Revue de la semaine du 26 avril au 03 mai: TRE: Hassen Laabidi annonce les bonnes nouvelles en cascade    La CAF dévoile les dates de la finale entre l'EST et Al Ahly    Cimetières: Les morts ouvrent les yeux des vivants !    Prix FABA de littérature 2024 : ouverture de l'appel à candidature    Tunisie: Ce dimanche, accès gratuit aux musées    Section VR de GCFen : Un RDV fixe qui explore des histoires de drames et d'espoir en 2024    Guerre en Ukraine: Situation actuelle (Ambassade d'Ukraine en Tunisie)    Non TikTok n'a pas été interdit en Tunisie    Le Smartphone Reno11 F 5G lancé en Tunisie (caractéristiques)    RDC : le M23 s'empare d'une ville très riche en minerais, le Rwanda va encore se gaver?    Ben Mustapha à propos des énergies renouvelables : une belle stratégie n'est pas nécessairement une bonne stratégie !    Marché de travail au Maroc: 80.000 postes d'emploi perdus à cause de la sécheresse    Film Mars One Thousand One projeté au Planétarium de la Cité des Sciences à Tunis (trailer)    Météo du week-end : Temps doux et printanier    Médenine : Saisie de 50 tonnes de produits alimentaires subventionnés    La forêt de chêne liège, la richesse menacée de la Tunisie    Tunisie : Réserves en devises de la BCT au 02 Mai 2024    Signature d'un mémorandum d'entente entre la Tunisie et l'Irak dans le domaine de l'eau    «La Quête de l'Espoir Sublime» de Héla Jenayah Tekali comme récit de voyage    Exécution du budget de l'Etat : le point sur les résultats provisoires à fin décembre 2023    L'énigmatique affaire Fethi Dammak revient sur le devant de la scène : De probables révélations compromettantes lors du procès ?    Météo en Tunisie : Mer agitée , températures en légère hausse    Pourquoi fête-t-on la Journée mondiale de la liberté de la presse à la date du 03 mai ?    Daily brief national du 03 mai 2024: Saïed insiste pour "la purge de l'administration des éléments infiltrés ou incompétents"    Jaouhar Ben Mbarek empêché d'assister à son audience devant la cour d'appel    Souad Sassi nommée directrice exécutive de la FNCT    La Tunisie veut protéger et sauver son patrimoine architectural avec une loi    L'Otic cherche des solutions face à la hausse des prix des sacrifices    Vers une ère législative renouvelée : Les priorités de Kais Saied et Ahmed Hachani    Une réforme de l'enseignement supérieur en vue : Les nouvelles orientations de Kais Saied    Le CSS accroche l'EST dans son arène : Un premier pas important    Le CA reçoit le CSS ce dimanche : Le cœur à l'ouvrage...    L'EST tenue en échec par le CSS – Aholou et Meriah : du recul !    Rencontre avec la Palestinienne Adania Shibli, invitée de la 38e édition de la FILT : «La littérature, pour moi, est le seul lieu qui accepte le silence»    «Les contours de l'Infini», exposition individuelle de Jamel Sghaier au Club Culturel Tahar Haddad, du 3 au 22 Mai 2024 : Quête d'Absolu dans la peinture de Jamel Sghaier    La police évacue les migrants subsahariens du jardin public des Berges du Lac    15 morts et 500 blessés en 24 heures selon un bilan de la Protection civile    En bref    France : Un vent de contestation pour la Palestine souffle sur les universités    USA : un campement d'étudiants dénonçant l'agression sioniste contre la Palestine démantelé    Des sportives tunisiennes marquent l'histoire de la FIP    Les écoles et les entreprises ferment de nouveau aux Emirats    Giorgia Meloni reçoit le roi Abdallah II de Jordanie au palais Chigi à Rome    Palestine: Pour un simple statut d'observateur aux Nations Unies!    Fadhloun : voici comment la Tunisie peut annuler les sanctions de l'Agence mondiale antidopage    Club Africain - CS Sfaxien : Détails de la vente des billets    Adhésion de la Palestine à l'ONU: La Tunisie regrette l'échec du projet de résolution porté par l'Algérie    Sanctions confirmées par l'Agence mondiale antidopage contre la Tunisie    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



«Plus on allonge la période transitoire, plus les dangers proliféreront»
Interview de M. Yadh Ben Achour
Publié dans La Presse de Tunisie le 13 - 04 - 2012

• Je pense qu'il faudrait procéder à un remaniement ministériel de toute urgence pour renvoyer quelques ministres et secrétaires d'Etat aux capacités extrêmement limitées.
• La sécurité et la justice donnent une très nette impression de travailler sous l'inspiration du principe «deux poids, deux mesures».
Au lendemain de la révolution du 14 janvier, c'est M. Yadh Ben Achour qui fut nommé à la tête d'une commission de réforme des textes et des institutions, dans la perspective de redresser le droit tunisien et de le débarrasser des dispositions du régime déchu. Homme de droit, spécialiste des théories politiques islamiques et de droit public qui a été doyen de la Faculté des sciences juridiques de Tunis, membre du Conseil constitutionnel dont il démissionna, en 2002, suite à la révision de la Constitution permettant à Ben Ali de se représenter, la réputation de M. Ben Achour, sa compétence et sa probité le mèneront à la présidence de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de réforme politique et de la transition démocratique. Instance émanant de la commission de la réforme juridique à laquelle se sont joints les révolutionnaires et les représentants de partis et d'associations réunis au sein du conseil pour la protection de la révolution.
C'est au sein de cette instance que furent élaborées, avec la participation de vingt-huit partis politiques, d'ONG, d'associations et de l'Ugtt, les institutions chargées de préparer la transition démocratique.
Quelques mois après les élections de l'Assemblée nationale constituante, M. Ben Achour demeure une référence, en matière de gestation de la nouvelle Constitution, en matière d'observation politique aussi. Il a récemment initié un projet de constitution et en partant de son statut de juriste indépendant, il ne cesse d'éclairer l'opinion politique et publique par ses idées, sa vision de la gouvernance et son évaluation des événements marquant cette phase controversée de la post-révolution. Dans ce contexte où sont entamés les travaux de l'élaboration de la Constitution, sur fond de troubles politiques et sociaux inquiétants, quant aux acquis relatifs aux libertés publiques, à ceux des droits de la femme et aux choix modernistes de la Tunisie, nous avons sollicité (le 8 avril) M. Yadh Ben Achour pour répondre à nos questionnements. Interview.
Ayant présidé la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique, qui a constitué la cheville ouvrière de la période post-révolution, quels sentiments et quels souvenirs marquants vous gardez de cette période aussi intense qu'incertaine?
J'ai vécu la vie de la Haute instance dans une sorte d'angoisse mêlée d'exaltation, semaine après semaine, jour après jour, heure par heure, du mois de mars 2011 jusqu'au mois d'octobre. Il faut se rendre compte de l'immensité de l'enjeu. La Haute instance avait en effet pour tâche essentielle de préparer le cadre normatif pour la tenue des élections à l'Assemblée constituante. Il fallait, dans la plus grande urgence, les élections étant alors prévues pour le 24 juillet, préparer la loi électorale, le texte sur l'Instance électorale indépendante, l'élection des membres de cette instance électorale, dialoguer avec le gouvernement, intervenir sur les événements clés de la vie politique au cours de l'année 2011, élaborer les lois fondamentales en rapport avec l'encadrement de la vie politique, et en particulier les lois sur les associations et les partis politiques. Ce travail n'a pas été facilité. Il a fallu affronter non seulement les forces extérieures qui, par légèreté d'esprit, par envie, par ignorance, par esprit de nuisance, organisaient un siège destructeur autour de l'instance, mais ce qui a été encore plus pénible, c'était d'affronter les incompréhensions, les colères, les débordements, les effets théâtraux de certains membres de l'Instance elle-même. N'oublions pas, par exemple, pour l'histoire, que certains juristes notoires s'en sont allés jusqu'à réclamer la dissolution de l'instance. Il s'agit soit de personnalités irresponsables, soit de personnes à l'esprit léger et volatile, soit tout simplement d'envieux ou de méchants ou tout cela en même temps. Si les autorités de l'époque les avaient écoutées, nous aurions sombré dans l'anarchie ou la guerre civile. Heureusement, les autorités publiques de l'époque, notamment le Premier ministre, les ministres et le Président de la République, ont compris cela. Ils ont toujours apprécié la Haute instance comme l'élément clé de la première période transitoire et je n'ai jamais rencontré d'obstacles de ce côté-là.
Autres exemples : le directeur du journal Ourabia, Safi Saïd, dans le même numéro (N°6 du 31 juillet 2011) dans lequel j'avais donné un long entretien avec M. Rachid Zaafrane, n'a rien trouvé de mieux à reprocher à la Haute instance que de s'adresser à elle en l'appelant «a-saïda al Qahramanah», ce qui est d'un goût ô combien délicat et subtil, et de critiquer les femmes démocrates membres de l'instance en leur reprochant «de manquer de cœur et de féminité», ce qui est significatif d'une profondeur de pensée ô combien admirable! M. Ahmed Ben Salah, dans Le Temps d'aujourd'hui même (8 avril 2012), par un raccourci historique frappant et qui révèle une ignorance des événements, parle de «hold-up», en oubliant que l'Instance est un peu la suite du Conseil national de protection de la révolution qu'il a parrainé, heureusement pour pas très longtemps, avec MM. Ahmed Mestiri et Mustapha Filali.
Lorsque, à partir du début du mois d'août 2011, il a fallu préparer la Déclaration du 15 septembre sur la feuille de route concernant les travaux de l'Assemblée constituante, certaines personnalités au sein de l'Instance ont réagi avec une certaine puérilité. Elles m'ont reproché d'avoir, en tant que président de l'Instance, organisé ces réunions en dehors d'elles. Elles m'ont reproché de ne pas les avoir associées à ce travail. Le moment est venu pour leur rappeler, premièrement, que j'ai pris cette initiative, à titre personnel, pour sauver les élections, alors directement et gravement menacées par l'idée du référendum. Deuxièmement, que le parti de la Nahdha et le CPR avaient quitté l'Instance et n'auraient jamais accepté de travailler dans le cadre de l'instance après leur désistement. Si la Nahdha a accepté de travailler dans le cadre de ce groupe grâce à l'intervention directe de M.Ali Laarayedh, le CPR n'a pas été facile à convaincre. C'est grâce à un entretien approfondi avec M. Moncef Marzouki, au cours d'une rencontre le 24 août 2011, que j'ai pu convaincre le CPR de rejoindre le groupe de négociations des 12 partis. Ils ont effectivement rejoint le groupe et ont été représentés par M. Samir Ben Amor, mais ont refusé par la suite de signer la Déclaration du 15 septembre, ce qui est parfaitement leur droit, puisque leur position s'inscrit dans une logique politique qui n'était pas celle de la Déclaration. Enfin, et surtout, je dis crûment à ceux qui ne l'ont pas encore compris que si j'avais engagé toute l'Instance dans cette opération, j'aurais, d'une manière certaine et évidente, couru droit à l'échec. Pour ma part, cela aurait été de l'aveuglement. Si c'était à refaire, je le referais, quitte à chatouiller certaines susceptibilités.
Vous me demandez des souvenirs. J'en ai autant que si j'avais mille ans. En voici un autre, mauvais également. Le jour de la cérémonie par laquelle nous avons clôturé les travaux de l'Instance, le 13 octobre 2011, j'avais demandé à une chorale de jeunes étudiants artistes tunisiens de l'Institut de musique de venir chanter l'hymne national à la fin de la cérémonie. J'avais entendu cette magnifique chorale quelques jours auparavant sur la chaîne Al Jazira. J'ai réussi à retrouver le groupe, et je me suis entendu avec le directeur de l'Institut supérieur de musique pour organiser leur prestation. Le jour J, toute l'assistance, y compris l'autorité militaire, a écouté la chorale les larmes aux yeux, tellement leur art était sublime. Il a fallu qu'un membre de l'Instance, au cours de cette dernière minute au cours de laquelle l'émotion avait atteint son comble, aille hurler devant la chaîne Al Jazira que cette musique «d'église», musique «funéraire», d'après lui, ne sied pas à l'hymne national et qu'elle n'avait rien à voir avec «la personnalité arabo-islamique» ! La tristesse de la scène, ce n'est pas que l'homme en question ne connaisse rien, ni à la musique, ni à l'art, la véritable tristesse, c'est qu'il existera toujours des personnes de ce genre, et que, dans notre cas spécifique, elles sont hélas assez nombreuses pour causer des dégâts. Tout cela se perdra dans les sillons de l'infécondité. L'énorme satisfaction morale que j'éprouve aujourd'hui, c'est de recevoir, dès que je suis dans un lieu public, les signes spontanés de reconnaissance venant de toutes parts et en particulier des gens les plus humbles. Ceux-là savent parfaitement faire la part des choses et, malgré les sottises qu'on leur sert, possèdent la science instinctive de la vérité, celle qui consiste à distinguer le bon grain de l'ivraie.
Est-ce que la situation générale qui prévaut actuellement dans le pays correspond à vos attentes et espérances ?
Oui et non. Oui, dans la mesure où la Tunisie vit une époque démocratique d'une rare intensité. Oui, dans la mesure où la force de la société civile démocratique est incontestable, obligeant les gouvernants à être plus modestes. Non, dans la mesure où cette période transitoire, sans Constitution, sans gouvernement définitif, commence à devenir trop longue. Portés par l'euphorie des élections, les constituants ne se sont pas rendu compte que la légitimité électorale n'était pas le seul critère à prendre en considération pour la solidité d'un gouvernement. Le péché originel a consisté à plonger l'Assemblée constituante dans des fonctions, des compétences et des travaux qui ne relèvent pas d'elle. Cela va allonger anormalement la période transitoire. Et plus on allonge la période transitoire, plus les dangers prolifèreront. Bien qu'un texte de Constitution provisoire plus modeste donc plus sain, établi par le comité d'experts, ait été distribué dès le 12 novembre aux partis représentés à la Constituante, ils l'ont ignoré. Le Comité des juristes avait pris le soin de ne pas encombrer la Constituante de compétences trop lourdes, en limitant ses fonctions législatives au strict minimum. Dans notre optique, la Constituante, principalement concentrée sur les travaux d'élaboration de la Constitution, devait élaborer cette dernière en un minimum de temps, pour raccourcir au maximum la période transitoire. Si on avait suivi ce projet de constitution provisoire, les travaux de la Constituante auraient pris entre trois et six mois maximum. Bien entendu, il s'est trouvé encore une fois de bons et pieux juristes pour dire que ce projet de constitution provisoire était pire que celui qui avait été élaboré par la Constituante ! La faute politique va toujours de pair avec l'arrogance et le manque de discernement. Pour travailler dans les circonstances qui sont les nôtres, il faut quand même voir un peu plus loin que le bout de son nez. Cela, hélas, n'a pas été le cas.
Des délais ont été impartis pour l'élaboration de la Constitution On parle du plafond de la fin de 2012. La cadence de son élaboration est controversée, comment percevez-vous le déroulement de cette opération et les aléas politiques qui viennent la chahuter parfois?
Dans la déclaration du 15 septembre 2011, les partis politiques signataires se sont engagés à terminer les travaux de la Constituante dans un délai maximum d'un an, à partir de la date des élections, ce qui nous amène à novembre 2012. Après avoir observé une certaine hésitation et donné l'impression de s'installer au pouvoir, les autorités actuelles, notamment le chef du gouvernement, dans son dernier entretien au journal La Presse, nous envoient aujourd'hui des signes pour signifier que l'élaboration de la Constitution ne dépassera pas la fin de l'année 2012, et que les élections seront organisées avant l'été 2013. Pour pouvoir gouverner confortablement, le gouvernement a besoin non seulement d'une légitimité électorale, mais également de temps et de légitimité constitutionnelle, pour accroître sa crédibilité morale. Il faudra, au plus vite, finir la transition, passer au gouvernement constitutionnel, au parlement élu, qui disposeront alors d'un véritable mandat d'une durée raisonnable qui peut varier de cinq à sept ans, pour pouvoir enfin gérer le pays dans des conditions normales optimums. N'oublions pas que les véritables problèmes de notre pays ne sont pas des problèmes d'ordre constitutionnel. Il faut tourner cette page au plus vite, pour pouvoir se consacrer entièrement aux problèmes sociaux, à l'équilibre régional, aux investissements, au chômage, à la réforme fiscale, au budget, aux ressources financières, etc. Tout ce que nous avons fait jusque-là a consisté à perdre un temps précieux dans de lamentables et ridicules discussions sur l'excision, le niqab, la charia, le califat, et d'autres rêveries et utopies qui procèdent toutes d'une pensée onirique sans avenir. C'est cette pensée qui a été l'une des causes fondamentales de la régression générale du monde musulman. Si la Turquie aujourd'hui, gouvernée par un parti d'inspiration islamique, suscite l'admiration, ce n'est pas parce qu'elle applique la charia, ou par son adhésion au salafisme, ou pour ses modes vestimentaires s'inspirant du lugubre niqab. Les raisons qui expliquent son succès proviennent du fait qu'il s'agit tout d'abord d'un Etat laïque, qui, ensuite, atteint un taux de croissance économique se situant largement au-dessus de 7 % et qui, enfin, est conduit par un gouvernement compétent et moderne ayant acquis l'art de la gestion publique et politique.
Au terme de ses premiers cent jours d'exercice, le gouvernement a été taxé de nonchalance, de laxisme, voire de gestion médiocre, qu'en pensez-vous et quelle est votre propre évaluation de la prestation du gouvernement?
Il faut, pour le gouvernement, un certain temps d'adaptation. Il y a une grande différence entre l'action politique dans l'opposition et l'action politique au sein du système de l'Etat. On peut même dire que la gestion de l'administration et de l'Etat, peut-être moins héroïque que la résistance dans l'opposition, est cependant bien plus difficile et nécessite du doigté et une très forte intelligence politique. Dans ce domaine, l'improvisation et la maladresse se payent très lourdement. Pour l'instant, ce qu'il faut éviter, c'est de harceler le gouvernement par des critiques impromptues ou injustes. Mais il faut que, de son côté, le gouvernement évite les maladresses ou les improvisations. Nous avons besoin d'une meilleure coordination entre les trois têtes de l'Etat. Je n'irai pas plus loin dans la critique. Je voudrais dire, cependant, que certains ministres et secrétaires d'Etat, notoirement incompétents, ne sont vraiment pas à leur place et constituent des sources de problèmes. Je pense qu'il faudrait procéder à un remaniement ministériel de toute urgence pour renvoyer quelques ministres et secrétaires d'Etat aux capacités extrêmement limitées.
L'alternative d'unification des formations politiques démocratiques sous la forme d'un front centriste, conçu, entre autres, par l'opposition au sein de l'A.N.C, implique-t-elle le rejet de la Troïka au pouvoir et le transfert de l'action de l'opposition de l'espace législatif vers l'espace public?
Ce que nous avons observé au cours des élections d'octobre 2011, c'est un certain manque de rationalité, à cause de l'éparpillement et du nombre des formations politiques, qu'elles soient partisanes ou indépendantes et du phénomène des voix perdues. N'oublions pas que dans certaines circonscriptions électorales, les électeurs ont été obligés de choisir entre 95 listes, ce qui constitue une aberration. Pour les futures élections par conséquent, il faudra tout d'abord entrer dans des cycles de regroupements entre les différents partis politiques appartenant à la même famille idéologique. C'est ce qui est en train de se faire actuellement. Par ailleurs, il faudra inventer un mécanisme pour éviter les candidatures fantaisistes qui provoquent une déperdition des voix.
La question sécuritaire préoccupe manifestement les Tunisiens toutes catégories confondues. Il semble que les réflexes du gouvernement à ce propos manquent de fermeté et de cohérence. Croyez-vous que la transition démocratique peut justifier l'impunité de ces actes dont les répercussions touchent profondément la vie économique, sociale, politique et culturelle du pays?
Il y a effectivement de ce côté-là un problème extrêmement sérieux et grave. La sécurité et la justice donnent une très nette impression de travailler sous l'inspiration du principe « deux poids, deux mesures ». Depuis l'affaire Nessma, jusqu'à la récente condamnation de jeunes activistes sur Facebook à une peine de sept ans de prison par le tribunal de première instance de Mahdia ou de la répression de la manifestation organisée par les jeunes chômeurs qui entendaient manifester sur l'avenue Habib-Bourguiba, malgré l'interdiction, en passant par l'affaire du journal « atounisia », ou de l'agression contre le journaliste Soufiane Ben Hmida ou de l'agression contre le journaliste Zied Krichen et contre le professeur Hamadi Redissi, ou encore de l'affaire du drapeau national offensé et insulté à La Manouba, La justice, à chaque fois, se montre d'une extrême sévérité vis-à-vis des mouvements ou des expressions intellectuelles ou artistiques modernistes démocratiques ou laïques et d'une extrême douceur ou d'une extrême lenteur, vis-à-vis des mouvements islamistes et salafistes de tous gabarits. Tous ces événements laissent, objectivement, l'impression que l'Etat est partial, ce qui est un très mauvais signe. Je ne suis pas en train de juger les intentions. Elles sont peut-être bonnes. Je décris un fait d'opinion, un fait objectif. Il est vrai que la réaction du ministre de l'Intérieur, ainsi que de M. Rached Ghanouchi, à l'encontre des salafistes, ont tenté de tranquilliser l'opinion. C'est un bon pas. Mais nous sommes en droit d'attendre des actes concrets. Je voudrais préciser un point d'ordre juridique au sujet de la dernière manifestation des jeunes diplômés sans emploi. La décision du ministre de l'Intérieur, qu'elle soit ou non régulière, est une décision administrative exécutoire. Il ne faut pas, dans un Etat de droit, passer outre à ce genre de décisions. Cela devient de la désobéissance civile. La seule manière correcte d'agir aurait été d'attaquer la décision du ministre de l'Intérieur devant le Tribunal administratif et d'attendre la décision de ce dernier. Il faut respecter le droit. C'est une condition de la citoyenneté.
Des voix se sont élevées, suite aux derniers incidents, violents, commis par des salafistes pour dénoncer, les menaces brandies, entre autres contre les droits des minorités, de la femme, et les acquis du C.S.P, croyez-vous que ces risques existent réellement?
Toutes les menaces ou les actes de violence contre les personnes, les minorités, les femmes sont passibles des sévérités de la loi. Il faut que la justice suive son cours normal. Contre de telles menaces, il y a donc une triple action à mener. D'une part, une meilleure formation des juges. D'autre part, une action politique de la société civile et des partis démocratiques, y compris la tendance démocratique au sein même de la Nahdha. Enfin, une action juridique et judiciaire contre les fomenteurs de ces troubles. Il faut, me semble-t-il, encore faire confiance à l'Etat et le sensibiliser, par la mobilisation de l'opinion publique, à cette affaire qui menace notre avenir et celui de la Tunisie démocratique.
Comment évaluez-vous la prestation médiatique de cette phase post-révolutionnaire? Croyez-vous que les médias ont pu, jusqu'ici, restituer leur véritable rôle et rétablir les règles professionnelles, déontologiques et légales de leur métier?
Pas tout à fait. La presse, après la révolution, est devenue une presse véritablement libre. Mais des dérapages et des débordements existent, du côté d'une certaine presse à sensation. Il revient aux journalistes eux-mêmes, par l'intermédiaire d'une instance indépendante de régulation, d'organiser leur métier et d'imposer une déontologie qui ne peut être qu'une déontologie démocratique.
Le projet de constitution, que vous avez récemment proposé, laisse entendre que vous optez pour un régime mixte, pouvez-vous étayer les motivations de ce choix?
Le plus important dans notre projet de constitution ne concerne pas la nature du régime. Sur ce point, il faut se fier à la sagesse de l'Assemblée nationale constituante. Les véritables points d'orgue de notre projet se manifestent à travers une déclaration des droits de l'homme dans le corps même de la constitution, ensuite par les principes généraux d'organisation de l'Etat qui vise à assurer la neutralité de l'administration, la séparation de l'action politique et de la religion, et le contrôle extrêmement strict de la gestion des deniers publics. Le mécanisme institutionnel au service de toutes ces causes consiste à mettre sur pied un «Conseil de justice de l'Etat», puissant et unifié, qui fasse contre-pouvoir à l'autorité étatique en vue de sa soumission aux principes de l'Etat de droit. Ce «conseil de justice de l'Etat» doit assurer à la fois le contrôle de la constitutionnalité des lois, de la légalité des actes administratifs et de la bonne gouvernance financière.
Suite : notre supplément "La Presse Champ civique" du 13-04-2012


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.