Alors que les signataires de l'accord de Carthage s'apprêtent à se réunir à nouveau pour débattre des changements à apporter au gouvernement d'union nationale, l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) a repris sa croisade contre le président du gouvernement, Youssef Chahed. Le secrétaire général adjoint et porte-parole de l'UGTT, Sami Tahri, a déclaré que l'organisation s'attache bec et ongle au départ du l'actuel locataire du Palais de la Kasbah. «La question du changement radical du gouvernement n'est plus une obligation. C'est une question de vie ou de mort», a-t-il déclaré dans un entretien publié hier par l'hebdomadaire Al-Charaâ Al Magharibi. «Tous les clignotants sont actuellement au rouge, et le sauvetage ne se fera pas à travers le maintien du statu quo, mais découlera d'un changement radical non seulement du gouvernement, mais aussi des programmes et des objectifs », a-t-il ajouté. Le responsable syndical a également estimé que tout retard dans la mise en place d'un nouveau gouvernement est susceptible d'approfondir la crise et pousser le pays au bord du gouffre, fustigeant «l'attentisme et les blocages au niveau de l'administration». Les propos du porte-parole de la puissante centrale syndicale interviennent alors que le secrétaire général de l'organisation, Noureddine Taboubi, a multiplié les concertations ces derniers jours auprès des dirigeants de partis et d'organisations nationales sur «la situation générale dans le pays et les solutions envisageables pour sortir de la crise politique ». Il a notamment reçu le bâtonnier Ameur Mehrezi, la présidente de l'Union nationale de la femme tunisienne (UNFT), Radhia Jerbi, le secrétaire général du Mouvement du peuple, Zouhaïer Maghzaoui, et le président de l'Union Tunisienne de l'Agriculture et de la Pêche (UTAP), Abdelmajid Ezzar. Les réunions de signataires de l'accord de Carthage ont été suspendues fin mai par le président de la République suite à un désaccord sur le 64ème point du document objet des pourparlers. Ce point relatif au départ du président du gouvernement a été approuvé par l'ensemble des signataires du document qui définit le programme du gouvernement d'union nationale à l'exception du mouvement islamiste Ennahdha, qui plaide pour le maintien de Youssef Chahed au nom de la stabilité politique. A l'issue de la dernière réunion des signataires de l'accord de Carthage, le secrétaire général de l'UGTT avait souligné sans ambages que l'organisation ouvrière reste attachée au départ de l'actuel président du gouvernement, Youssef Chahed. «Est-il logique que le gouvernement a échoué alors que son chef a réussi ? Nous ne visons personne, et l'unique boussole qui guide notre action est l'intérêt de la nation », a-t-il déclaré. Recettes ultra-libérales Selon les observateurs, l'actuel président du gouvernement est devenu l'homme à abattre pour l'UGTT en raison notamment du non-respect d'un certain nombre d'accords conclus entre les deux parties. Ces accords sont relatifs aux majorations des salaires dans le secteur public, à la régularisation de la situation des ouvriers des chantiers et au gel des prix des produits de base. Youssef Chahed ne prête plus par ailleurs une oreille attentive aux recommandations de l'UGTT en ce qui concerne les grandes réformes économiques et sociales et semble vouloir appliquer sans discernement les recettes ultralibérales des bailleurs de fonds internationaux, Fonds monétaire international et Banque mondiale en tête. Depuis sa naissance en 1946, l'UGTT a porté une double casquette politique et syndicale. Elle a d'abord joué un rôle important dans la lutte pour l'indépendance, avant de former une coalition électorale avec le Néo-Destour dans le cadre d'un «Front national» regroupant aussi l'UTICA et l'UNA pour rafler la totalité des sièges à l'Assemblée constituante chargée d'instituer la première République. Plusieurs personnalités issues de l'UGTT sont ainsi devenues ministres. Sous le règne de Bourguiba, le syndicat historique a oscillé entre soumission au parti-Etat et velléités d'indépendance. Après l'accession de Ben Ali au pouvoir, la direction de l'UGTT s'est progressivement inféodée au pouvoir bien que plusieurs unions régionales et syndicats aient refusé de soutenir la candidature du président déchu aux présidentielles de 2004 et 2009. Cette tendance s'est poursuivie jusqu'aux derniers jours avant la fuite de Ben Ali. Au début des manifestations contre le chômage et la marginalisation à Sidi Bouzid, l'organisation avait soutenu timidement le mouvement avant d'appeler, sous la pression de ses cadres radicaux, à des grèves générales très suivies à Sfax le 12 janvier 2011 et à Tunis. Grèves qui ont précipité la chute de Ben Ali, ont redoré le blason terni de la centrale syndicale qui a aussi joué un rôle très important dans la résolution de la crise politique ayant éclaté après l'assassinat des leaders de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013.