Projeté en avant-première le 18 janvier 2019 au « Colisée » en attirant un public très nombreux, « Porto Farina », troisième long-métrage du réalisateur tunisien Ibrahim Letaief est sorti le lendemain dans treize salles à travers la Tunisie. Ce film est une tragi-comédie qui se situe dans un temps indéterminé. Car, à partir du moment où le titre du film est puisé de l'ancien nom d'une ville côtière du nord de la Tunisie, à savoir Ghar El Melh, cela devrait nous plonger automatiquement dans un contexte historique. Mais Ibrahim Letaief, scénariste et réalisateur du film, persiste et signe en racontant une histoire d'aujourd'hui comme ressurgie d'un temps passé. Le film nous prend au dépourvu et c'est peut-être là son secret. Car les musiques de fond sont une adaptation de succès anciens de la belle époque des années vingt, trente et quarante de la chanson tunisienne qui avait l'apport de compositeurs, de chanteuses et de chanteurs tunisiens de différentes confessions. Une époque dénigrée par les puristes. Et soit-dit en passant, la chanson « Manhibbich netzaouej, maninhebbich inâaris », évoquée dans le film, n'est pas celle de Habiba Msika, mais de Chafia Rochdi ! Le film est une immersion immédiate dans l'atmosphère de la Tunisie d'antan sur des lumières et des décors pimpants. Mais il s'agit toujours d'une histoire d'aujourd'hui ! Alors, pourquoi « Porto Farina » ? On a beau suivi les détails de cette histoire, sans pour autant trouver la moindre réponse. Le décalage s'annonçait de lui-même. Et peut-être bien que dans l'esprit du réalisateur, Ghar El Melh demeurera toujours Porto Farina ! Et que c'était mieux hier. Le seul détail apparent de ce village, voire de cette ville est son port de pêche qui s'affiche comme l'un des détails importants de cette fiction. L'autre détail flagrant et qui ne colle pas dans ce film sont ses dialogues. Non pas qu'ils sont savoureux, puisés du dialectal tunisien, voire tunisois donnant souvent plus d'un sens à chaque expression. Mais qu'ils ne représentent pas l'accent et le vocabulaire des habitants de Ghar El Melh. La galerie de personnages sympathiques dans cet opus est savamment triée avec cependant un casting où sont réunis des comédiens et des comédiennes, qui, dans leur majorité, sont très connus des spectateurs au théâtre, sur les grands et petits écran. Nous retrouvons Mohamed Driss dans un rôle qui lui sied à merveille et qu'il sert avec autant de professionnalisme que de talent, celui de Fraj un méchant et vieux tyran. Mohamed Ali Ben Jemâa est métamorphosé pour incarner le rôle d'Aly, un immigré quinquagénaire qui rentre au pays à la demande de Fraj, son père. Mohamed Sayari, quant à lui, est à l'aise dans le rôle du pêcheur. Et les femmes ? Elles incarnent admirablement leur rôle avec une part d'humour froid. Fatma Ben Saïdane, Wajiha Jendoubi, Jamila Chihi,Mounira Zakraoui, Latifa Gafsi, Faouzia Boumiza, Najoua Zouhir… Elles tirent leur épingle du jeu avec talent et bien dirigées par le réalisateur. Cette comédie est grinçante, attachante et… Ne finit pas en beauté. Car il suffit de la regarder.