Le comédien Majd Mastoura vient de publier sa traduction en arabe tunisien du texte de Philippe Dujardin, paru en 2011 et ouvrant des perspectives théoriques et poétiques sur l'invention de la politique. Une traduction d'orfèvre, fruit d'un processus participatif auquel participaient Françoise Coupat, Kmar Bendana et le groupe Street Poetry. L'ouvrage bilingue vient de paraître chez Sud Editions... Sud Editions vient de publier une traduction en arabe du fameux texte de Philippe Dujardin, intitulé "La chose publique ou l'invention de la politique". Cet ouvrage vient de paraître dans une édition bilingue, avec une traduction assurée par Majd Mastoura. De prime abord, il parait intéressant de se pencher sur la manière choisie par un comédien tunisien réputé pour traduire le texte d'un spécialiste français reconnu dans le domaine des sciences politiques. Quelle pourrait être l'interaction entre les deux hommes et comment le texte original aussi bref que puissant a pu trouver son chemin et résonner dans l'âme de son traducteur. Entre manifeste, bréviaire et précis philosophique De fait, Mastoura a su préserver le côté lyrique, visionnaire voire performatif du texte original qu'il restitue dans son ensemble. Lapidaires mais comme prononcées pour un slam résolument politique, les paroles de Dujardin se succèdent en six séquences enchaînées. La supplique est encadrée par deux textes selon lesquels, en prélude, les humains sont des assembleurs et, en épilogue, les humains assembleurs sont des rhapsodes. Entre ces deux pôles aussi théoriques que poétiques, Dujardin explique comment les humains fabriquent de la "chose publique" avec du vide, du haut, du faire comme si et aussi avec de la séparation. Introduit par la metteure en scène Françoise Coupat, le texte de Dujardin trouve toute sa valeur de manifeste voire de bréviaire à l'usage de ceux qui rechercheraient dans la fable un processus pour tous âges. Coupat explique que Dujardin a choisi d'écrire la chose publique, la res publica des anciens, sous la forme d'une fable. Il y décrit les modes d'assemblage notamment politiques sous le prisme d'une triple échelle qui comprend "le temps de l'actualité de nos pratiques, le temps long de l'histoire qui nourrit le présent et le temps hors du temps qui est celui de notre humanisation". Pour sa préfacière, le texte de Phillipe Dujardin porte plusieurs enjeux. Il présente les règles du jeu du "tnir ensemble" et met en lumière les vertus de l'argumentation. Ensuite, Coupat explique comment le texte a été traduit et adapté et comment Mastoura l'a passé vers l'arabe dialectal et cooment l'édition bilingue du livre se voulait l'écho de cette démarche participative qui a impliqué aussi bien Coupat que l'historienne Kmar Bendana et les membres du groupe Street Poetry. Concluant sa préface en soulignant les qualités de "La Chose publique", Coupat note que ce texte à forte puissance orale se prêtait bien à faciliter les rencontres et lancer des ponts tout en constituant un lien entre institutions culturelles et éducatives des deux rives de la Méditerranée. D'ailleurs, la traduction en arabe du titre de la préface de Coupat résume bien la tonalité du texte de Dujardin en choisissant les termes de "texte-passerelle". Comment privilégier le ressenti en traduisant à haute voix Sans nous attarder sur les qualités certaines d'une traduction fluide et très scandée, nous inviterons le lecteur bilingue à suivre les deux textes qui se déroulent en regard l'un de l'autre, de manière juxtaposée. Mastoura traduit en profondeur, c'est à dire en privilégiant le ressenti et en s'adressant aux archétypes du lecteur tunisien. De fait, sa traduction est en soi un original qui parvient à rendre toutes les inflexions du texte-matrice dans notre langue usuelle qui est ici sublimée par les mots soigneusement choisis par le comédien qui semble traduire à haute voix pour rendre l'intelligence communicative du verbe de Dujardin. Un travail d'orfèvre et aussi l'art d'injecter de la passion en se projetant dans une traduction. Sans trahir à aucun moment l'original, ses méandres et sa complexité, Mastoura rend une copie idéale. L'ensemble est introduit par une préface tunisienne de l'universitaire Chokri Mabkhout qui défriche les enjeux, rend compte de la démarche et salue les qualités profondes de l'oeuvre de Dujardin et la méthode de Mastoura. Le tout constitue un ouvrage de 84 pages profondes et jubilatoires, philosophiques et philologiques, entre assemblages et rhapsodie.