De notre envoyée spéciale à Tataouine : Salma Bouraoui Cela fait plus de trois semaines que la situation ne cesse de se dégrader à Tataouine où les habitants ont installé, dimanche dernier, leur sit-in dans la zone d'El Kamour bloquant ainsi les camions de toutes les sociétés pétrolières se trouvant sur place. Depuis lundi dernier, plusieurs informations et intox ont circulé dans un silence assourdissant de la part des autorités. Un silence qui a fini par être brisé par le chef du gouvernement, Youssef Chahed, qui a promis de visiter la ville aujourd'hui même. La veille de cette visite a été un peu particulière dans la ville où nous sommes arrivés hier vers 5 heures du matin. Après avoir fait le tour de toute la ville, une seule patrouille de police a croisé notre chemin. Quelques heures plus tard, et en route vers El Kamour où se trouve le sit-in, toutes les patrouilles qui nous ont croisés étaient formées par des citoyens qui vérifiaient les visages des passagers. Mais avant El Kamour, une manifestation a été organisée, au centre ville, par les femmes de Tataouine qui ont souhaité exprimé leur soutien à leurs hommes se trouvant de l'autre côté de la ville. L'une des présentes a tenu à nous exprimer sa colère quant à ce que diffusent certains médias qui « accusent les sit-ineurs de protéger et de propager les idéaux des terroristes de Daech et qui assurent que le sit-in en question n'a été organisé, en réalité, qu'à cet effet ». Une autre dame présente sur les lieux a déploré ce qu'elle a considéré de vol avéré commis par les sociétés pétrolières étrangères qui, en dépit des conventions signées depuis plusieurs années, continuent d'ignorer ce qu'elles doivent à la région. Pour Walid, jeune militant au sein de la société civile de Tataouine, les sociétés étrangères agissent comme si la Tunisie était encore colonisée et cela présente un indice de l'Indépendance faussée de notre pays. Sur la route d'El Kamour, et même si les patrouilles des civiles – armées à coup de pneus et de briques – communiquaient un sentiment d'insécurité totale, aucun incident n'a été relevé. Une fois arrivé sur place, l'accueil fût hésitant entre ceux qui n'hésitaient pas à exprimer leur méfiance à la vue d'un journaliste et les autres qui voulaient faire parvenir leur voix. Après un petit débat, nous avons fini par accéder au cœur du sit-in, sous la tente de la coordination générale. Les requêtes nous ont été brièvement présentées par Zied Khatib, membre de la Commission du sit-in de Tataouine : « Nous nous sommes installés sur ce site depuis dimanche. Il s'agit d'un emplacement stratégique utilisé par les sociétés pétrolières pour faire passer leur production. Nous sommes là pour bloquer ces camions et pour faire pression sur le pouvoir et les décideurs de ces mêmes sociétés. Depuis, les sociétés sont bloquées et sont en train de libérer leurs ouvriers en attendant que le chef du gouvernement arrive et nous réponde quant à nos attentes. Des requêtes urgentes ; l'emploi, l'emploi et l'emploi. Ensuite, nous voulons que 20% des gains des sociétés pétrolières soient consacrés à la région sous forme d'une caisse régionale indépendante. Pour la problématique du chômage, et au cas où on n'arrivait pas à faire travailler correctement, il faudrait penser à une pension de chômage. » De son côté, un autre membre, Chemseddine Goussouel, a indiqué que les protestataires demandent tout simplement à ce que la loi soit appliquée : une loi qui obligerait les sociétés pétrolières étrangères à investir 10% de leurs gains dans la région où elles sont implantées. Et d'ajouter que ces mêmes sociétés sont redevables de recruter 70% des jeunes chômeurs de la ville cela sans parler, toujours selon le concerné, de leur responsabilité sociétale. A la question de savoir s'il y a possibilité d'assouplir les requêtes une fois les négociations initiées avec les responsables de l'Etat, Chemseddine Goussouel a déclaré qu'après six ans d'attente, Tataouine ne peut plus présenter de signes de souplesse. Des déclarations qui posent, malgré l'atmosphère très tendue du sit-in, un signe d'espoir qui dépend totalement de ce qui sera décidé et annoncé par le chef du gouvernement aujourd'hui. Entre-temps, les protestataires continuent de s'organiser une meilleure visibilité tout en insistant sur leur totale indépendance par rapport à tous les partis politiques et à toutes les organisations qu'elles soient nationales ou autres.