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Mohamed Salah Ben Ammar: La Grande désillusion
Publié dans Leaders le 24 - 02 - 2023

«Regarde-les donc bien ces apatrides, toi qui as la chance de savoir où sont ta maison et ton pays, toi qui à ton retour de voyage trouves ta chambre et ton lit prêts, qui as autour de toi les livres que tu aimes et les ustensiles auxquels tu es habitué. Regarde-les bien, ces déracinés, toi qui as la chance de savoir de quoi tu vis...» Stefan Zweig
En 1846 la Tunisie a aboli l'esclavage, soit deux ans avant la France. Par ailleurs la Tunisie est un des pays fondateurs de l'Union Africaine, la jeune République avait instauré le 15 avril comme journée de l'Afrique. Pourtant plus de 65 ans après l'indépendance notre politique africaine peine à se mettre en place. Par ailleurs et sur un autre plan plusieurs faits nous autorisent à nous interroger légitimement pourquoi dans notre imaginaire collectif la dimension africaine de notre culture est moins valorisante que la dimension arabe ou islamique ?
Lors d'une soirée, un ami entrepreneur de métier, nous a rapporté quelques anecdotes sur la vie des ouvriers Noirs sur ses chantier. Ainsi après 4 ans de travail en commun, leurs collègues tunisiens refusent encore de s'asseoir à la même table qu'eux, les Noirs mangent seuls dans leur coin. Souvent en fin de semaine, en rentrant du travail, ils se font arrêter quelques heures puis ils sont libérés…après avoir été dépouillés, étrangement les employeurs sont rarement inquiétés. Certains de ces ouvriers sont à la base des étudiants, d'autres footballeurs qui rêvent de devenir professionnels, quelques-uns ont réussi à signer une licence en faveur d'équipe locale. Un des présents n'a pas pu s'empêcher de remarquer que Sfax était devenue invivable à cause de ces clandestins. Avant d'ajouter qu'il était bien contents de les employer, il ne s'est pas gêné de préciser qu'ils étaient plus sérieux que les travailleurs locaux ! Les racistes ne sont jamais à une contradiction près. Une autre amie nous a rapportée l'histoire de sa femme de ménage Ivoirienne (étudiante à l'origine) qui vit clandestinement en Tunisie et qui avait peur de sortir dans la rue car elle se faisait régulièrement racketter par des voyous de quartier et elle n'avait jamais osé porter plainte ou même en parler.
Bref chacun a un vécu honteux à raconter. Ce n'est pas des faits divers isolés, ce n'est pas seulement des malentendus culturels, le mal est plus profond, il touche plus les clandestins mais il dépasse de loin le statut social de ces immigrés.
Comme toujours les sujets s'intriquent, immigration clandestine, travail sous-payé, pauvreté, racisme et la « petite bourgeoisie » bien installée dans ses certitudes intellectuelles peut donner libre cours à ses sentiments les plus bas. Comme si pour s'élever il fallait abaisser l'autre, sa culture, sa façon d'être. Un ethnocentrisme détestable.
Mais les Noirs, qu'ils soient riches ou pauvres, nationaux ou étrangers, ils sont tous logés à la même enseigne chez nous. Des lycéens fils de diplomates Noirs racontent que les taxis refusent de les prendre, pour arrêter un taxi ils sont obligés de demander à leurs copains tunisiens de le faire pour eux. Des médecins africains Noirs spécialistes, en stage dans nos hôpitaux rapportent des actes et des réflexions racistes. Lors d'une réunion médicale internationale, une jeune et brillante pharmacienne africaine noire m'a raconté d'une voix calme et uniforme un échantillon des vexations et remarques racistes qu'elle a subi dans les souks de Tunis alors qu'elle était venue passer une semaine de vacances chez nous. Je ne savais plus où me mettre. Au moment de la crise Ebola, un foyer d'étudiants a failli être fermé parce qu'une étudiante africaine Noire a eu de la fièvre suite à une angine. Une panique totale s'est emparée des responsables, cette étudiante vivait en Tunisie depuis 6 mois mais elle était Noire. Je passe sur les tests HIV et hépatite obligatoire pour les étudiants étrangers. Arrêtons ce répugnant inventaire des manifestations racistes, indéniablement le fait d'avoir une couleur de peau différente pose encore problème à certains !
Parmi les acquis d'une révolution que les réactionnaires dénigrent et les opportunistes dénaturent, figure en premier lieu la liberté de parole. Elle a permis d'aborder des sujets jusque-là refoulés. Le 09 octobre 2018, un premier pas a été franchi avec le vote par le défunt parlement d'une loi condamnant la discrimination raciale. Nous sommes sortis du déni, c'était un premier pas et nous pensions avoir désormais des instruments pour punir les actes racistes. Plus grande sera la désillusion ! Les stéréotypes incrustés dans notre culture ont la peau dure, ils se transmettent de génération en génération. Qui se souvient encore du feuilleton radiophonique ramadanesque Hadj Klouf, et de Marzouk un Noir, serviteur bien sûr et fort sympathique ? On ne voyait pas aucun mal, on le trouvait attachant…rien de bien méchant sauf que l'on projetait l'image du Noir naïf, toujours serviable avec un accent, en quelque sorte un étranger dans son pays. Comme on continue à projeter l'image du Noir musicien, danseur, sportif, exit les noirs chercheurs, écrivains, philosophes…
L'historien tunisien Salah Trabelsi est revenu sur les sources historiques de la discrimination envers les Noirs (par ailleurs les Berbères ne sont pas en reste) en Afrique du Nord. « Durant des décennies, le sujet a été biffé de l'histoire commune. Qu'ils en soient natifs ou non, les Noirs au Maghreb font l'objet d'une déconsidération doublée de discrimination. Contrairement au reste de la population, ils sont les seuls à être perçus comme l'incarnation d'un groupe exogène, repérable à des caractéristiques ethniques et socioculturelles présumées distinctes. » Le Monde du 24 février 2019
Les Fascistes et les Nationalistes militent pour nous culpabiliser et nous faire oublier ascendants berbères et Noirs. Ils veulent nous assigner une identité unique et une culture officielle uniforme. Ceux qui contestent un tant soit peu cet uniformisme sont traités de renégats, de traitres et de vendus à l'occident. Pour Salah Trabelsi « ce complexe obsessionnel témoigne d'une dépersonnalisation morale et culturelle…Ils montrent le caractère prégnant dans la culture arabe d'une négrophobie doctrinale, agrémentée d'une haine de soi. ». A ce stade vient à l'esprit du lecteur l'exemple de Bilal, l'esclave abyssinien noir, rendu libre suite à sa conversion religieuse ! Est-ce à dire que ce n'est qu'à travers la conversion à l'Islam qu'un Noir peut devenir un homme libre ?
Prenons la peine de plonger dans l'histoire de l'Afrique sub-saharienne, découvrons sa richesse culturelle, cela permettrait de faire sortir des ténèbres certains esprits et d'éliminer de notre imaginaire les stéréotypes. Découvrons à quel point les sociétés africaines sont diverses, attachantes, combien elles sont riches, d'histoire, de cultures, d'art, et de valeurs. « L'Afrique berceau de l'humanité a une foisonnante diversité : diversité des foyers d'hominisation aux temps les plus reculés de la Préhistoire ; diversité culturelle illustrée par les quelque 2 400 langues parlées ; diversité économique et politique millénaire ; diversité des formes d'interaction entre africains et avec le monde extérieur ; ces diversités sont le fruit de l'histoire ». Une histoire riche sciemment ignorée par un Eurocentrisme dominant. Il suffit de s'en donner la peine pour découvrir combien les africains sont raffinés, rares sont ceux qui ne parlent pas trois ou quatre langues. Partout sous cette poussière rouge caractéristique de l'Afrique sub-saharienne, on perçoit dignité et fierté et même l'extrême dénuement de certains endroits n'arrive pas à rompre le charme d'une beauté omniprésente, la nature est belle, les femmes, les hommes, les enfants sont beaux. Prenons la peine de dépasser nos préjugés.
Pour les simples à qui une couleur de peau dicte des conduites, le président poète, normalien Léopold Sédar Senghor chantre de la négritude répond dans son poème « Femme Noire » gazelles aux attaches célestes:
« Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
……..
Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle. »
Que l'on soit Noir, Blanc, Jaune, Rouge ou Incolore s'exiler à la recherche d'une vie meilleure est une souffrance, traverser le désert et la mer au péril de sa vie est une rébellion contre un destin injuste. Ces ingénieurs, enseignants, footballeurs, ouvriers ont fui la misère et la guerre, ils sont l'espoir de leur village, de leur famille, leur détresse devrait interpeller ce qu'il y a de plus humain en nous. Plus encore ne soyons pas hypocrites, cette main d'œuvre est devenue essentielle, beaucoup de secteurs ont besoin d'elle.
Evidemment nous ne sommes pas la seule société au monde à être confrontée aux problèmes de racisme et de xénophobie mais cela ne nous dispense pas d'en parler pour lutter contre ces bas instincts. C'est un combat de tous les jours et il se fait sur les détails de la vie quotidienne. Ce long et difficile combat commencé après la révolution doit se poursuivre. Il nous grandit.
L'Etat doit mener une lutte acharnée contre toutes les manifestations de racisme et de xénophobie.
L'argument de la clandestinité n'autorise pas tous les discours et encore moins la transgression des règles les plus élémentaires dues à tout être humain. Clandestins ou pas la loi s'applique de la même façon. Il faut dénoncer toutes manifestations de racisme si minime soit-elle. La tolérance zéro doit être la règle. Un travail sociétal doit être mené dès l'école primaire et se poursuivre dans les médias, lors des manifestations culturelles, sportives, académiques…
Un Etat qui se respecte, garantit les MEMES DROITS A TOUS, sans distinction. Et si reconduite à la frontière il doit y avoir, elle doit obéir, comme toutes choses, à des règles claires qui respectent les DROITS de l'HOMME.
Enfin rappelons-nous de nos concitoyens qui résident à l'étranger (TRE), ils représentent plus de 10% des tunisiens. Ce qui nous est détestable chez les autres l'est chez nous aussi. On n'accepte pas que les TRE, clandestins ou pas, soient mal traités en Europe. Il doit en être de même pour tous ces travailleurs immigrés que nous côtoyons tous les jours « Regarde-les bien, ces hommes…va vers eux, parle-leur, car cette simple démarche, aller vers eux, est déjà une consolation ; et tandis que tu leur adresses la parole dans leur langue, ils aspirent inconsciemment une bouffée de l'air de leur pays natal et leurs yeux s'éclairent et deviennent éloquents. » Stefan Zweig
Mohamed Salah Ben Ammar
Texte écrit le 06 Janvier 2019 revisité 2023


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