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Salma Moalla: A propos de la migration des médecins tunisiens à l'étranger
Publié dans Leaders le 19 - 02 - 2018

Le diagnostic du système de santé tunisien suscite un intérêt croîssant depuis quelques semaines, illustré par les espaces qui ont été réservés à ce dossier dans les publications et une attention louable de la société civile et des médias.En particulier, la question de la migration des médecins tunisiens (notamment les jeunes) à l'étranger a été évoquée de façon récurrente. Au début du mois de janvier dernier, j'ai été moi-même invitée à m'associer aux débats en exprimant ma position à ce sujet. J'ai rédigé de façon très informelle quelques sentiments émanant de réflexions qui m'ont longtemps préoccupée et j'ai transmis un premier draft appelé à être finalisé en arabe en vue de sa diffusion par Leaders Arabiya. Ce draft fut publié, par erreur, sur le site en Français et retiré quelques heures après, je l'ai peaufiné pour qu'il soit repris dans sa forme actuelle.
Le diagnostic est le socle de toute "démarche Qualité" visant le développement et le progrès. Aussi, la démarche Qualité est une démarche participative,ce qui sous-entend que,derrière chaque avis exprimé avec intention constructive et sincère, il y a toujours un enseignement utile à tirer. C'est ce qui m'a incitée à revenir à mon brouillon et à le finaliser.
Je suis docteur de la Faculté de médecine de Tunis, ayant choisi la radiologie comme spécialité. J'ai pu obtenir d'effectuer la cinquième (dernière) année de mon stage de résidanat dans un centre hospitalier réputé en radiologie diagnostiqueen France. A l'issue du stage, j'ai choisi de prolonger mon séjour au sein de ce centre. Ce choix s'apparente à la tentation à la migration, mais ce n'est pas tout à fait mon cas. Je reviendrai là-dessus.
Commençons par cerner clairement le sujet
Chaque année, le nombre de jeunes médecins qui quittent la Tunisie pour aller en France ou ailleurs, notamment en Allemagne, ne cesse de croître. En fait, cette hémorragie ne concerne plus seulement les jeunes médecins mais aussi les médecins les plus expérimentés.Des chiffres fournis par le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) montrent que plus de 45 % des médecins inscrits à l'ordre en 2017 ont quitté le pays alors que cette proportion était à moins de 7 % en 2013. Plusieurs sont ceux qui étaient en activité depuis des années, qui étaient bien installés dans leur poste, qui ont des familles qui les attachent au pays et qui ont quand même choisi de partir.
Malgré la gravité de la situation, aucune sonnette d'alarme ne semble sur le point d'être enclenchée de façon effective.
La part importante de cette migration n'est elle pas due au mal du système ?
Quitter son pays natal en laissant vie, famille et amis, n'est jamais une décision aisée et pourtant, très nombreux sont les médecins qui ont été amenés à le faire bon gré mal gré. De là, nous devons admettre que, quelles que soient les raisons de chacun, la migration (temporaire ou définitive) est nécessairement motivée. De même qu'il nous faut admettre que les considérations pécuniaires (souvent dénoncées, de façon instinctive, comme étant la motivation principale de l'exode médical) sont plutôt de l'ordre de la compensation partielle et non de l'ordre de l'objectif ; l'argent ne fait pas nécessairement le bonheur ni ne suffit à donner un sens intéressant à la vie.Les vrais facteurs qui poussent à la migration sont à chercher dans les constats que l'on peut faire de l'évolution plutôt critique du système de santé actuel en Tunisie. Les quatre constats alignés ci-après sont, à mon avis, parmi les plus importants :
1) Le manque d'épanouissement scientifique et professionnel
Il s'agit-là de l'une des premières raisons avancées par les médecins, notamment les jeunes et les praticiens du secteur publique. La Tunisie tend, malheureusement, à être de plus en plus en retard dans le domaine de la médecine et cela s'explique par différents faits : insuffisance d'infrastructures et d'équipements, difficultés induites sur l'organisation des prestations, personnel qualifié en dessous des besoins effectifs des centres et services, veille et adaptation de l'évolution technologique hors de portée, faibles encouragements au développent dela recherche et de la coopération internationale, absence d'une planification d'objectifs de santé à long terme, .. . Autant de choses et d'autres qui nous ont fait de nous, depuis quelques années, des figurants sur la scène médicale. Nous ne nous contentons même plus d'être consommateurs de science, nous devenons, par moment, consommateurs-destructeurs. J'entends par là que nous en venons de plus en plus souvent à faire les choses à la sauce locale, sous le poids d'une surcharge grandissante ; ce qui nous fait nous éloigner petit à petit des guidelines mondialement reconnus.
Nous sommes vite mis face à cette réalité chaque fois que l'occasion nous est donnée de nous mettre à jour des dernières pratiques et découvertes médicales et nous mesurons la profondeur du hiatus chaque fois que nous assistons aux congrès internationaux.
2) Le peu d'éléments prédictifs d'améliorations
Ironie du sort, la médecine tunisienne est malade et le pronostic ne saurait être bon si nous continuons à traiter la mauvaise maladie. La situation déplorable dans les hôpitaux n'est pas prête de s'arranger et peu d'éléments prédictifs d'améliorations (pour ne pas dire aucun) nous sont perceptibles ni à court, ni à long termes.Il n'y a pas de diagnostics périodiques approfondis qui permettent le suivi de l'évolution du système et desquels sont dégagés les corrections nécessaires et des projets de développement à objectifs fondés et planifiés. Les grandes décisions, comme les petites, semblent être prises plutôt au gré des événements et il y en a eu depuis la révolution.Sur le terrain, le quotidien opérationnel est de plus en plus largué. Les exemples fusent. Lorsqu'une machine tombe en panne, il faut des mois pour la réparer alors que, dans le privé et pour la même machine et le même fournisseur de services, la réparation se fait en quelques heures seulement. Il n'y a quasiment pas de contrôle qualité et le service d'entretien est primitif. Or, pour plusieurs spécialités, l'équipement est fondamental pour le soin et un équipement mal entretenu se dégrade plus vite.D'un autre côté, les procédures administratives et notamment celles de la comptabilité publique ne sont pas adaptées au mode de fonctionnement des hôpitaux. En effet, pour répondre au moindre besoin d'achat, un passage par l'administration est nécessaire ; s'en suit une longue procédure pour une consultation de prix, voire un appel d'offres, et cela prend un long moment pendant lequel nous nous devons de continuer à travailler (arrêter n'étant pas acceptable) au détriment de la qualité des soins que nous prodiguons.
Faute de moyens et de planification, nous avons toujours un train de retard en termes de suivi et d'adoption des nouvelles technologies.
3) La « maltraitance » des médecins
Notre métier est très difficile. Pour parvenir à l'assumer, il nous coûte de notre vie, de notre temps, de nos familles et de notre santé. Sans pour autant en arriver à demander un traitement de faveur, je pense que le médecin est en droit de demander un peu d'égard et de respect et, fondamentalement, la sérénité de travailler en sécurité. Or, tout ce que nous percevons en réalité est un matraquage médiatique, des réactions sporadiques des autorités de tutelleface aux agressions physiques et verbales subies par des médecins (agressions sans cesse croissantes en nombre et en gravité ces dernières années), aucun soutien juridique dans les affaires portées aux tribunaux alors que les médecins (surtout les jeunes) sont supposés travailler sous le couvert du ministère et de leurs aînés. Une autre forme de « maltraitance » se fait ressentir dans les choses les plus banales de l'exercice : chambre de garde dans un état pitoyable, pas de sanitaire décent, nourriture souvent à la limite du mangeable, gardes d'internes non payées, garde de résidents payés en retard, voire non payées des fois, salaires très largement en dessous de ce qui revient au niveaude la formation intrinsèque et au volume horaire travaillé….
4) La marginalisation de la participation des jeunes médecins à la construction de l'édifice
Mon vécu personnel le long des années du résidanat et aprèsme laisse encline à croire que, dans l'état actuel des choses et avec toute la bonne volonté du monde, nous, jeunes médecins, nous ne serons jamais écoutés, ni pour ce qui concerne le développement du métier et de nos carrières, ni pour ce qui se rapporte aux initiatives de participation à l'animation dans la spécialité. Le système est trop vicié,les repères sont flous, des improvisations sont imposées, il n'y a aucun contrôle et ce n'est plus un combat d'arguments mais un combat de forces. Les responsables dans la haute sphère prennent des décisions unilatérales que les jeunes médecins sont pourtant les seuls à subir, et combien même les jeunes sont (soi disant) mis à contribution dans les réunions, ce n'est qu'apparence ; au final, ils n'ont aucun poids.
Préparer une relève évolutive demande que la formation des jeunes médecins metteceux-ci plutôtsur une orbite d'enthousiasme et d'espérance.
En fait, beaucoup d'éléments sont liés, dont certaines conséquences sont lourdes et, pourtant, peu commentées. En effet, les quatre principaux facteurs que j'ai tenté d'étayer ci-dessus ne concernent pas seulement la migration à l'étranger mais ont aussi un grand impact sur l'exode des médecins des hôpitaux vers le secteur privé, notamment les aînés.La première conséquence directe est que l'hôpital se retrouve en manque d'effectifs. Le ministère réagit en augmentant le nombre de jeunes médecins (résidents) sans attention accordée à la démographie médicale ni au besoin sociétal à moyen et long termes et, ce faisant, il court largement le risque de surcharger le secteur, ce qui est en soi une cause de fuite des médecins qui ne trouvent plus leur place. Double peine, donc, pour tout le monde : D'abord, les patients ne sont plus soignés par des médecins confirmés mais par les résidents (aussi valeureux et compétents que soient les jeunes médecins) ; quand il arrive à ces derniers d'être en grève, il y a quasi paralysie de l'hôpital. Ensuite, les médecins seniors restants ne peuvent plus assurer à la fois le versant médical et le versant universitaire ; ce qui se répercute sur la formation des jeunes (résidents et internes) qui, au final, ne sont plus là pour être formés mais pour faire tourner comme se peut la machine. Arrivés au bout de leur formation, ils sont soit complètement aguerris et possédés par l'idée de quitter au plus vite le système, soit déçus et enfoncés dans la frustration de ne pas se sentir capables de réussir à suivre les évolutions dans le domaine et d'assurer ultérieurement la formation de qui que ce soit.
Je ne peux passer sans évoquer l'initiative ayant consisté à ouvrir, pour le deuxième concours 2017 du résidanat, 120 postes supplémentaires dits avec engagement ; les candidats s'engagent, une fois ayant terminé leur cursus, à travailler 5 ans dans les régions intérieures. Encore un vaste sujet nécessitant de « nouveaux » débats. Mais je veux simplement dire, ici, qu'une telle initiative ne peut être conçue que dans le cadre d'un projet global, qui prend en considération, de façon réaliste, toutes le composantes du problème (Médecine et Vie). Elle serait sinon peine perdue, voire source de complications pour de nouvelles initiatives.
Qu'est ce qui pourrait freiner la migration et encourager la tentation du retour?
Il me semble aujourd'hui nécessaire (et, au-delà de tout, salutaire) que les autorités de tutelle et tous les intervenants du secteur de la santé fassent le diagnostic de l'échec de notre secteur. Nous ne pouvons plus continuer à nous voiler la face et c'est tout le sens de ma modeste contribution. Comme pour tout problème, il faut commencer par le comprendre et l'analyser pour entrevoir les voies possibles pour le résoudre. Pour le cas en question, l'objectivité et la profondeur sont nécessaires. Dans le contexte actuel que vit le pays, il faut surtout lutter pour ne pas tomber dans le piège du populisme. On risque, sinon, de passer à côté.
Il est temps de mettre en place, à tous les niveaux de la gouvernance, une démarche à objectifs/évaluation/correction. Le système le plus parfait, s'il est livré à lui-même, est voué inévitablement à l'échec.
Un plus de considération pour les jeunes médecins, en les aidant à développer leur carrière tout en les intégrant dans la dynamique de la construction de l'édifice mais sans les sacrifier, est un maillon nécessaire de cette nouvelle chaîne, car ce sont ces jeunes médecins d'aujourd'hui qui feront la médecine de demain.
Pour ce qui me concerne, mon intention sincère et profonde est de revenir, et ce serait pour faire du secteur public, que les conditions changent ou pas.A la fin de mon cursus de résidanat, je me suis sentie dans l'incapacité totale - en termes de compétences- d'assurer un poste universitaire (mon objectif de tout temps) et c'est ce sentiment qui m'a poussée avec force à prolonger mon séjour en France ; d'autant plus que j'ai la possibilité de me consacrer, en partie, à la radiologie interventionnelle (très peu représentée dans le secteur publique tunisien). J'ai l'intime conviction que c'est ma meilleure façon derendre à la patrie ce que je dois. Ainsi, je suis en train de travailler en France en portant fièrement les couleurs de mon pays natal, en attendant juste de me constituer une levure scientifique et professionnelle que j'estimerai suffisante pour être en mesure d'entretenir une flemme vivante de mon exercice de la médecine dans mon pays. Mon idéal est d'évoluer au sein d'un centre hospitalier qui mérite son nom. Les considérations pécuniaires seront tout à fait d'un second ordre, derrière l'épanouissement.
J'entends refuser la résignation et continuer à lutter pour l'espoir. Deux idées-forces soutiennent mon engagement : celle de pouvoir me dire qu'au moins j'aurais essayé et celle de croire que, à défaut d'une rescousse à grande échelle, je pourrais au moins créer -avec des collègues - un nouveau microcosme qui pourrait peut-être germer à terme.
Salma Moalla
Médecin
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