Il semble qu'avec le temps qui passe, la mémoire faillit chez les nouvelles générations quant au souvenir de nos ancêtres qui ont marqué des époques bien déterminées dans l'histoire du pays et dans différents domaines (culturel, littéraire, artistique, politique, sociologique, syndical...), ces figures emblématiques ( Mahmoud Bourguiba, Béchir Khraief, Ali Douaji, Othmane Kaak, Mohamed Zmerli, Ahmed Kheireddine...) que l'histoire n'a retenu qu'une part de leur passé créatif et qui sont déjà parties, parfois dans l'anonymat, sans que leurs successeurs aient parlé suffisamment de leurs œuvres respectives pour les transmettre aux futures générations. Aussi devrons-nous, rappeler aux jeunes d'aujourd'hui le passé et l'engagement de ces personnalités qui nous ont légué un héritage inestimable et qui furent à leur époque des pionniers du mouvement littéraire ou culturel en Tunisie, notamment au début du 20è siècle. Parmi ces personnalités éminentes, nous parlons aujourd'hui du regretté Cheikh Mohamed Larbi Kabadi dont les travaux sur la littérature, la langue arabe et la critique, pourraient tomber en désuétude s'ils ne faisaient pas l'objet d'études et d'analyses approfondies de la part des intellectuels et des hommes de lettres d'aujourd'hui ! Né à Tunis le 31 octobre 1880, Cheikh Mohamed Larbi Kabadi a étudié à l'Université de Zeitouna où il obtint un diplômé en 1903. Il a également enseigné à l'Ecole Supérieure de Langue et Littérature Arabe de 1925 à 1950. Il fut réputé pour sa connaissance approfondie de la poésie arabe, classique et moderne et pour sa culture littéraire et encyclopédique. Il s'adonna dès 1909 au journalisme et à la critique littéraire et fut ainsi rédacteur en chef du journal « Al-Nahda » Il fut l'un des fondateurs du club littéraire de l'Association Réformiste de la Khaldounia au début des années 1930. Président de ce club, il donna une série de conférences autour de l'art, de la critique littéraire et de ses méthodes. Il participa à l'organisation de la Conférence sur la langue et la littérature arabes, qui s'est tenue à Tunis en réunissant un grand nombre d'orientalistes français et d'érudits d'Algérie et du Maroc. En dépit de son plaidoyer pour la réforme, il passait pour un grand conservateur de la littérature arabe classique et traditionnelle ; chose qu'il manifesta dans ses œuvres littéraires qui témoignaient d'une vaste culture littéraire arabe, sans jamais refléter une expérience personnelle ou des sensations individuelles, comme on en trouve par exemple chez Abou Kacem Chebbi, n'ayant jamais prêté attention aux méthodes modernes, les accusant d'être une simple inspiration et une imitation de l'étiquette européenne. L'homme était empreint de la culture arabe jusqu'aux moelles, si bien qu'il avait l'habitude de dire à ces contemporains : « je suis un Arabe, mon nom est arabe, et j'aime que ma naissance et ma mort soient datées en arabe » Il fréquentait les cafés littéraires du début du siècle dernier, c'est ainsi qu'on le retrouvait à Tunis au Café «taht darbouz» («sous la rampe»), qui se trouvait devant le ministère de la Défense, à Bab M'nara ou au Café de « La banque nue », qui ont vu de grands noms se côtoyer pour débattre des grandes questions culturelles et des événements littéraires survenus à l'époque. Il fut l'un des poètes classiques le plus acclamé à son époque, étant capable de composer la poésie aussi bien en langue classique qu'en arabe dialectal, devenu ainsi un grand parolier de la chanson tunisienne. On lui attribua le titre du « Poète du Palais » pour le grand nombre de poèmes qu'il débitait au Palais beylical, à l'époque coloniale, pour la gloire du Bey et de la patrie, lors des fêtes. Il fut nommé aussi « Cheikh des littérateurs » de son époque. Il a également eu une vaste activité à la Radio Tunisienne depuis sa naissance où il enregistra plus de 500 causeries radiophoniques. En outre, il adhéra à l'Association « La Rachidia » où il encouragea la musique authentique en écrivant des poèmes pour les membres de cette association, notamment le chanteur et compositeur Khémaïs Tarnène. Il composa les paroles de « Oum Lahssen Ghannet Foug Echajra » (Oum Lahssen chanta sur l'arbre) chantée par Saliha.