A défaut d'action sur le terrain, abandonnée aux autres, par la force des choses, l'ancienne gauche estudiantine tunisienne, celle de mai 1968, du groupe «Perspectives» et «Ouvrier tunisien», constituée, aujourd'hui, pour sa grande majorité, d'intellectuels et d'universitaires septuagénaires et sexagénaires, multiplie, néanmoins, les initiatives pour restituer son histoire et la préserver de l'oubli. Un colloque, le deuxième du genre, sur les mouvements révolutionnaires estudiantins en Tunisie, France et plusieurs autres pays du monde de mai 1968, et de l'année 1968 de façon générale, a été organisé, hier, à la Bibliothèque nationale, de Tunis, à l'initiative de l'association «Perspectives, Ouvrier tunisien», avec l'appui logistique de la Fondation «Rosa Luxembourg» dédiée à la grande révolutionnaire socialiste et communiste d'origine polonaise Rosa Luxembourg. Les participants, très nombreux, étaient pour la plupart des «soixante-huitards», comme aiment s'appeler les activistes révolutionnaires de mai et de l'année 1968, mais il y avait aussi des jeunes, étudiants et autres. Les analyses consacrées à ces mouvements et à leurs conséquences politiques sociales et culturelles, se comptent par milliers, dans le monde. Mais, ce colloque tunisien a été marqué par deux communications de très haut niveau sur ce sujet, l'une faite par la directrice générale de la Fondation «Rosa Luxembourg», la militante allemande de gauche, Ivesa Lubben et l'autre par l'un des plus grands protagonistes du mouvement estudiantin tunisien de mai et de l'année 1968, Aziz Krichène. Fait instructif à relever, Ivesa Lubben a fait sa communication en arabe, dans le style des pays arabes du Moyen Orient, alors que tous les autres orateurs tunisiens ont choisi de parler en français. Mais ceci n'entache pas le nationalisme de ces militants. En effet, les jeunes activistes tunisiens du groupe «Perspectives », de 68, dont des Juifs tunisiens, installés, alors, pour la plupart, dans la capitale française, Paris, publiaient leur journal intitulé «L'ouvrier tunisien» en arabe dialectal tunisien et le distribuaient clandestinement en Tunisie. A vrai dire, ce groupe tunisien et les mouvements révolutionnaires estudiantins de mai et de l'année 1968 dans les divers pays du monde, comme en France, le véritable berceau de la rébellion estudiantine de mai 1968, au sens strict du terme, recrutaient leurs membres parmi les jeunes étudiants notamment et se réclamaient alors de ce qui était appelé «l'extrême gauche» que la vraie Gauche elle-même, à l'époque, comme les communistes soviétiques et ailleurs, rejetait pour leurs thèses qualifiées de radicales. De nos jours, c'est le radicalisme religieux qui l'a remplacé sur la scène et qui attire la jeunesse notamment dans notre région. Cependant, la communication du militant Aziz Krichène, un grand idéologue et économiste de formation, a attiré l'attention par ses conclusions en ce qui concerne les conséquences politiques des mouvements révolutionnaires estudiantins de l'année 1968 à l'échelle mondiale. Citant une phrase du philosophe allemand Hegel, maitre de Karl Marx, selon laquelle «l'histoire avance toujours par son mauvais coté, il a été d'avis que les mouvements révolutionnaires estudiantins de mai et de l'année 1968 dans le monde avaient été une coupure historique et que tout a changé dans le monde, après ces mouvements, mais dans le mauvais côté. Selon lui, le monde était centriste, au sens politique du terme, et il a basculé après 1968 dans la droite. Il était dominé par des idéologies rationalistes et scientifiques inspirées de la philosophie des lumières à l'origine de la révolution bourgeoise française de 1789 et il est devenu dépendant d'idéologies religieuses. Mais, ajouta-t-il, le clou, ou la ruse de l'histoire, comme disait Hegel, est que la globalisation et la mondialisation, encouragées par les pays occidentaux dont les Etats Unis, pour perpétuer leur hégémonie sur les autres pays, ont permis l'émergence de nouvelles grandes puissances économiques, en dehors de la sphère de l'Occident, à l'instar de la Chine, qui ont mis fin ou en passe de mettre fin à l'hégémonie de l'Occident, et des Etats Unis d'Amérique, le diable et l'ennemi numéro un de l'extrême gauche des années 1968. Ainsi, mai 1968 a fini par bouleverser le monde dans le sens de la chute de l'impérialisme, et de l'hégémonie impérialiste, ce à quoi aspirait et militait l'extrême gauche des années 1968.