A sa création le 15 octobre 1938, la radio tunisienne a vite misé sur les arts et la culture, devenant la première vitrine de nos artistes contemporains. D'Ahmed Kheireddine à Ali Riahi, ils sont nombreux à être passés par les ondes pour asseoir leur notoriété naissante. Retour sur le frémissement culturel de toute une génération. Radio Tunis est née le 15 octobre 1938 et avait été alors installée dans des locaux qui se trouvaient à la confluence de la rue des Salines et de la rue d'Athènes, sur l'actuelle place Ali Zouaoui. Dès le début, cette radio a misé aussi bien sur la langue arabe que sur la langue française. De fait, les promoteurs de cette radio voulaient combler un vide évident car la Tunisie d'alors disposait de quatre radios privées et d'aucune radio publique. de plus, la propagande allemande et italienne étaient déversées sur le public tunisien à travers les antennes de radio Bari en Italie et Radio Berlin dont les programmes en langue arabe étaient très écoutés. Une identité nationale et des programmes de proximité Il fallut donc donner à Radio Tunis une identité clairement nationale. Il fallait que cette radio s'adresse au plus grand nombre en langue arabe et fasse, par ricochet, l'animation de la scène musicale et artistique, avec des contributeurs de talent. En ce sens, les premiers speakers et responsables tunisiens de la radio ont très largement contribué à la mise en mouvement de la vie culturelle. Dès 1938, de nombreux intellectuels investissaient le nouveau média et s'épanouissaient à travers ses ondes. Les racines de cet ancrage culturel sont au nombre de deux et s'il fallait saluer leur apport, il conviendrait de la qualifier d'historique. Ce sont surtout la chanson tunisienne et les arts de la scène en général qui allaient bénéficier de ce premier élan. Cette présence est due à la conjonction de plusieurs facteurs. D'abord la présence à la radio tunisienne de Philippe Soupault et Othman Kaak. Le premier est un poète surréaliste - l'un des auteurs du Manifeste du surréalisme - qui a été nommé pour diriger la radio naissante. Très sensibl à la culture, Soupault avait laissé les coudées franches à Othman Kaak pour lui faire une large place dans les programmes de cette radio. Ce dernier en était le secrétaire général pour le programme en langue arabe et son mandat se prolongera de 1938 à 1943. Fin lettré, Kaak fera appel à toutes les forces vives pour donner une consistance tunisienne à cette radio qui poursuivait plusieurs objectifs à la fois. C'est lui qui en ouvrira les portes devant la génération des premiers speakers comme Noureddine Ben Mahmoud, Mahjoub Ben Milad ou Abdelaziz Laroui. C'est aussi lui qui fera appel à Mustapha Bouchoucha pour créer une tradition musicale à Radio Tunis. Etant donné les moyens de l'époque, tout se faisait en direct et il était rare que les talents en hausse disposent d'enregistrements. En ce temps, la musique à la radio passait donc en direct intégral avec l'orchestre et le chanteur dans des studios plutôt exigus. Un autre mode de diffusion était constitué par les retransmissions en direct à partir de salles des fêtes. Là encore, direct intégral et sans filet de sauvetage. L'extraordinaire frémissement moderniste des années trente C'est aussi Kaak qui fera appel à Ahmed Khaireddine, Mahmoud Bourguiba ou encore Larbi Kabadi. Ces derniers développeront le théâtre, la littérature et l'esprit civique sur cette chaîne qui a pu ainsi compter sur les fers de lance du mouvement culturel de l'époque. Tous ces hommes de plume étaient ainsi pleinement engagés dans le succès de l'entreprise et mettront à son service leur savoir-faire et leur enthousiasme. Au fil des ans, le théâtre radiophonique, les joutes poétiques et les concerts d'artistes seront au quotidien de cette radio qui viendra remplacer les phonographes dans les cafés de l'époque. Le programme arabe de Radio Tunis avait alors bénéficié d'un extraordinaire frémissement moderniste matérialisé par l'essor des arts das le pays. La Rachidia venait de voir le jour en 1934, les premiers essais cinématographiques se succédaient et le théâtre connaissait une véritable effervescence. De fait, l'assouplissement des lois sur les associations avait beaucoup contribué à cette embellie. Le Front populaire en France avait permis la création d'associations tunisiennes selon des critères nouveaux et toute une génération allait s'engouffrer dans cette brèche pour instaurer clubs sportifs, mouvements scouts et compagnies théâtrales. C'est le Néo-Destour de Bourguiba qui avait lancé ce mot d'ordre et invité tous les militants qui le pouvaient à créer des associations. 80 années plus tard, la Radio Tunisienne maintient ses fondamentaux Ces différentes synergies allaient donner à la radio tunisienne le terreau qui faciliterait son essor. La radio devint vite le lieu de ralliement de toute une grande famille d'intellectuels éclairés et d'artistes engagés. La voie était tracée et le chemin continue de nos jours. 80 années plus tard, la Radio Tunisienne avec sa chaîne nationale, ses antennes régionales et spécialisées ainsi que sa chaîne internationale, continue à investir sur la culture et la proximité, se distinguant positivement dans un paysage audiovisuel qui est dominé par des radios commerciales. Depuis sa fondation, le service public de la radio a en effet maintenu ses fondamentaux et place toujours le savoir sous toutes ses formes au sommet de ses préoccupations. C'est d'ailleurs dans cet esprit que la grande famille de la radio s'apprête à célébrer son anniversaire avec faste et avec un engagement renouvelé pour la culture. L'esprit des fondateurs, la sérénité d'un Othman Kaak, la faconde d'un Abdelaziz Laroui, le tact d'un Noureddine Ben Mahmoud et l'omniprésence d'un Mustapha Bouchoucha n'en seront que davantage honorés.