Dans une interview qu'il a accordée, avant-hier, à la chaîne privée Al Hiwar Ettounssi et au journal «Le Maghreb», le président de la République, Béji Caïd Essebsi, est revenu sur tous les dossiers brûlants de l'actualité nationale. Conscient de la tension qui ne cesse de monter dans le pays, il a opté pour une attitude zen en commençant l'interview par un flash-back historique portant sur l'histoire de la bibliothèque où a été filmée l'interview. Une sérénité qui a d'ailleurs prévalue tout au long de l'entretien et même lorsqu'il avait à répondre à des questions dites qui fâchent. Le volet politique, qui n'a certes pas dominé tout l'entretien, a été le plus marquant : cherchant à rassurer ceux qui l'avaient soutenu lorsqu'il était candidat à la Présidentielle, Béji Caïd Essebsi a repris, un peu, de son attitude et de ses discours d'avant le palais. C'est ainsi qu'il n'a pas cherché à protéger ses alliés lorsqu'il a évoqué le verdict du non-lieu prononcé dans l'affaire de l'assassinat de Lotfi Naguedh. Exprimant son insatisfaction, BCE est revenu sur les Ligues de protection de la révolution (LPR) dissoutes en assurant qu'elles ont été liées, directement, à la Troïka, précisant toutefois que quelques jours de l'assassinat de Naguedh, Ettakatol s'en était retiré. Profitant de ce passage, le président est revenu sur ses relations avec le mouvement islamiste en expliquant qu'il ne s'agit nullement d'une alliance mais d'une entente qui lui a été imposée par le choix du peuple qui a accordé à Ennahdha soixante-neuf sièges. En dépit de ses tentatives de se défaire de cette lourde alliance, Béji Caïd Essebsi n'était pas très convoquant concernant ce point et pour cause : une entente, ou une cohabitation comme ils aiment le dire, ne nécessite pas que le président se rende en personne au dixième congrès du mouvement et que le chef d'Ennahdha assiste et prenne la parole lors du congrès du mouvement de Nidaa Tounes. Cette attitude du déni de la part de Caïd Essebsi nous amène à nous poser la question de savoir s'il est au courant de tout ce qui se passe sur la scène nationale et surtout au niveau des partis. Pour le président, les partis ne sont pas en train d'accomplir correctement leurs missions puisqu'ils n'ont pas réussi à convaincre tout le monde de l'efficacité et de la nécessite de son initiative de la formation du gouvernement d'union nationale... Nidaa: une réponse décalée Interrogé sur les récentes évolutions qu'a connues Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi a campé sur ses positions – en tous cas celles qu'il avait lorsqu'il avait formé la Commission des treize qui avait pour mission de remettre de l'ordre au sein du mouvement – en annonçant, fermement, qu'il n'a pas l'intention de recevoir les différents clans du mouvement. Montrant, encore une fois, son soutien à son fils et à sa légitimité à la tête du Nidaa. Il s'est presque désintéressé du mouvement qui lui a permis de remporter les élections en expliquant qu'il ne recevra personne tant qu'un terrain d'entente n'aura pas été trouvé ensemble, par tous, pour pouvoir avancer. Là encore, sa réponse était décalée par rapport à la réalité parce que si les dirigeants de son parti demandent aujourd'hui à le rencontrer c'est parce qu'ils n'arrivent justement pas à trouver ensemble de solution à cette série de crises. Pour le verdict du non-lieu annoncé dans l'affaire de Lotfi Naguedh, BCE a exprimé son mécontentement tout en renouvelant son respect à l'appareil judiciaire et à son indépendance. Toutefois, il a rappelé que lorsqu'il était encore président de Nidaa Tounes, il avait lui-même organisé une conférence de presse durant laquelle il a présenté les preuves concrètes impliquant les LPR dans le meurtre. Sans aucune gêne, le président a confirmé l'implication d'Ennahdha et du CPR avec ces ligues qui leur étaient ralliées. Il vrai qu'avant d'accéder à la magistrature suprême, Béji Caïd Essebsi avait des positions assez courageuses : lors de l'assassinat du martyr Chokri Belaïd, il a été le seul à appeler à dissoudre l'Assemblée nationale constituante (ANC) et à organiser des élections prématurées. Lors de l'assassinat du martyr Naguedh, il n'avait pas hésité, non plus, d'appeler les choses par leur nom en pointant, directement, les doigts d'accusation vers la Troïka au pouvoir. Aujourd'hui, son rôle de président de la République et son ‘entente' avec Ennahdha lui imposent des réserves qui ne lui vont pas bien.... Sur la question de son absence des premières auditions publiques des victimes de la tortures, BCE a été évasif en avançant la chose et son contraire : d'un côté, il affirme être partisan de la justice transitionnelle, de l'autre, il remet en question la composition de l'IVD et sa légitimité, tout en rappelant qu'il s'agit de l'héritage de la Troïka et de l'ANC. Cependant, là où le président a été le plus vague, c'est en répondant à la question sur le bras de fer entre le gouvernement et l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) en ce qui concerne le report des augmentations salariales. Sans présenter aucune donnée réelle, il s'est entêté à répéter que la centrale syndicale n'ira pas vers la grève générale et que le gouvernement finira par convaincre tous les concernés par la nécessité du report des augmentations. La réponse a été tellement ambiguë que la conseillère du président a été obligée, le lendemain, d'aller expliquer la chose sur un plateau médiatique. Cependant, Saïda Garrach, c'est d'elle qu'il s'agit, n'a pas été plus convaincante que le président puisque toutes ses affirmations ne reposaient aussi que sur des hypothèses et des déductions... Béji Caïd Essebsi a réussi, en 2012, à rassembler des personnalités provenant de toutes sortes de tendances politiques aussi différentes les unes que les autres. Son charisme et son habilité à manier l'art de la communication lui ont facilité la tâche et ont fini par l'amener là où il se trouve aujourd'hui. Deux années et quelques poussières plus tard, l'ancien président du mouvement de Nidaa Tounes commence à perdre de son capital sympathie et ses apparences médiatiques lui nuisent de plus en plus à cause de ce sentiment d'inachevé qu'elle laisse chez ceux qui l'avaient soutenu et qui avaient cru en lui auparavant.