• Les quiétistes modérés sont approchés par Ennahdha quant aux Djihadistes, ils sont considérés, comme étant irrécupérables Après avoir été accusé d'inertie, voire de complaisance à l'égard des salafistes depuis sa prise de fonction, le 23 décembre 2011, le mouvement islamiste Ennahdha se démarque de plus en plus de cette mouvance qui profite de la libération de la parole pour tenter d'imposer sa marque à une société largement sécularisée et pratiquant majoritairement un Islam sunnite modéré. L'ex Mouvement de Tendance Islamique (MTI) fondé en 1981 par Rached Ghannouchi est sorti de l'ambiguïté vis-à-vis de ces partisans d'un Islam rigoriste qui prône une application littérale de la Chariâa, dès le 17 mars. Ce jour là, Ali Laârayedh, ministre de l'Intérieur et l'un des principaux dirigeants d'Ennahdha, confiait à un journaliste du quotidien français «Le Monde» son inquiétude sur les desseins des extrémistes religieux. «Tous les salafistes n'utilisent pas la violence mais le modèle de société qu'ils prônent constitue un danger. Cette approche, cette vue très étroite, a un problème avec le passé, un problème avec la modernité, et risque toujours de déboucher sur des guerres. Mais il faut essayer de faire la différence avec les salafistes djihadistes, qui ont recours à la force et représentent un risque contre lequel aucun pays n'est vraiment immunisé. C'est aujourd'hui le plus grand danger pour la Tunisie et je sais que je vais devoir mener une grande bataille », a-t-il déclaré. Ancien prisonnier politique souvent présenté comme étant un successeur potentiel de Rached Ghannouchi à la tête d'Ennahdha, le ministre de l'Intérieur va même jusqu'à menacer de sortir le gros bâton pour remettre les salafistes sur le droit chemin. « En ce qui concerne la mouvance salafiste qui utilise la violence, nous sommes décidés à agir avec toute la rigueur et la fermeté qu'exige la situation, par le renseignement, les arrestations, en coupant les liens avec les groupes extérieurs des pays voisins ou plus lointains. Il y a un mois, j'ai invité tous ceux qui détiennent des armes, dont celles qui avaient été pillées dans les casernes durant la Révolution, à les restituer contre la garantie qu'ils ne seraient pas poursuivis. Nous savons que les salafistes djihadistes ne rendront pas les armes. Nous allons vers un affrontement, c'est presque inévitable », a-t-il souligné. Dialoguer avec les plus modérés Ennahdha a pris davantage ses distances avec les salafistes en renonçant officiellement, le 25 mars, à inscrire la Chariâa comme source de législation dans la future Constitution. Cette décision qui fait du parti islamiste vainqueur des élections du 23 octobre dernier «un parti démocrate musulman», selon l'expression chère au président de la République Moncef Marzouki, a été d'ailleurs vertement critiquée dans les milieux salafistes. Membre de la commission légale du Forum des partisans de la Charia (« Moultaka Ansar Achariâ»), une association regroupant les salafistes djihadistes, le Cheïkh Abou Mondher Chenguiti est allé jusqu'à dénier le caractère islamique au mouvement Ennahdha. «C'est devenu un parti laïc qui arbore des habits islamiques», accuse-t-il. Sur les réseaux sociaux, de nombreux salafistes vont jusqu'à excommunier les dirigeants d'Ennahdha qui sont présentés comme «impies» rien que par ce qu'ils acceptent le principe de l'Etat civil. La rupture entre les deux ailes de l'islamisme politique est-elle, pourtant, définitive ? Rien n'est moins sûr. D'autant plus que la mouvance salafiste est loin d'être un bloc homogène. Les experts classent généralement les salafistes en deux grandes tendances: les quiétistes et les djihadistes. Courant non violent, les quiétistes prônent la prédication (Eddaâwa) pour lutter contre les innovations (Bidâa) dans la religion n'ayant aucune preuve dans le Coran et la Sunna et restaurer la pureté de l'Islam. Les salafistes djihadistes prônent, quant à eux, la lutte armée contre les mécréants à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Ennahdha a déjà pris langue avec des représentants des quiétistes. « Nous avons engagé des discussions avec des représentants des salafistes et le dialogue se noue petit à petit. Je les ai encouragés à travailler dans un cadre légal, soit au sein d'associations, soit au sein de partis politiques », a révélé récemment Rached Ghannouchi. Les djihadistes, irrécupérables Selon une source proche d'Ennahdha, une rencontre s'est, en effet, tenue récemment le chef historique d'Ennahdha et le Cheïkh Béchir Belhassen, l'un des leaders des salafistes quiétistes. Même s'il s'est dit «triste» de la décision d'Ennahdha de renoncer à l'application de la Chariâa, ce dernier a trouvé des excuses à Ennahdha. «Il est peut être un peu trop tôt pour l'application de la Chariâa. Le peuple souffre d'un analphabétisme religieux», a-t-il déclaré. Autant dire qu'Ennahdha peut encore compter sur le soutien d'une partie de la mouvance salafiste lors des prochaines élections. La rupture entre Ennahdha et les djihadistes semble, toutefois, bel et bien consommée. En atteste la réponse virulente de Seïfallah Ben Hassine, alias Abou Iyadh, l'un des principaux chefs de la mouvance salafiste djihadiste, à l'interview accordée par Ali Laârayedh au journal Le Monde. «Vos déclarations relatives aux salafistes constituent la fin de votre carrière politique. Vous assumez la responsabilité d'une fitna (discorde, NDLR) qui pourrait éclater prochainement. Votre devoir est de protéger le peuple, pas de le pousser à avoir peur de l'Islam. Vous êtes en route vers une nouvelle dictature. Je dis que le peuple est musulman malgré vous et malgré les ennemis de l'Islam», a martelé Abou Yadh lors de la manifestation pro-Chariaâ organisée le 25 mars par son mouvement. Co-fondateur du Groupe combattant tunisien (GCT), inscrit en 2002 par le Comité du Conseil de sécurité de l'ONU sur la liste des personnes ou de groupes liés à Al-Qaïda, Abou Yadh a également décliné l'offre du ministre de l'Intérieur portant sur la constitution d'un parti salafiste, à l'image du parti «Ennour» égyptien. «Nous n'aurons pas de visa de votre part et nous ne le demanderons pas», a-t-il lancé au ministre de l'Intérieur. C'est dire que le courant ne passe plus entre les deux frères ennemis…. Walid KHEFIFI daassi sihem Hésa