Les médecins tunisiens seraient de plus en plus nombreux à quitter le pays pour aller exercer ailleurs. A ce sujet, certains parlent de saignée, d'autres carrément d'exode. C'est que les chiffres récemment avancés par le Conseil de l'Ordre National des Médecins (CNOM) sont vraiment alarmants. Selon son Secrétaire Général, 45% des nouveaux inscrits au CNOM auraient quitté le pays en 2017. La médecine est-elle réellement en train de se vider de ses compétences ? Si les jeunes partent, qui prendra le relais aux séniors ? Le constat est-il si alarmant et prévoit-on le pire pour le futur de la médecine tunisienne ? Pour y voir plus clair, le Temps a rencontré Mme Nebiha Borsali Falfoul, D irectrice Générale de la santé au ministère de la Santé qui confirme les nombreux départs tout en restant positive et surtout en affirmant que ce phénomène a aussi du bon. Est-il vrai que les médecins tunisiens, notamment les plus jeunes, sont de plus en plus nombreux à quitter le pays et à aller exercer leur profession ailleurs ? Pour saisir la réelle ampleur du phénomène, il faut se référer à l'ensemble des chiffres et non pas à un seul. A titre d'exemple, concernant les hospitalo-universitaires qui constituent la plus grande hantise car ils s ont en charge de la partie soin mais aussi de la partie formation des jeunes, leur nombre est passé de1659 à 2135 entre les années 2010 et 2017. L eur nombre est donc en train d'augmenter comme prévu. Ceci étant, et pour être tout à fait objectifs, nous avons des problèmes de manque d'effectif dans certaines spécialités, à savoir l'anesthésie-réanimation, l'imagerie, la gynécologie et l'orthopédie. C es problèmes se posent principalement dans les régions et pas du tout dans les CHU. Quant aux 45% de médecins nouvellement inscrits au CNOM et qui auraient quitté le pays, il faut savoir qu'ils ont, certes, demandé des attestations de bonne conduite, mais ne sont pas tous partis. Car en parallèle des départs, il y a des retours, mais aussi des annulations. Rien que la semaine dernière, j'ai signé sept annulations. Il faut savoir que nous disposons d'un système qui permet aux médecins partis de revenir à tout moment et de retrouver leur place au sein de leur établissement hospitalier. Ceux qui partent, p pourquoi prennent-ils cette décision ? Les raisons sont diverses et diffèrent d'un individu à un autre. Certains partent pour s'assurer un avenir financier confortable. Il faut savoir qu'au Moyen-Orient des contrats très alléchants sont proposés aux médecins. D'autres quittent la Tunisie pour aller compléter leur formation et continuer leurs études. Les destinations les plus privilégiées sont alors le Maroc, l'Allemagne et le Sénégal. D'autres partent également pour diversifier leur expérience et enrichir leurs connaissances. Au ministère, nous encourageons ces départs formateurs qui sont très positifs et ont un réel impact sur tous les plans, scientifique, médical, personnel, psychologique, pécuniaire et sociétal. Ces expériences en dehors du pays sont riches en enseignements. Les médecins qui partent reviennent riches en expérience, en compétences et en tolérance. Pourquoi il ne faut pas craindre ces départs ? Tout simplement parce qu'ils sont bien souvent temporaires. La plupart de ceux qui partent le font seuls, non accompagnés de leurs familles. Le Tunisien, contrairement à d'autres immigrants, part s'installer ailleurs pour une durée bien déterminée puis revient au pays et c'est ce qui nous rassure le plus. Pour s'en assurer, il suffit de consulter les chiffres de la commission des équivalences au sein du ministère de l'Enseignement Supérieur qui montrent qu'il y a bel et bien des retours, certes moins nombreux que les départs, et ce dans plusieurs secteurs et pas seulement dans le rang des médecins. Plus de peur que de mal donc pour le moment. Comment le ministère de la Santé compte-il réduire le nombre de départs ? Même si nous ne sommes pas vraiment alarmés, le ministère garde un œil vigilant sur ces départs. Il y a le système actuel destiné à encourager la pratique des spécialistes hospitaliers dans les régions, à savoir les indemnités entre 500 et 1000 D et les primes de garde de permanence, entre 350 et 600 D selon l'éloignement et la région, en plus de la possibilité d'exercer dans le privé deux après midis par semaine. De plus, nous avons augmenté de nombre de postes pour le concours d'assistanat qui est passé de 170 à 220 en 2017 et celui d'agrégation de 85 à 120. Nous sommes également en train de doter graduellement les services spécialisés dans les régions des équipements nécessaires. En parallèle, le ministère est en train de mener une réflexion à large échelle pour déterminer les raisons réelles qui poussent les médecins à partir. A l'issue de cette réflexion, une stratégie sera mise en place pour combler ces lacunes et faire primer leur intérêt lorsqu'ils exercent leur profession dans le pays. Propos recueillis par