Le mouvement Ennahdha sort de son silence et commence à prendre des positions sur les différentes questions de l'heure. Ses représentants faisant des apparitions remarquées sur les plateaux radiotélévisées et autres médias aussi bien nationaux qu'étrangers. A tout seigneur, tout honneur, nous commençons par Rached Ghannouchi, président du mouvement et la dernière interview qu'il a accordée à radio France Inter. Dans cet entretien, destiné à rassurer les Français sur son parti et présenter son nouveau visage et ses objectifs pour le pays, il a traité de plusieurs questions d'actualité dont notamment le phénomène du terrorisme. En effet, M. Ghannouchi nous a surpris par sa nouvelle théorie en la matière tant son analogie avec ce que l'on trouve dans les romans de science-fiction. « Les terroristes n'ont pas d'avenir en Tunisie et n'ont jamais été le fruit de la Révolution, mais ils sont les héritiers de Ben Ali qui, par son régime répressif et les restrictions imposées aux institutions religieuses modérées, il a favorisé l'émergence de l'Islam extrémiste et violent », a-t-il indiqué en substance. Voilà. Ni plus, ni moins. Rached Ghannouchi nous informe que Ben Ali avait mené la vie dure à l'Islam modéré et à l'institution religieuse tolérante ! Nous croyons rêver ! Et toujours, selon M. Ghannouchi, cette approche « répressive » a favorisé l'émergence des groupes terroristes qui ont frappé les Tunisiens après la révolution de 2011 ! Et quoi encore ? Le chef du parti islamiste poursuit sur sa lancée en affirmant que « le courant salafiste en Tunisie n'a aucune chance de se propager dans notre pays, car il s'agit d'un courant très minoritaire sans base viable puisqu'il avait vu le jour et relativement prospéré, par le passé, par la faute de la politique répressive de ...Ben Ali qui avait anéanti tout référentiel islamiste modéré ». Même les éléments terroristes tunisiens, attrapés en train de combattre dans les zones de conflits sont, pour le leader d'Ennahdha, « les enfants de la Tunisie mais ils ont été élevés à l'ombre de la répression, de la dictature et de la pauvreté sous Ben Ali ». Décidément ! M. Ghannouchi semble prendre les Tunisiens pour des amnésiques, car les faits, prouvant tout le contraire de ce qu'il a avancé, ne sont pas si loin que ça. A moins qu'il veuille qu'on ressorte le fameux enregistrement fuité en 2012 et dans lequel il s'adresse à des jeunes salafistes en leur demandant de patienter. Et en attendant, que la police, l'armée, les médias et l'administration soient « garantis », il faut se contenter des associations, des mosquées, des réunions sous les tentes et des écoles tout en encourageant l'invitation des prédicateurs qu'on veut... D'autre part, et concernant l'appartenance d'Ennahdha à la secte des Frères musulmans, Rached Ghannouchi ne rate pas une occasion, depuis quelque temps, pour nier tout lien avec ce réseau international, mais nombreux sont les documents dont un documentaire réalisé par France 3 mentionnant clairement son appartenance à cet organisme en tant que figure de proue. Il y a deux jours, Lajmi Lourimi, haut dirigeant à Ennahdha, a nié cette « prétendue » appartenance tout en reconnaissant que le mouvement s'est inspiré de « la littérature des Frères musulmans » nous faisant découvrir, pour la première fois, que cet organisme politico-religieux avait une littérature ! Pourtant, Hamadi Jebali, un dirigeant islamiste, dans une interview avec notre confrère Zied Krichen, publiée dans Réalités en 2011, disait expressément :: « Nous faisions partie du Mouvement des Frères Musulmans et on y est encore d'une certaine manière. Nous avons participé, avec d'autres, à faire évoluer sensiblement le mouvement des Frères Musulmans»... D'ailleurs, on n'a jamais oublié ce grave épisode juste après la chute de Mohamed Morsi en Egypte avec la menace adressée par Sahbi Atig, haut cadre d'Ennahdha à tous ceux qui oseraient piétiner la légitimité en Egypte. « Ils seront piétinés dans les rues de Tunis », criait-il en substance au cours du mois de juillet 2013. Et comme tout le monde le sait, le président égyptien déchu, Mohamed Morsi était un des membres influents des frères musulmans d'Egypte. Mais pourquoi tant d'acharnement de la part du parti islamiste tunisien à renier son passé sans pour autant rien faire de concret pour s'en départir ? Selon les analystes, plusieurs facteurs l'incitent à procéder ainsi, plus particulièrement en ces moments-ci. Tout d'abord, la débandade au sein du paysage politique et partisan exige de ce mouvement un profil bas pour ne pas faire peur aux autres formations. Ensuite, l'association avec le parti Nidaa Tounes décadent, de Hafedh Caïd Essebsi nécessite une attitude « sage et défensive », et enfin, la mise au banc des accusés des Frères musulmans, plus précisément après la crise entre le Qatar et les autres pays du Golfe et l'Egypte, recommande à Ennahdha d'être diplomate et prudent. En effet, les observateurs s'accordent à dire que le mouvement islamiste continue à avoir un double visage en l'occurrence, celui du parti « civil et conciliant » pour la façade, et celui du parti religieux montré dans les réunions avec les bases pour ne pas les perdre en ces moments où la frénésie électorale s'est emparée des diverses formations politiques. On rappelle que le mouvement a déclaré, lors de son dernier congrès, qu'il a séparé le côté de la prédication de celui de la politique. Mais il n'a jamais dit qu'il n'a plus de référentiel religieux et islamique. D'ailleurs, on se rappelle qu'en 2012, il avait fallu plus de quatre mois de bras de fer et d'une opposition farouche des « laïcs », comme se plaisent à les surnommer les dirigeants d'Ennahdha, pour que le terme de « chariâa » ne soit pas inclus dans l'Article Premier de la Constitution, et se contenter finalement de le garder tel qu'il est. Car, tenez-vous, Ghannouchi a réussi à convaincre les siens et, surtout, les salafistes, que « Islam » et « chariâa » sont du pareil au même. Une question, juste, de pure forme, selon ses propres dires dans le même enregistrement vidéo fuité !... Moralité de l'histoire, Ennahdha fait le dos rond jusqu'à la tenue des élections municipales qu'il tient à remporter, ce qui l'aiderait, à mieux préparer les législatives et la présidentielle de 2019 et, pourquoi pas, les gagner ! Et si c'est le cas, qui peut prémunir la société tunisienne d'un revirement du comportement nahdhaoui ? Personne. Et même si on n'en est pas encore là, il est utile d'y penser dès maintenant et de prévoir, d'ores et déjà, une action dans le cadre d'un front élargi et homogène prônant la préservation des acquis modernistes et progressistes ainsi que ceux des libertés, de la démocratie et du respect des droits de l'Homme, de l'Etat de droit et des institutions.