A son arrivée en Tunisie après une vingtaine d'année d'exil, le chef du mouvement islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, n'avait aucun complexe à afficher son affinité avec le mouvement international des Frères musulmans. Embrassant le front de Youssef Qaradaoui et invitant Wajdi Ghounim à une série de conférences dans le pays, ce rapprochement avec les Frères musulmans était la carte phare des islamistes tunisiens. Qu'il s'agisse du gang égyptien, qatari ou turc, Ennahdha et son allié de l'époque, Moncef Marzouki, n'avaient absolument aucune gêne à sombrer comme bon leur semblait dans ce réseau fortement contesté en Tunisie. Fervents amateurs du retournement de veste, les Nahdhaouis ont vite fait de se désengager de tout lien avec les Frères musulmans et, surtout, avec l'Union internationale des savants musulmans. Cette affaire remonte au mois de novembre 2017 lorsque l'Union en question a été placée dans une liste d'organisations terroristes, une liste émise par l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, l'Egypte et les Emirats arabes unis. Panique générale à Ennahdha et démenti officiel : nous n'avons rien à voir avec l'Union et Ghannouchi l'a quittée depuis plusieurs années en préférant se consacrer uniquement à la vie politique tunisienne. Ennahdha n'a bien évidemment pas prévu que les Tunisiens allaient faire les vérifications d'eux-mêmes et remonter à plusieurs colloques de l'Union internationale des savants musulmans où Rached Ghannouchi était, souvent, participant. N'étant pas rancuniers de nature, les Tunisiens sont passés outre cette histoire et l'ont presque oubliée avant qu'une nouvelle piqure de rappel, pour le grand malheur des islamistes, ne vienne les secouer de nouveau et ce n'était ni Mohsen Marzouki ni Hamma Hammami qui s'en étaient chargés : c'est Patrice Bergamini, ambassadeur de l'Union européenne en Tunisie, qui s'en est personnellement chargé en qualifiant Ennahdha – lors d'un récent passage télévisé – de Frères musulmans en Tunisie. Une qualification qui a clairement irrité les islamistes dont le dirigeant et le président de leur conseil de la Choura, Abdelkrim Harouni, a réclamé des excuses officielles de la part de l'ambassadeur. Face au silence radio du côté de Patrice Bergamini, le mouvement islamiste n'a plus qu'à prendre son mal en patience. L'affaire remonte au listing de la Tunisie sur la liste des pays à risque en matière de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme par l'Union européenne suite aux conclusions du Groupe d'action financière international (GAFI). Des observateurs, traités d'irrationnels par certains, ont affirmé que cette classification vise, en réalité, le mouvement islamiste tunisien et non pas l'Etat dans son intégralité. Ce qui est certain, c'est qu'Ennahdha a été très dérangé par ce classement et certains de ses députés, à l'instar de Mohamed Ben Salem (connu pour faire partie du clan opposé à Rached Ghannouchi aux côtés d'Abdelatif Mekki), luttent activement contre le limogeage du gouverneur de la Banque centrale, Chedly Ayari. Ayari qui arrive à terme de son mandat en juillet prochain, a été contraint de se présenter, aujourd'hui, à une séance plénière à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour que les élus lui retirent (ou pas) leur confiance.