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«Notre système politique ne correspond pas au meilleur choix possible»
Publié dans Le Temps le 01 - 01 - 2017

‘Tunisie, une révolution en pays d'islam' tel est le titre du nouvel ouvrage récemment publié par le professeur de droit public, Yadh Ben Achour. Avec cette publication, Ben Achour refait surface sur la scène nationale après une petite éclipse. Pendant les premières années de la révolution, notre invité de la semaine avait en effet tenu un rôle majeur en présidant la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Une expérience jugée cruciale par certains et compromettante par d'autres. Au cours de cet entretien, Yadh Ben Achour revient sur ses expériences pour nous parler, à la fin, de son nouveau livre.
-Le Temps : Avec la polémique du retour des terroristes, certains politiciens appellent aujourd'hui à la révision de l'article 25 de la Constitution. Est-ce qu'une telle initiative est faisable en l'absence d'une Cour constitutionnelle ?
Yadh Ben Achour : Il faut faire attention à ce genre d'initiative ; il ne faut jamais aller, dans la précipitation, vers la modification de la Constitution. La Constitution est un texte qui nous a pris plus de trois ans entre les négociations et les débats pour être finalement adopté en janvier 2014 après de très pénibles confrontations au sein et en dehors de l'Assemblée nationale constituante (ANC). Ce texte représente un consensus général de toute la société tunisienne ; il a été voté par l'ANC au nom du peuple et, donc, il a un certain caractère sacral.
Il ne faut pas demander une révision de cette Constitution parce que nous risquons de retomber dans ce que nous avons toujours voulu éviter : faire de la Constitution un instrument entre les mains du pouvoir qui la change quand il le désire et nous en avons déjà fait l'expérience avec Ben Ali. Le président déchu a toujours considéré la Constitution comme un instrument ; il a introduit la limite des fonctions présidentielles à deux mandats (1988) et, lorsque les deux termes ont été épuisés, il l'a modifiée de nouveau afin de pouvoir se présenter à un troisième mandat. Par ailleurs, il manipulait la Constitution en fonction des circonstances comme il l'a fait avec M Ahmed Néjib Chebbi dont la candidature à la Présidentielle a été écartée grâce à une révision dudit texte. Ce jeu avec les règles constitutionnelles ne peut mener qu'au pires excès politiques.
Actuellement, nous avons une règle qui interdit d'empêcher tout Tunisie de retourner à son pays et qui interdit au pouvoir de déchoir de sa nationalité tout citoyen. C'est une règle qui a été inscrite dans la Constitution et il ne faut pas y toucher. La force d'un pays comme les Etats-Unis d'Amérique c'est justement le fait qu'ils considèrent leur Constitution comme sacrale et ils n'y touchent qu'en cas d'extrême nécessité. Par ailleurs, déchoir un Tunisien de sa nationalité va en faire un apatride, ce qui, d'un côté, est interdit par le droit international, notamment la convention sur la réduction des cas d'apatridie de 1961 dont la Tunisie fait partie et, d'un autre côté, ne va pas alléger sa dangerosité, au contraire ! Un terroriste apatride n'est pas moins dangereux qu'un terroriste de nationalité tunisienne. Sur le plan du droit international, il bénéficie même d'une protection meilleure.
-Le retour de ces terroristes ne représente-t-il pas une extrême nécessité ?
Non. En tout cas, il ne s'agit pas d'une nécessité qui requiert une révision de la Constitution. L'objectif c'est de neutraliser ces terroristes et nous avons, déjà, plusieurs moyens pour le faire ; nous disposons d'une loi antiterroriste (loi organique du 7 août 2015) qui permet de poursuivre les terroristes même si leurs actes ont été commis à l'étranger. Deuxièmement, nous avons des moyens administratifs préventifs (les juristes appellent cela la police administrative) ; il s'agit d'un pouvoir accordé à l'administration pour sauvegarder l'ordre public en cas de menace. Ce pouvoir existe, il faut le mettre en exécution. Pour la troisième possibilité, et s'il y a eu des actes terroristes qui ont été commis, nous pouvons très bien saisir, sur la base de l'article 14 du statut de Rome, et sous certaines conditions, la Cour pénale internationale parce que la Cour est compétente pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerres. Or, l'acte de terrorisme est à la fois, un crime contre l'humanité et un crime de guerre et relève, par conséquent, des compétences de cette même Cour malgré le caractère subsidiaire de la compétence de la Cour. Donc, le pays n'est pas dépourvu de moyens pour juguler le phénomène.
-D'autres appellent à la révision de la Constitution afin de changer le régime politique qui ne sied pas à cette jeune démocratie. Vous qui étiez le président de la Haute instance de la révolution êtes toujours critiqué aujourd'hui pour avoir fait les mauvais choix en 2011. Qu'en pensez-vous?
Nous n'avons pas fait de mauvais choix en 2011, les choix ont été dictés par la force des choses. Lorsque nous avons commencé à travailler au sein de la Commission des réformes politiques, avant qu'elle ne se transforme en la Haute instance de la révolution, notre optique était de réformer la Constitution de 1959 et d'organiser une élection présidentielle conformément à la même Constitution. Au début, il n'a jamais été question d'une nouvelle constitution ou d'élections constituantes. Mais, par la suite, ce choix a été, très vite, imposé par la rue et par la révolution et ratifié le 21 février 2011 au cours d'une réunion au palais de Carthage, sous l'égide du président provisoire de la République de l'époque, M Foued Mbazaâ. Nous avons constaté l'état de l'opinion et la pression de la rue ; ayant constaté que cette réclamation faisait presque l'unanimité, nous avons décidé de changer de cap et d'organiser des élections constituantes. Ce choix n'était pas celui des gouvernants de l'époque et encore moins celui de la Haute instance qui n'existait même pas à l'époque, c'est un choix qui a été dicté par le peuple et par l'Histoire. Le 3 mars 2011, M Foued Mabazaâ a prononcé son discours en annonçant la tenue des élections constituantes conformément à une loi électorale qui sera, plus tard, rédigée par la Haute instance. Le 27 mars, il y a eu le décret-loi qui a suspendu la Constitution de 59 et qui a dissout la Chambre des députés et celle des conseillers et qui a organisé le pouvoir provisoirement. Ce décret-loi représente la première petite constitution du pays.
-Cinq ans plus tard, comprenez-vous ceux qui ne cessent de critiquer ce système politique qui bloque le pays ?
Notre système politique ne correspond pas au meilleur choix possible. Je ne parle pas toutefois des principes généraux de la Constitution ; sur ce plan, elle demeure totalement satisfaisante. En revanche, sur le fonctionnement du pouvoir et du système politique, ce n'est pas l'idéal ; on aurait pu choisir un système plus simple et plus efficient. Malheureusement, nous avons choisi un système trop complexe. Je le dis expressément dans mon livre, ‘on a considéré la parole de Montesquieu (il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir) mais on a tellement bien fait que l'on risque d'arrêter le pouvoir au sens entier du terme ! Nous avons un système qui instaure une sorte de confrontation continuelle entre les pouvoirs et cela a s'est révélé lors de la présentation des dernières réformes fiscales par le gouvernement. Normalement, ce gouvernement travaille dans un régime parlementaire alors qu'il ne dispose même pas d'une véritable majorité parlementaire ! Il existe effectivement des grincements dans le fonctionnement du système. Peut-être, qu'à terme, il faudra changer cette Constitution pour la simplifier et pour rééquilibrer le pouvoir parce que le régime, tel qu'il fonctionne aujourd'hui avec la présidence de Béji Caïd Essebsi, ne correspond pas tout à fait au système politique prévu par la Constitution. Le pouvoir s'est déplacé vers Carthage alors que, normalement, il devrait être du côté de la Kasbah dans son rapport avec le Bardo. Je ne crierais pas au scandale si on été amené à modifier l'équilibre entre les pouvoir. En revanche, il serait inadmissible de toucher aux principes de la Constitution et ce surtout en ce qui concerne la protection des libertés publiques.
-Est-ce que le blocage que connaît actuellement le Conseil supérieur de la magistrature risque de durer selon vous ? Et, surtout, est-ce que cela risque de retarder encore plus la naissance de la Cour constitutionnelle?
Le régime ne peut pas fonctionner sans un Tribunal constitutionnel et on ne peut pas continuer à travailler avec l'Instance provisoire parce que le Tribunal a des pouvoirs et des prérogatives que n'a pas ladite Instance. Par conséquent, le problème doit être résolu et je pense que cela va être le cas. Il faut trouver une solution et il faut que toutes les parties prenantes prennent en considération l'intérêt général du pays. Beaucoup de choses dépendent de l'instauration du CSM et je compte sur la bonne volonté des uns et des autres pour trouver une solution qui nous permettra la mise en place des instances telles qu'elles ont été inscrites dans la Constitution.
-Votre nouveau livre parle de révolution alors que la tendance aujourd'hui explique que le 14 janvier 2011 était tout sauf une révolution.
Je consacre toute l'introduction de mon livre et, ensuite, tout l'ouvrage à réfuter cette thèse qui procède d'une erreur d'appréciation grossière sur le sens, la nature et l'Histoire des révolutions. Certains affirment même que cette révolution est, en réalité, un complot étranger (pour certains il s'agit d'un complot américain, pour d'autres, cela serait plutôt un complot sioniste). Pour moi, une révolution doit être jugée sur un segment de temps qui l'a vue naître et j'ai fait cela dans une partie du livre qui s'intitule la scénographie de la révolution. Aujourd'hui, nous disposons de moyens techniques pour revivre un événement ; il vous suffit de vous connecter pour retracer tout ce qui a été dit et fait lors de l'événement en question. Or, ceux qui prétendent qu'il n'y a pas eu de révolution ou qui estiment que cette dernière a été confisquée, sont victimes d'un jugement d'un événement, qui s'est produit il y a cinq ans, qu'ils font avec des yeux miséreux et décontenancés du présent. Il est vrai que cette révolution n'est pas idéale et que la situation du pays est mauvaise et, par conséquent, avec la frustration et la déception du présent, nous allons juger qui a eu lieu il y a cinq années. Or, il s'agit d'une fausse méthode pour apprécier. La révolution doit être évaluée selon deux éléments ; tout d'abord, sa scénographie particulière : il faut revoir le film de la révolution et examiner ce qui s'est passé entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011. Ces vingt-neuf jours sont cruciaux au cours desquels il s'est passé un événement imprévu, imprévisible et d'une portée considérable parce qu'il a mis à bas une dictature ce que personne n'avait prévu. Le second élément avec lequel on doit faire notre évaluation, c'est la portée de cette révolution sur le futur. La révolution tunisienne de 2010/2011 continuera d'être évoquée pendant le lointain futur ; tous les gouvernements et tous les pouvoirs qui verront le jour en Tunisie se sentiront, toujours, conditionnés par l'événement de 2010/2011. Si l'on prenait toutes les révoltes qui ont eu lieu lors de notre siècle – les événements du bassin minier, la révolte du pain, la crise syndicale du temps de Hédi Nouria etc. – ne sont pas commémorées dans notre pays comme étant des événements grandioses et ce malgré leur importance. Ce sont les deux critères de la révolution les plus fondamentaux. De ces deux points-de-vue là, je pense que l'événement de 2010/2011 constitue bel et bien une révolution.
-Et comment mettre tout cela avec le deuxième thème qui est celui de l'islam ?
Il s'agit là justement de toute ma problématique. J'ai essayé de placer la révolution dans l'optique suivante : le rapport entre cet événement politique grandiose et la religion. J'ai développé, dans ce sens, plusieurs thèses réparties sur sept parties du livre.
Dans la première partie, je rappelle que l'idée même d'une révolution est très mal perçue par la tradition culturelle islamique. Les théologiens et les hommes de lois considèrent les révolutions comme étant une fitna. La révolution procède de la des-instauration du monde, elle fait partie du mal humain. Le phénomène révolutionnaire n'a jamais été regardé par les penseurs de l'islam comme étant un phénomène positif. C'est à partir de la fin du 19e siècle, avec Khair-Eddine surtout, que le regard commence à changer. Quand il juge la révolution française, Khair-Eddine est l'un des premiers à dire que cette révolution contient du bien.
La révolution tunisienne a donc été la première application de ce concept positif de révolution. La révolution de Jamel Abdelnaceur, celle d'Omar Mokhtar ou encore celle du Soudan étaient des révolutions contre l'ennemi étranger ou des révolutions de types militaires. La première fois qu'une révolution est instaurée dans un pays arabo-musulman c'est la révolution tunisienne qui a été populaire portant un message libertaire et de justice sociale. Une révolution qui a, aussi, été reconnue par le pouvoir qui a succédé à Ben Ali.
-Cela n'est-il pas normal que les islamistes voient en la révolution un message positif puisque c'est grâce à elle qu'ils ont réussi à accéder au pouvoir ?
Pour certains, la montée en puissance des islamistes est une régression, pour d'autres (une bonne partie du peuple tunisien), il s'agit plutôt d'un progrès. Il faut considérer la relativité des choses et c'est ce que je dis dans la conclusion de mon livre. En définitive, c'est justement la synthèse entre ces deux opinions qui fait la force de la révolution tunisienne. Ce que nous sommes en train de vivre aujourd'hui c'est une confrontation d'idées et d'idéologies dans la paix.
-On parle de paix après des assassinats politiques et de nombreuses attaques terroristes. Aujourd'hui encore, cette paix demeure précaire.
Je pense que la paix civile en Tunisie était précaire en 2012 et 2013, aujourd'hui, cette même paix n'est pas vraiment remise en cause. Je ne crois pas non plus que ces terroristes qui comptent rentrer risquent d'avoir raison de la stabilité de la Tunisie ; ils n'ont en pas eu raison en 2011, 2012 et 2013 et ils ne vont pas le faire aujourd'hui. Ils peuvent faire beaucoup de mal à la Tunisie, mais ils n'arriveront pas à déstabiliser le pays.
-Vous ne craignez donc pas un scénario à l'algérienne ?
Non je ne pense pas du tout. La révolution a libéré tout le monde, les progressistes et les conservateurs. Pour moi, le jour où Ben Ali est tombé et que la presse a été libérée, la révolution était déjà terminée. Bien entendu, cela n'est pas pareil pour ceux dont la situation reste précaire puisque le deuxième tableau n'est pas encore achevé. C'est une révolution pleine de contradictions puisque nous avons gagné sur le plan des libertés et que nous n'avons pas encore réussi à achever la partie concernant la justice sociale.
-On a peut-être réussi à gagner sur une partie des libertés, mais pas toutes. Lorsque nous faisons l'état des lieux des libertés individuelles, le constat est un peu différent.
Je ne pense pas que l'état des libertés en Tunisie soit aussi négatif que vous semblez le croire. Sur le plan des libertés publiques, du pluralisme des partis politiques, de la liberté d'opinion, de la liberté de l'édition, et d'une manière générale des grandes libertés garanties par la Constitution, la situation est loin d'être mauvaise, même si elle n'est pas idéale. Ce qu'il faut noter, c'est que les atteintes aux libertés ne sont plus érigées en système de gouvernement. Il existe certainement des dépassements, peut-être même des abus, mais nous ne pouvons pas dire que le phénomène est systématique. Les deux garants fondamentaux de nos libertés sont, en tout premier lieu, le contrepoids de la presse et des médias et, ensuite, le droit au recours aussi bien devant les juridictions que devant les autorités constitutionnelles ou administratives indépendantes. De ce côté-là, on ne peut pas trop se plaindre. Par ailleurs, même sur les questions sensibles, les tabous n'existent quasiment plus en Tunisie. Si nous prenons l'exemple des minorités homosexuelles ou transgenres, nous constatons, malgré les très fortes réactions du pouvoir et de l'opinion, que le débat public est ouvert. Si l'on prend l'exemple de l'article 230 du Code pénal, qui criminalise l'homosexualité, il ne faut pas oublier qu'il y a eu un ministre de la Justice qui a ouvertement appelé à son abrogation.
-Mohamed Salah Ben Aïssa qui a justement été limogé à cause de cette même position.
Mais il est quand-même très important de noter qu'un ministre de la Justice a eu le courage d'affronter l'opinion publique et même le pouvoir dont il fait partie. Cette question est très mal comprise par l'opinion à cause, à la fois, du conservatisme et de l'ignorance. Par conséquent, un travail pédagogique autour de la question est absolument nécessaire. Le progrès, dans ce domaine, est d'une accablante lenteur. Avant que les progrès se concrétisent, il faut déjà que les débats soient ouverts. Pour continuer avec l'exemple de l'homosexualité, on peut tous s'entendre pour dire qu'il n'existe rien de tel pour choquer l'esprit du Tunisien. Mais, le fait que le débat ait été ouvert a une portée immense parce que, il y a quelques mois de cela, ce même débat n'était même pas imaginable. Le fait que l'on en parle publiquement est un énorme progrès et la solution viendra par la suite.
S.B


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