine en général et de la France en particulier, en raison du voisinage géographique et des remous décisifs de l'histoire, des susceptibilités exacerbées. Le monde anglo-saxon a beau nous morigéner, on l'ignore, on hausse les épaules. En revanche, qu'un simple mot déplaisant nous vienne de l'Hexagone, et nous voilà outrés et l'on se rebiffe, et l'on demande excuses et réparations. Et les monolingues, mus par une haine impuissante, de molester les francophones.
Pourtant, les plus équilibrés, les plus sensés d'entre nous ne peuvent rester insensibles à une non moins stupide islamophobie qui atteint, aujourd'hui, dans le pays de Voltaire, un vertigineux paroxysme.
Depuis la disparition, en avril 1980, de J.-P. Sartre, pour ne choisir qu'une balise emblématique, la France est en mal de maîtres-à-penser. À présent, pour ne faire allusion qu'à un malfaisant plumitif, elle est honteusement «zemmourisée».
Qu'un tel voyou soit soutenu par un Houellebecq en perte de plateforme passe encore, mais qu'un philosophe libertaire, se disant un fils de Nietzsche, Michel Onfray, se fasse son complice (Le Nouvel Obs du 19 octobre 2021 le traite de comparse et d'inspirateur), c'est désespérant.
Paris a toujours eu une extrême droite virulente, mais habilement contenue. Elle est désormais aux portes de l'Elysée. Eric Zemmour, dit le Trump français, est crédité de plus de 17% des intentions de vote. Il dispute à Marine Le Pen le cauchemar d'une nouvelle expulsion des Morisques.
Echaudée, certes, par les odieux attentats que l'on sait, la France est plus que jamais exaspérée de voir ces barbes, ces hijabs et autres accoutrements déparer le décor, ou faire irruption dans les cantines scolaires pour vérifier si la nourriture fournie à leur progéniture est bien halal.
D'où vient le mal ? Et d'abord, les islamistes sont-ils les enfants légitimes de l'islam ou simplement une excroissance tumorale due à des exégèses morbides et à des manipulations auxquelles l'Occident a pris sa part ? La France, pays laïque par excellence, la France mitterrandienne, dès 1980, dès la mort du père de l'existentialisme, s'était rangée du côté de l'Amérique de Reagan pour soutenir, en Afghanistan, la secte la plus fanatisée de l'islam, celle des moudjahidin contre le régime communisant laïque de Kaboul, dont le tort était de vouloir faire entrer le pays dans l'Histoire. Plus tard, la France se pliera de nouveau aux impulsions américaines et participera à la guerre punitive contre la même secte, naguère amie. Elle savait pourtant qu'aucun Afghan n'était impliqué dans les attentats du 11-Septembre.
En Syrie aussi, la France, dans le sillage des Américains, soutient, contre un régime laïque, des hordes d'islamistes, Nosra et Daech, plus sauvages encore que les Talibans.
Tout cela semble procéder, chez la Fille aînée de l'Eglise, à l'égard de l'islam, d'un aberrant «Je t'aime, moi non plus», au sens où l'entendait une expression paradoxale forgée par un chanteur à partir d'un bien subtil aphorisme de Salvador Dali.
L'islam n'a jamais laissé l'Occident chrétien indifférent. Il y a suscité, à travers les siècles, des sentiments très forts, oscillant entre hostilité et fascination. On en est actuellement à la répulsion.
L'islam premier a été perçu par Byzance comme une hérésie abrahamique. Dans l'Inferno de la Divine comédie, Dante fait subir au Prophète et à son gendre Ali le supplice réservé aux schismatiques qui ont semé la discorde parmi la communauté. On reprochera surtout à l'islam d'avoir puisé dans la réserve du Christ. La majorité des convertis étaient, dans les siècles premiers, des chrétiens.
L'historien canadien des religions Wilfred Cantwell Smith (1916-2000) écrivait que l'islam, depuis son apparition, inquiéta l'Europe. «Il ne faut donc pas s'étonner que Muhammad, plus qu'aucun autre guide spirituel, ait mauvaise presse en Occident et que l'islam y soit la religion mondiale la moins favorisée. Le Prophète – jusqu'à l'avènement de Karl Marx et l'ascension du communisme – lança à la civilisation occidentale le seul défi sérieux que cette civilisation eut à relever, à travers son histoire».
Dans le même ordre d'idées, l'orientaliste britannique William Montgomery Watt (1909-2006) renchérit : «De tous les grands hommes du monde, aucun n'a été autant calomnié que Mohammed. Il est facile de comprendre pourquoi il en a été ainsi. Pendant des siècles, l'Islam fut le grand ennemi de la chrétienté, car celle-ci n'était en contact direct avec aucun Etat policé comparable en puissance à la communauté musulmane. L'Empire byzantin, après avoir perdu ses provinces de Syrie et d'Egypte, était attaqué en Asie Mineure, tandis que l'Europe occidentale était menacée depuis l'Espagne et la Sicile…On alla jusqu'à transformer le nom de Mohammed en celui de Mahon, le prince des ténèbres. Au XIe siècle, les idées sur l'islam étaient d'une telle extravagance qu'elles eurent de fâcheuses répercussions sur le moral des combattants. On les avait préparés à s'attendre au pire de la part de leurs ennemis ; quand ils s'aperçurent que, parmi ces derniers, se trouvaient nombre de courtois chevaliers, ils se prirent de méfiance envers leurs propres chefs religieux. C'est pour remédier à cette situation que Pierre le Vénérable prit l'initiative de propager des renseignements plus exacts, sur Mohammed et sa religion. Depuis lors on a beaucoup fait dans ce sens, particulièrement au cours des deux siècles derniers, mais bien des préjugés subsistent encore»(1).
À bien regarder les hauts et les bas dans les relations Orient-Occident, force est de constater qu'au XIXe siècle et jusqu'à la première moitié du XXe, en dépit du colonialisme, l'image de l'islam et de son Prophète, était souvent positive. Il y avait même chez Goethe, Lamartine, Gautier, Hugo, Edgar Quinet et jusqu'à Aragon, ce que l'on avait appelé «L'islam des Romantiques»
Les années soixante du siècle passé s'ouvraient sous d'heureux auspices: la décolonisation allait bon train et l'entente religieuse, enfin, se consolidait.
Le IIe concile œcuménique du Vatican, dit Vatican II, est ouvert, en effet, le 11 octobre 1962 par le pape Jean XXIII. Ses travaux se termineront le 8 décembre 1965, sous le pontificat de Paul VI. Ce fut l'événement le plus important pour une amorce de la bonne intelligence interreligieuse. C'est la première fois qu'un Concile œcuménique rend hommage à l'islam. Dans le chapitre 3 de NostraÆtate (déclaration du concile sur les relations de l'Eglise catholique avec les religions non chrétiennes), Vatican II stipule : «L'Eglise regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu Un, Vivant et Subsistant, Miséricordieux et Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s'ils sont cachés, comme s'est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu'ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l'invoquent avec piété. De plus, ils attendent le Jour du Jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l'aumône et le jeûne.»
On ne saurait mieux résumer le dogme musulman. En faisant mention du Dieu Un, Vivant et Subsistant, cet article se réfère clairement et dans un esprit de communion véritable aux attributs coraniques al-Hayy et al-Qayyûm (Coran, II, 255et III, 2).
«Si, au cours des siècles, ajoute le texte, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s'efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu'à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté»(2).
«NostraAetate» précise qu'il «est d'une importance déterminante dans ce monde actuel que les forces religieuses agissent comme forces d'unité. Au cours de l'Histoire, la religion n'a cessé de paraître sous le visage du particularisme qui cause la séparation, la haine et la guerre. Et le christianisme, lui aussi, est imbriqué dans cette histoire»(3).
Suite à ce Concile historique, de nombreux colloques et rencontres islamo-chrétiens sont organisés à Beyrouth, Amman, Cordoue, Jérusalem, Lisbonne, Madrid, Melbourne, Rome, Salzbourg, Tripoli, Tunis. Plus rien maintenant. Et Zemmour de fulminer : Vatican II a affaibli le christianisme…
Vatican II a ouvert ses travaux qui allaient durer plus de 3 ans, le 11 octobre 1962, soit 20 jours avant le décès de l'homme qui a été pour beaucoup dans son avènement : l'islamologue insigne, l'arabisant immense, le grand ami de l'islam épuré, Louis Massignon. C'est à cet homme d'exception que sera consacré notre prochain article.
Abdelaziz Kacem
(1) Montgomery Watt, Mahomet à Médine, Ed. Payot, 1959, pp. 394-395.
(2) Concile œcuménique Vatican II, p. 215.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.