Jalal Talabani s'est-il rendu à Damas en Kurde, en homme de main de Washington, en ancien dissident en Syrie, fuyant le baâthisme de Saddam et paradoxalement hébergé par le baâthisme de Hafedh Al Assad ?... Sinon, s'y rend il vraiment en chef d'Etat irakien, première visite du genre depuis trois décennies ? Officiellement, il s'agit de réactiver les relations commerciales et de s'entendre aussi sur des questions de sécurité, « d'intérêt commun aux deux pays ». Trois jours auparavant, depuis Washington, Bush, promettait dans le cadre de sa nouvelle stratégie pour l'Irak, « d'interrompre le flot de soutien (aux « insurgés » irakiens) venu d'Iran et de la Syrie. Talabani serait vraisemblablement mandaté par « son président » Bush, pour faire entendre raison à l'ennemi... Bachar Al Assad, cible chronique des Américains, et tout autant diabolisé – quoique moins redouté - que son père. Dans ses mémoires, Henry Kissinger raconte la difficulté qu'il avait à obtenir un « oui » ou un « non » de Hafedh Al Assad. « Il vous reçoit avec courtoisie, vous écoute, ne prononce pas un seul mot et vous fait comprendre qu'il vous fera parvenir son appréciation des choses... Et cela veut dire que vous n'aurez jamais de réponse ». Kissinger va même jusqu'à déceler des similitudes entre Hafedh Al Assad et Le Duc To... L'actuel président syrien n'est pas très loin. Un régime verrouillé ne révèle pas de stratégie. Et un Etat classé « Etat-voyou » sait aussi nouer ses réseaux et cultiver des « amitiés » - contre nature même, comme c'est avec Téhéran – mais des « amitiés » qui pèsent sur l'échiquier. Il n'est pas dit que la Syrie soit invulnérable. Mais c'est un pays qui a tout fait pour se prémunir contre l'onde de choc irakienne et, maintenant, que Chiites et Kurdes y font la loi, Damas ne veut pas de sérieux ponts avec Bagdad... Et c'est dans ce sens que a priori, cette visite ne s'inscrirait pas vraiment dans une dynamique bilatérale, mais dans une stratégie diplomatique déguisée au service de Washington. Talabani ne serait, au bout du compte, qu'un émissaire de Bush. Subrepticement, c'est ce remodelage impossible du « Grand Moyen Orient » qui refait surface. L'Irak (c'est désormais, un truisme que de l'affirmer), n'est qu'un maillon, le premier et le plus facile, dans toute cette chaîne, ou cet espace qui « agglomérerait » le Maghreb, le Moyen-Orient, la Corne de l'Afrique, le Golfe, l'Asie Centrale, l'Afghanistan et le Pakistan. Mais ce ne sont pas les néo-conservateurs qui ont inventé cette idée. L'Amérique travaillait dessus depuis l'invasion de l'Afghanistan par l'Union Soviétique. En 1979, la « Rapid Deloyment Joint Task Force (autour de la région du Golfe), traçait une espèce de périmètre de préemption. En 1983, le commandement unifié pour la région était baptisé US Central Command, et il s'étend aux pays riverains du Golfe (Péninsule Arabe, Pakistan, Afghanistan, Egypte, Jordanie, Soudan, Ethiopie, Djibouti, Somalie, Kenya)... En quatre ans (en 83 et 87), 1,4 milliard de dollars sont affectés pour la construction d'infrastructures militaires (américaines), dans la région... Et le plus drôle dans tout cela c'est que, sans se rendre compte, la Russie elle-même, se retrouve incluse, en 2002, dans l'aire de l'USEUCOM. Et ce fut dès lors l'achèvement du quadrillage logistique... Mais, là où la touche de Bush est palpable, c'est au niveau des techniques d'accompagnement à la mise en place de ces aires de domination centrifuge du monde : il prétend démocratiser le monde arabe mais réactive la « retribalisation » et « la reclanisation », endémiques aux pays du Golfe et du Proche-Orient... Une région qui produit 35% du pétrole mondial et en détient 68% des réserves, mais avec une très faible intégration de ses économies à la globalisation ! Autant d'alibis et de prétextes que l'administration Bush fait miroiter dans l'imaginaire des peuples arabes pour leur faire croire à un monde meilleur, basé sur l'égalité et la liberté. Seulement, voilà : croit-on un moment que l'Amérique veut la chute du régime syrien ? Non. Car, quand l'administration parle de démocratiser le Proche-Orient, « elle pose une bonne question à laquelle elle apporte une mauvaise réponse ». Elle se moque de la nature des régimes. Elle se moque si les régimes arabes sont dictatoriaux. L'essentiel, c'est les intérêts américains. Et cette marionnette de Talabani est à Damas pour souffler ces « petites vérités » à l'oreille de l' « ami » Bachar.