1. Une constance : la Médina dans le cœur Houda Ajili est cette jeune artiste tunisienne de type nouveau. Houda Ajili peint, mais assez critique, elle choisit de peindre autrement. Elle refuse de peindre à l'ancienne manière qui consiste à exécuter joliment des scènes pittoresques ou exotiques, des dessins ou aquarelles de souks, de sabbats et de ces foules bigarrées de nos médinas réalisées par des peintres en mal d'orientalisme ou de néorientalisme. Houda Ajili peint mais tout aussi critique, évite sans les condamner, les exercices de peinture abstraite moderniste, réduisant le travail pictural à un simple jeu arbitraire de lignes, de couleurs sans autres formes de procès, évoquant à peine ce qui fait qu'une Médina est une Médina avec ses ombres, ses saveurs, ses senteurs , ses lumières et ses arbres. La perte de référence octroie quelquefois, à l'abstraction des volumes et des plans de la Médina, un caractère tout aussi orientaliste que la peinture du même nom... une peinture plate sans chaleur ! Houda Ajili, peint mais cherche à approfondir les démarches entamées il y a quelque temps, dans la Médina et autour d'elle en ayant commencé déjà par identifier le spécifique dans ses formes et ses volumes. Elle a surtout découvert alors les modules qui reviennent souvent dans son architecture et qu'elle a aligné chromatiquement, dans une dynamique de répétitions systématiques essentiellement géométriques... Lasse de tout cela, esthétiquement s'entend, Houda Ajili semble vouloir aller ailleurs, plus loin et innover picturalement en cherchant toujours dans sa Médina, à ressusciter son essence et à nous mettre du baume au cœur ! D'où sa nouvelle démarche qui transgresse et nous provoque continuellement. 2. La blessure de l'espace médinal Formée à l'Isbat, activiste de la vie artistique à Tunis, Gafsa et ailleurs, Houda Ajili se préoccupe aujourd'hui de mettre en abime des problématiques plastiques contemporaines liées à la représentation artistique de la Médina, représentation libérée cependant des contraintes aussi bien figuratives qu'abstraites ainsi que de tous les présupposées idéologiques d'un discours plastique identitaire ou passéiste mais cependant, sans tomber dans les escarcelles de l'éphémère ou de la mort de l'art. Houda Ajili reste soucieuse de garder un lien solide avec le réel avec son environnement et ne veut nullement passer le rubican du non sens et de l'ésotérisme parce qu'elle reste essentiellement, attachée à sa Médina où elle a élu résidence pour convenances personnelles et pour y vivre. C'est dans l'espace médinal Bab-Souika, Kallaline, Hafsia que Houda affectionne au plus haut point, où elle vit et y travaille. L'espace (Bab Souika, Kallaline, Hafsia) est un espace qui a connu des mutilations nombreuses et des blessures encore saignantes. Il s'agissait depuis 1920, 1935 et même plus tard, de relier la Médina à la ville coloniale en rénovant la Médina, c'est-à-dire, à mutiler et à démolir une grande partie de la Hara et de la Hafsia, en installant des axes de pénétration vers Bab Bhar. La Médina fût éventrée pendant la période coloniale mais aussi avec l'indépendance. La Médina vit depuis l'installation forcée du protectorat dans notre pays une situation difficile qui a menacé son intégrité territoriale et son envergure et les valeurs qui ont procédé à sa formation et à son développement historique. L'édification de la ville coloniale a été pour beaucoup dans la détérioration de la Médina puisqu'elle n'a jamais cessé de l'insérer dans sa périphérie et même dans ses tentatives de la pénétrer pour la marginalisation. Houda Ajili a saisi le drame de sa Médina, de sa bonne vieille ville de Tunis victime aussi bien des rénovations imposées par les autorités coloniales d'abord, et même par celles nationales, après l'indépendance. La mutilation qui s'en suit fut combattue à l'époque par beaucoup d'édiles mais surtout par des architectes qui ont milité contre les mutilations provoquées dans la Médina pour imposer une politique fallacieuse de rénovation. L'architecte tunisien, livournais d'El Grana, Victor Valenni, s'est prononcé contre toute forme de mutilation et s'est mobilisé politiquement et socialement pour la conservation intégrale de la Médina telle qu'elle était et c'était déjà en 1920 que cette opposition de l'architecte fut exprimée, constatant que la Médina avait déjà du caractère, du charme et de l'unité. Tout cela, a laissé des traces et déchirures dans la mémoire de la ville et dans celle de ses habitants. C'est en rapport avec ces faits et événements que Houda Ajili a essayé d'engager les recherches architecturales et plastiques sur sa Médina pour, peut-être, tenter de sublimer le drame et... artistiquement l'occulter. Elle a choisi, donc, d'interpeller l'architecture de la Médina son urbanisme, mais aussi toutes les expériences artistiques qui n'ont pas manqué de se développer depuis la fin du 19ème siècle d'abord, avec l'orientalisme et après l'indépendance avec le néororientalisme et la grande épopée de l'implication abstraite des Néjib Belkhodja et ses amis engagés dans l'ancrage de l'art pictural dans le patrimoine arabo-musulman. Houda Ajili monte aujourd'hui, son exposition à la Maison des Arts dans ce sens, mais n'oublie jamais de regarder ailleurs, du côté de ceux qui l'ont précédé dans le traitement pictural de la Médina. L'exposition qu'elle nous offre s'intitule : « La Médina de Tunis, espace architectural, espace pictural », Houda Ajili semble décidée à croiser le fer avec les anciennes représentations et à les transgresser et ses propositions semblent apporter du nouveau dans la vision qu'elle développe d'une cité qui a tant souffert mais qui continue à résister et à rester belle ! Arrivera-t-elle à nous réconcilier avec elle ? A dépasser les représentations pittoresques, exotiques et celles abstractives modernistes qu'elle ne manquait pas de charme, elle était unie dans son architecture à patio, homogène dans sa tendance à l'introversion, humaine dans ses propositions et dans son étendue et dans son expression calme et voluptueuse. Cette lecture de la Médina, est adoptée par Houda Ajili, qui, en plus de ces références, a également fait sienne l'originalité de cette architecture, sa plasticité mais aussi son ouverture sur les autres architectures du monde et surtout sur celles de la Méditerranée avec ses matériaux nouveaux, ses techniques et ses couleurs innovantes. Spécificité et ouverture sur l'universel, sont ces éléments sur lesquels Houda Ajili, s'est appuyée pour réaliser ses recherches plastiques contemporanistes qui lui ont permis d'aboutir à monter l'exposition d'aujourd'hui, exposition qui évite d'exprimer les situations conflictuelles et qui marquent par les choix des espaces évoqués et les personnages impliqués, l'aspiration de l'artiste à retrouver la sérénité et le charme des espaces d'antan. A l'origine de l'exposition, un rêve. Houda Ajili délaissa donc les approches orientalistes pittoresques et exotiques, évite aussi les fausses lectures arbitraires des approches formalistes patrimoniales suscitées par les adeptes d'une lecture exclusivement abstractive du patrimoine. Houda Ajili a transposé les débats en abandonnant les vieilles querelles sur les signes et symboles et est allée chercher dans la culture mondiale d'aujourd'hui des appuis pour rehausser la Médina de leur image, de leur aura et de leur prestige. Cette ouverture sur le monde est voulue par l'artiste comme une provocation pour nous dire que les valeurs les plus universelles peuvent être sollicitées pour sauvegarder notre patrimoine et notre Médina. Le recours aux valeurs de l'art, du beau, du calme et de la volupté sont les termes de référence nécessaires pour que le patrimoine, la Médina soient traités autrement qu'en terme infériorisant ou passéiste et fait appel à l'hyperréalisme pour nous engager dans les possibilités nouvelles offertes par l'art contemporain international. L'exposition: Un baume au cœur La procédure artistique sur laquelle repose l'exposition s'appuie sur un médium de plus en plus actuel qui est le médium photographique et qui octroie à l'ensemble un caractère nouveau et homogénéisant très contemporaniste. La photo est certes dominante au niveau opératoire mais elle n'est pas unique. Elle semble être rehaussée par la peinture pratiquement aussi structurante que les procédés modernes de projection sur la toile. Le tout revient à une pratique nouvelle aussi légitime que le recours à la peinture classique. La mixité des techniques confirme la recherche et la volonté de l'artiste d'innover pour convaincre que la solution n'est pas dans la confrontation des valeurs mais dans leur réconciliation à travers la photo, la peinture, les procédés technologiques modernes... L'immobilisme, le passéisme ne sont plus de mise. L'art contemporain développé par Houda Ajili dans sa tentative de réconcilier le patrimoine, la Médina avec l'Histoire, fait appel à l'histoire de la culture et à ses figures célèbres qui ont exprimé des situations spécifiques mais aussi des préoccupations et des valeurs universelles. Le patrimoine semble dire Houda Ajili, ne doit pas seulement s'exprimer à travers le spécifique et le particulier. C'est un grand enjeu que le spécifique puisse verser dans l'universel pour qu'il gagne en solidité et en vigueur. En représentant Amel Mathlouthi chantant la liberté sur les pas d'une médina, elle a fraîchement décoré et prêté à la Médina une rythmicité. Une dynamique nouvelle qui la transforme en un espace ludique, un espace calme, voluptueux susceptible de devenir une solution alternative à nos espaces mutilés. La transfiguration artistique a été utilisée ici par l'artiste comme un moyen pour dépasser les mutilations agressives, dont nos médinas ont été victimes. Houda Ajili dépasse le drame en recourant à a couleur, à la joie qu'elle nous offre comme une délectation de vivre enfin nos espaces d'une manière simple et pure et non angoissante. La philosophie, la couleur, la présence des artistes célèbres provoquent une autre transfiguration dont l'artiste a besoin pour créer un nouveau point de vue qui unifie, homogénise l'espace sans le détruire. Abul Kacem Chebbi, par sa seule représentation cadrée par la céramique supposée être celle de Kallaline octroie à l'espace un caractère patrimonial retrouvé dans son authenticité modernisée. Un autre ensemble voué à la présence de l'artiste, d'origine tunisienne, Claudia Cardinale représentée en petites robes à couleurs rehausse de sa présence une architecture qui a besoin de couleurs vivantes pour dépasser les tristesses et la grisaille de la vie. Toujours dans la même perspective, Houda Ajili invoque dans ses espaces devenus expressifs, la présence photographique du grand leader Nelson Mandela, qu'elle évoque pour que la mémoire de ce grand africain vienne éclaircir nos espaces et nos espoirs comme il a transformé très calmement et dans la paix son propre pays. Lady Gaga est également sollicitée par Houda Ajili, pour effectuer comme elle le fait ailleurs, le buzz dont l'artiste a besoin pour remplir les espaces de ses sabbats de couleur et d'ambiances très fantaisistes et très modernes. L'espace est transfiguré, transformé par la seule présence de l'image des artistes de grande valeur au niveau de la communication et de la médiation. L'implication par Houda Ajili de figures connues, artistes, poètes, chanteurs plaqués sur des éléments du patrimoine, céramique, faïence, espaces intérieur de l'architecture arabo-musulmane, façades, escaliers, a été l'occasion pour elle d'exprimer et de soulever des questions du patrimoine de la Médina et de son environnement d'une manière très sereine et poétique. Il s'agit pour Houda Ajili de lancer un processus de création qui lui a permis à libérer les mains, des contraintes artistiques liées aux styles dominants et aux représentations identificatrices orientalistes ou pseudo-modernistes. La visibilité artistique que l'artiste ainsi libérée des chaînes qui la retenaient prisonnière, correspond à une volonté de s'exprimer librement acquise depuis « la révolution » au profit du nouveau paysage social. La photo, la photomontage artistique suscite de nouvelles possibilités de réflexion et offre à notre société et à notre patrimoine de sublimer ses drames et de permettre la réconciliation et la résurrection à travers l'art de beaucoup de domaines. L'exposition proposée par Houda Ajili est certes déconcertante, étonnante, originale. Il faudrait ne pas s'en offusquer et au contraire, faire en sorte qu'elle devienne la règle.