C'est une œuvre audacieuse puisant ses références mythologiques dans l'Enéide de Virgile que les Journées Théâtrales de Carthage (JTC) et le Pôle Ballets et Arts Chorégraphiques ont présenté mercredi 12 décembre au Théâtre de l'Opéra à la Cité de la culture en présence de Mohamed Zinelabidine, Ministre des Affaires culturelles et de plusieurs directeurs de théâtres étrangers dont le prestigieux Théâtre National de Chaillot. Il s'agit de la pièce « Didon et Enée», une chorégraphie de Luca Bruni sur une création musicale de Marco Schiavoni interprétée par les danseurs de la compagnie OPLAS, du Ballet de l'Opéra de Tunis et du Nouveau Ballet de la danse Tunisienne. «Didon et Enée» est aussi un voyage dans l'œuvre originale de Purcell, à travers le prisme de la contemporanéité et du dialogue interculturel. Le résultat est un travail où le corps et la musique fusionnent dans une harmonie presque parfaite pour raconter la passion du guerrier Enée à la reine carthaginoise Didon. Le spectacle se présente comme une lecture dans le palimpseste de la Méditerranée dont les signes et les symboles ont résisté au temps. Dans «Didon et Enée», le chorégraphe comme le musicien ont réussi à déconstruire le mythe pour reconstruire cette passion entre le nord et le sud qui ont fini par se rencontrer en dépit des différences et des vicissitudes. L'œuvre de Purcell a été subtilement revisitée par Marco Schiavoni qui l'a située dans un contexte moderne en partant de sa propre lecture de ce mythe. Ici, les musiques s'entrecroisent comme les corps et les sonorités baroques de Purcell fissent elles aussi par se fondre dans d'autres musiques du monde, offrant des variétés à écouter plusieurs instruments du violoncelle, au oud, en passant par les cymbales, le Bendir ou la Darbouka dans un métissage fantastique prouvant que les spécificités fondent l'universalité des cultures. Devant une salle comble, les danseurs tunisiens et italiens se sont évertués dans l'interprétation de leur rôle respectif offrant à cette production tuniso-italienne réalisée sur le sol tunisien, une dimension d'œuvre majeure. Avec un décor minimaliste reproduisant l'Agora et une scénographie utilisant la lumière comme écriture principale, le chorégraphe Luca Bruni est allé très loin dans sa création chorégraphique en lui conférant une identité ancrée dans le contemporain d'où la beauté et le raffinement absolus de ses tableaux. Mais «Didon et Enée» interpelle les spectateurs par ses métaphores qui renvoient à l'actualité du monde, avec ses confrontations et les impératifs d'une entente entre les peuples pour transcender les incompréhensions, toujours à l'origine des violences. En réinterprétant le livret de l'œuvre originale de Purcell, des jeunes se trouvent à se raconter, tous en cercle, leur propre histoire personnelle, où chacun d'eux représente un des personnages principaux de l'œuvre : Didon, Enée, Belinda, Mercure, les sorcières, les camarades d'Enée. Dans ce contexte, raconter est un acte de libération. «Didon et Enée» fait partie d'un projet artistique et social baptisé «Dialogues». Il a pour objet la transmigration des peuples, l'intégration et l'inclusion sociale, sujet abordé sur la base du dialogue entre les différentes cultures de la Méditerranée. Deux responsables du théâtre Chaillot appellent à un théâtre plus proche de l'humain Une table ronde intitulée «médiation artistique avec le théâtre Chaillot» s'est déroulée au centre Mahmoud Messadi avant de se poursuivre à l'IFT (Institut français de Tunisie). Organisée dans le cadre de la 20ème édition des Journées théâtrales de Carthage (JTC), la table ronde a été une occasion pour échanger et partager des idées et des impressions avec deux invités de renom, Didier Deschamps et Agnès Chamema. Didier Deschamps est en effet directeur danseur, chorégraphe et pédagogue français né en 1954 à Lyon. Après avoir été directeur du Centre chorégraphique national - Ballet de Lorraine à Nancy jusqu'en juillet 2011, il est aujourd'hui directeur du Théâtre national de Chaillot. Agnès Chamema est directrice du développement et des publics et conseillère à la programmation jeune public au sein de théâtre national de Chaillot de Paris. Chaillot, un nom symbolique pour un espace construit en 1937 par les frères Niermans. Le Théâtre national de Chaillot fut longtemps le lieu du théâtre populaire, notamment associé aux grands noms tels que Jean Vilar puis Antoine Vitez. Le théâtre de Chaillot est reconnu théâtre national en 1975. Les deux responsables ont rappelé le rôle que devait jouer les arts et plus particulièrement le théâtre. Et même en France où un mouvement social et populaire comme celui des «gilets jaunes» risque à tout moment d'être récupéré par l'extrême droite, le théâtre peut jouer un rempart de taille. Il faut donc militer pour un théâtre populaire dans le sens noble du terme, c'est un dire pour des publics, où le lettré trouve sa place près de l'analphabète, ...pour un théâtre plus proche de l'humain. «Damous 34», une pièce interprétée par 5 détenus du club de théâtre de la prison Houareb Dans le cadre d'un partenariat entre les Journées Théârales de Carthage (JTC) avec la Direction Générale des Prisons et de la Rééducation, des détenus de cinq prisons sont sortis des murs de prison le temps d'une représentation théâtrale. Un jury décernera un prix à une des pièces lors de la cérémonie de clôture de cette 20ème édition des JTC (8-16 décembre 2018). « Damous 34 « fut interprété par 5 détenus du club de théâtre de la prison Houareb. Cette création est un projet financé par Tfanen tunisie créative et proposé par l'association du théâtre espoir de Chbika. Les événements de cette pièce se déroulent dans une fabrique de charbon dont les activités sont suspendues depuis 1934 à l'époque de la colonisation. Jacques, l'ancien propriétaire vient sur les lieux avec Taher à la recherche d'un trésor. Ils trouvent trois employés abandonnés qui découvrent un tunnel mais choisissent tout de même de rester et de s'accrocher à la vie et à cet endroit. Réflexion autour du théâtre postdramatique Un colloque autour du «comédien et la scène dans le théâtre postdramatique : quête de dépassement ou besoin de métissage» a été organisé le 11 et 12 décembre dans le cadre de la 20ème session des Journées Théâtrales de Carthage (JTC) qui se poursuit jusqu'au 16 décembre 2018. Dans une déclaration à l'agence TAP, le directeur du colloque Mohamed Mediouni a fait savoir que le théâtre postdramatique est devenu une pratique courante dans le monde du quatrième art. Lors de ce colloque les intervenants ont mis l'accent sur le rapport complémentaire entre théâtre dramatique et théâtre postdramatique. Durant les deux jours du colloque, les intervenants ont mis l'accent sur les caractéristiques du théâtre postdramatique où le spectateur assiste à un mélange des genres dans la pièce de théâtre: art plastique, danse ou arts visuels comme l'introduction des vidéos et les nouveaux moyens de communication. La question de la transgression du texte dramatique et le jeu théâtral pour mettre en scène de nouvelles formes de spectacle à l'instar du cirque ou la danse contemporaine a été au menu des discussions. Le directeur du colloque Mohamed Mediouini a par ailleurs tenu à mettre en évidence la qualité des approches et des discussions proposées par les participants, soulignant, à cette occasion que les JTC sont aussi une occasion pour poser les préoccupations concernant l'art théâtral.