Parmi les films sénégalais choisis pour le focus sur le cinéma du pays de Senghor, trois sont l'œuvre du réalisateur Djibril Diop Mambéty, à savoir le long métrage «ToukiBouki»,le moyen métrage de fiction «La petite vendeuse de Soleil», et le court documentaire «Parlons grand-mère». Trois styles différents pour montrer les facettes d'un même cinéaste. En Tunisie, certains ont déjà entendu parler de Djibril Diop Mambéty grâce au ciné-club de Tunis portant son nom et fondé, en 1954, par Tahar Chériaa. Les cinéphiles, eux, connaissent la plupart des œuvres de ce cinéaste sénégalais. Même s'il est moins connu que Sembene Ousmane, Djibril Diop Mambéty a été quand même l'un des réalisateurs marquants de sa génération, allant à contre-courant de certains critères cinématographiques, d'autant plus qu'il avait fait des études de théâtre et non de cinéma. Pourtant, même avec aucune formation théorique, ni pratique, mais ayant joué quand dans des films sénégalais et italien, il s'est investi dans le septième art. Djibril Diop Mambéty aimait filmer l'histoire de ceux que l'on appelle «les petites gens» ou «les gens du peuple», des laissés-pour-compte, comme cela est le cas dans son long métrage «Touki Bouki» (ou «Le voyage de l'hyène», touki étant voyage et bouki hyène en wolof) ou encore son court «La petite vendeuse de Soleil», qui seront proposées à projection durant les Journées cinématographiques de Carthage. Les petites gens qu'il côtoyait souvent étant né à Colobane, un des quartiers populaires de Dakar. Complémentarité et continuité Dans «Touki Bouki» (1973), le cinéaste met en avant le rêve commun de deux jeunes Sénégalais, de conditions et de milieux différents, de partir en France. Le jeune homme, Mory, est berger qui était venu à «Ndakarou» (Dakar pour les Sénégalais) pour y vendre son troupeau aux abattoirs. Il rencontre Anta, une étudiante révolutionnaire. Tous deux décident de mettre tous les moyens de leur côté pour se rendre en France. A la fin de leur chevauchée fantastique, chacun choisira un chemin différent. Peut-être un petit clin d'œil de la part de Mambéty pour dire que les petites gens sont attachées à leurs racines que les autres…«Touki Bouki» est un film sillonné de symboles, faisant de ce long métrage une sorte de pamphlet poétique des relations entre le Sénégalais et la France. Déjà le symbole de l'hyène dans le titre. Dans les contes sénégalais, l'hyène est l'animal qui essaye d'être roublard mais qui au final se fait avoir. C'est aussi une bête sauvage qui se nourrit de charognes. Cette symbolique hyène revient en titre également pour le second long métrage de Mambéty, intitulé tout simplement «Hyènes» (1992). On pourrait penser qu'il y a un affrontement entre la tradition et la modernité dans «Touki Bouki», peut-être est-ce tout simplement la complémentarité de l'une et de l'autre, ou la continuité de l'une à l'autre. Un soleil qui éveille La seconde œuvre de Djibril Diop Mambéty qui sera projetée durant les Journées cinématographiques de Carthage est «La petite vendeuse de Soleil», deuxième moyen métrage d'une trilogie qu'avait entamée le cinéaste sans pouvoir la terminer pour cause de décès. Dans le titre, le mot «soleil» ne fait pas référence à l'astre mais au journal quotidien généraliste sénégalais «Le Soleil», créé en 1970. Cependant, l'image est double puisqu'il fait également référence au courage de Sili,une très jeune fille handicapée, qui, malgré la loi des vendeurs de journauxà la criée, vend son journal le sourire aux lèvres et la détermination dans les yeux, car préférant travailler que mendier. Le moyen métrage peut être considéré comme un conte urbain dans lequel Djibril Diop Mambéty donne sa vision de l'Afrique ; une vision sombre mais sans faire dans le misérabilisme, avec un filet d'espoir dans ses enfants, et avec humour. C'est montrer que les petites gens ne sont pas des personnes égoïstes, qu'elles connaissent l'entraide sans rien demander en contrepartie, même si parfois la loi du plus fort est toujours la meilleure, mais que l'union fait la force. C'est aussi mettre l'accent sur l'importance de la famille en Afrique subsaharienne que l'on trouve dans la relation entre Sili et sa grand-mère. De grand-mère, il en est question dans la troisième œuvre de Mambéty qui sera proposée lors des JCC, puisque le titre est tout simplement «Parlons grand-mère». En fait, pour ce court métrage documentaire (34'), le cinéaste sénégalais a suivi et filmé «Yaaba», le long métrage du Burkinabè Idrissa Ouédraogo, l'histoire de la rencontre entre un jeune garçon et une vieille femme vivant à l'écart du village parce que rejetée des villageoises qui la considèrent comme une sorcière. «Un documentaire plein d'anecdotes humoristiques sur les dangers du tournage de films au Burkina Faso».