Le palais Khereddine accueille jusqu'au 10 février une vaste rétrospective consacrée à l'oeuvre de Abdelaziz Gorgi, dix ans après sa disparition. Entre rt et mémoire, l'événement par excellence. Ce sont plus de 350 oeuvres qui retracent l'immense parcours de Abdelaziz Gorgi et qui sont exposées au palais Khereddine. Entre hommages à l'artiste et oeuvres réalisées au fil des décennies, le regard entre par différents biais dans l'univers de Gorgi, l'un des plasticiens essentiels du vingtième siècle en Tunisie. Un langage pluriel qui défie la pesanteur Qualifié de «dompteur de l'espace», Gorgi a déployé son imaginaire sur tous les supports. De la céramique à la tapisserie, il a multiplié les incursions dans toutes les dimensions de l'art pour faire revivre personnages scintillants et scènes de nos vies rêvées. Avec la fraîcheur d'un regard d'enfant, l'humour d'un gavroche des faubourgs de Tunis et la rigueur d'un métronome, Gorgi se caractérise par un langage pluriel qui, souvent, ressemble à un défi pour la pesanteur ou la figuration. Aux frontières de l'abstraction, cet artiste né en 1928 et disparu en 2008 a toujours travaillé en pleine liberté. Ce qui l'intéressait selon ses propres propos résidait dans une dimension surréelle: « C'est l'imagerie traditionnelle des personnages fantastiques. Pourquoi pas un poisson avec une cigarette? C'est ça la liberté! J'ai aussi dans les yeux des images de poissons porte-bonheur étincelants, couverts de paillettes. Ce sont des aller-retour vers l'ambiance que j'ai connue enfant et que j'aime. Le peintre est à son tour sujet et le sujet n'a plus d'importance. Je me mets à la place des personnages. Je danse avec eux. Je m'amuse avec moi-même. Tout devient libre». Gorgi a changé les paradigmes de la peinture tunisienne Cette citation de Gorgi extraite de l'ouvrage de Dorra Bouzid sur l'Ecole de Tunis résume bien le désordre et la joie qui structurent l'univers de Gorgi. Avec pour matrices la liberté et la scène de l'enfance, cet artiste est une confluence essentielle. De fait, ce sont les thématiques qu'il a abordées qui vont peu à peu constituer le référentiel des plasticiens tunisiens. Ce point est fondamental pour qui voudrait se saisir de l'oeuvre de Gorgi dans son déploiement pluriel. Il est la référence aussi bien pour ceux qui s'installeront dans son univers de couleurs et de formes que pour ceux qui le contesteront au nom de lectures différentes du patrimoine. Autant Yahia Turki aura installé un dispositif qui sublime le traditionnel, autant Gorgi aura bouleversé la convention tout en demeurant dans la même matrice. C'est en cela qu'il a été à la fois moderne et révolutionnaire. Avec un langage spontané, un chaos de couleurs et des oeuvres en mouvement, Gorgi a changé les paradigmes de la peinture tunisienne. Cette exposition témoigne d'ailleurs de cette démarche mais prise dans son ensemble et mise en regard avec des approches artistiques contemporaines qui s'emparent de cet univers en fragmentation permanente. En outre, par son exubérance et ses nombreuses circonvolutions dans une oeuvre, cette exposition est une invitation à relire l'héritage qui nous a été légué par Abdelaziz Gorgi. Afin de mieux le situer dans l'aventure artistique tunisienne et aussi pour lui rendre son rôle de pivot dans l'ouverture sur le monde de la peinture tunisienne. Chez Gorgi, il existe des germes de Picasso, des traces de Dubuffet, l'élan de Kandinsky, le foisonnement de Klee et la primauté du dessin et du sujet. Chez Gorgi, comme chez Matisse, le contour est fondamental et l'on pourrait multiplier ces observations et les élargir à Miro ou Cézanne tant Gorgi est universel, véritablement universel. Retrouvailles avec un artiste essentiel Organisée par Mehdi Houas, président du Groupe Talan, cette exposition Gorgi a connu un vernissage d'envergure, avec la présence du président de la république venu honorer la mémoire de l'artiste et souligner sa centralité. Chevilles ouvrières de cette exposition, Aicha Gorgi et Nadia Jelassi sont à saluer pour leurs efforts et l'objectivité engagée qui a présidé au choix des oeuvres exposées. De même, Memia Taktak a réalisé une formidable scénographie, transfigurant l'espace du palais Khereddine et donnant aux oeuvres un écrin pensé dans ses moindres détails. Enfin, les collectionneurs en possession d'oeuvres de Gorgi sont aussi à saluer car leur disponibilité à soutenir l'événement a donné toute son étoffe à cette rétrospective. Maintenant, l'exposition est ouverte au public et, grâce à la Ville de Tunis et au Groupe Talan, elle se poursuivra durant deux mois qui seront une invitation à des retrouvailles avec l'un des plus grands artistes tunisiens du vingtième siècle.