Alors que la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader en Afghanistan, les lecteurs afghans s'évadent à travers les livres ou au contraire y cherchent des clefs pour tenter de comprendre le marasme politico-économique dans lequel leur pays est plongé depuis des décennies. La lumière est dure dans les rayons. Les lampes fluorescentes au plafond, les hautes étagères en contreplaqué blanc, les piles de livres qui s'amoncellent par endroits sur le sol donnent des allures d'entrepôt à la librairie Saeed. En tête de gondole, la couverture aux tons pastel de Moi Malala, l'autobiographie de la jeune militante pakistanaise pour l'éducation et Nobel de la paix. Sur la même étagère, Soufi, mon amour, le roman de l'auteur turc Elif Shafak ou encore L'art de la guerre, le traité de stratégie militaire de Sun Tzu écrit au Ve siècle avant J-C. Tous les titres sont traduits en persan. Ce sont les livres étrangers les plus vendus de la librairie Saeed dont les Editions éponymes se sont chargées de les faire traduire et imprimer. Au cœur de Kaboul, la librairie s'étend sur 400 m2 au premier étage d'un bâtiment aux allures de centre commercial. Sur les étagères, 40 000 titres étrangers, 5 000 afghans. Sheikh Ahmad Saeedi, 30 ans, gère l'entreprise familiale lancée par son père, professeur à l'université de Kaboul, il y a dix ans. « La majorité de notre clientèle est composée d'étudiants. Les autres sont des politiciens, des directeurs de services administratifs. La plupart a moins de 35 ans, explique-t-il. Avant qu'il ne soit élu président de la République islamique d'Afghanistan, Ashraf Ghani, alors enseignant à l'université, venait régulièrement acheter des livres ici, des ouvrages sur le développement économique.», précise S. A. Saeedi. Dans la section poésie de la librairie Jawed scrute les tranches des recueils alignés. « Je suis passionné de poésie iranienne, confie l'étudiant en littérature à l'université de Kaboul. Mes auteurs préférés sont Hâfez, le poète persan du XIVe siècle, mais je lis aussi des auteurs plus contemporain comme Léon Tolstoï ou Le poète iranien Malikian. » Jawed achète en moyenne un livre par mois mais avoue télécharger gratuitement la plupart des œuvres qu'il lit. Dans la librairie Saeed, les prix affichés commencent à 50 afghanis ( 60 centimes d'euros, les plus chers sont à 42 000 afghanis soit 505 euros, prix d'une dizaine de volumes constituant L'Encyclopédie universelle de l'islam. Les romans coûtent en moyenne 2 euros quand le salaire moyen dans le pays est de 160 euros par mois. La politique, thème phare des livres à succès Abdul R. achète aussi en moyenne un livre par mois. Ce commandant de police âgé de 28 ans s'efforce de lire chaque soir une heure après son service, entre 22h et 23h. « Je fais le maximum pour respecter ce rythme parce c'est important d'apprendre des choses. » Dans l'ouest de Kaboul, dans un quartier où se trouvent plusieurs universités, il vient d'acheter un ouvrage d'analyse politique écrit par un sociologue iranien spécialiste de l'islam, Ali Shariati. Les ouvrages politiques sont certainement les livres les plus vendus dans le pays. Les Afghans s'intéressent énormément à la politique selon Hamida. A 25 ans, elle travaille avec son beau-frère dans la librairie familiale Wajah fondée il y a dix ans. « Les clients ici sont pour la plupart des étudiants. Et en majorité des hommes. Nous avons 30% de femmes parmi notre clientèle. Les livres qui sont les plus demandés par les clients sont bien loin devant les romans, les ouvrages politiques. », atteste-t-elle. Dans les sphères proches du pouvoir, les discussions tournent autour de La politique afghane : un récit de l'intérieur écrit par Rangin Dadfar Spanta, ancien conseiller en sécurité intérieur d'Hamid Karzai à la tête de l'Afghanistan entre 2004 et 2014. Comprendre les jeux de pouvoir, les mécanismes du système politique afghan pour tenter d'en comprendre les failles, est l'objectif avoué des lecteurs nombreux d'ouvrages d'analyse politique qui se vendent comme des petits pains. La quête de sens et d'énergie dans la littérature Dans la petite librairie aux baies vitrées ouvertes sur le palier du premier étage d'un centre commercial, le best-seller dans la catégorie des livres étrangers est L'Alchimiste du romancier brésilien Paolo Coelho. Hamida précise qu'il s'agit du livre qui est le plus vendu aux Afghans âgés d'une vingtaine d'années. La librairie Awaj en vend une quarantaine chaque mois. La jeunesse afghane semble trouver dans l'histoire du voyage à travers l'Afrique du Nord de Santiago, jeune berger andalou sur les traces d'un trésor enfoui au pied des Pyramides d'Egypte, une source de courage. « Ce livre m'a donné de l'énergie, m'a donné l'envie d'apprendre et de travailler encore plus, de lire beaucoup plus. Ce livre donne de l'espoir. » L'espoir souvent absent dans la jeunesse afghane qui pour sa plus grande part rêve d'ailleurs et n'espère qu'une chose, quitter le pays embourbé dans un conflit qui dure depuis plus de 40 ans. Nombreux sont ceux qui à défaut de pouvoir voyager s'évadent à travers les livres.