Habitués à courir toute la journée, beaucoup de gens ont vécu l'angoisse du vide à l'annonce du confinement. Certains souffrent psychologiquement et sont rongés par l'ennui et le stress pendant ce confinement. Dr Leila Letayef, psychiatre nous explique les effets psychologiques du confinement et comment gérer ses émotions ? * LE TEMPS : Quelles sont les conséquences d'un confinement de plusieurs semaines sur la santé mentale d'une population ? Dr Leila Letayef : Plusieurs citoyens sont en effet sommés de rester chez eux toute la journée, plusieurs semaines durant, ne pouvant sortir qu'exceptionnellement. Le confinement peut avoir des conséquences sur notre santé mentale, et c'est tout à fait normal ! Selon une étude française, les conséquences sur le bien-être mental apparaissent dès la deuxième semaine de confinement: tristesse, angoisse, troubles de sommeil, idées noires, parfois même une dépression et un désespoir face à une situation complètement inédite. * Un confinement prolongé peut-il créer un syndrome de stress post-traumatique ? Les spécialistes comparent le processus d'adaptation de notre cerveau à la vie d'intérieur, à celui du deuil. Les étapes du deuil semblent coller à la situation : Tout d'abord un déni. Cela a n'arrive qu'aux autres, nous sommes épargnés du danger, nous ne sommes pas l'Italie… Secundo, la culpabilité. C'est une punition de Dieu, j'aurai dû faire attention, j'aurai dû faire des économies pour une situation pareille… puis un sentiment de colère envers certaines personnes... Ensuite, la négociation : si je reste chez moi et j'applique toutes les mesures de prévention, tout ira bien, je reprends ma vie antérieure. Si la durée est prolongée, après la négociation, une dépression s'installe (tristesse, désespoir). Il s'agit comme le deuil d'un travail psychologique que nous sommes obligés de faire pour nous adapter à une situation non souhaitée. Le deuil est une situation figée et définitive. Le confinement est une situation qui évolue. Elle rend le travail plus complexe. C'est une période transitoire, une incertitude, mais on ne sait pas quand et comment va durer ? * Les personnes souffrant déjà de troubles psychiques sont-elles exposées plus aux effets du confinement ? Les personnes qui souffrent d'un trouble psychiatrique, sont exposées comme tous les autres aux mêmes conséquences et parfois plus vu leur fragilité. Dans les situations de stress, chaque personne décompense sous son propre mode (l'anxieux décompense sous un mode très sévère, un délirant peut avoir un délire dont le thème tourne autour de la pandémie, etc...). Les troubles du sommeil et les crises d'angoisse deviennent plus fréquents et plus intenses. Il est important de ne pas arrêter son traitement, et rester en contact avec son médecin. * Les réseaux sociaux peuvent–ils avoir des effets sur l'état psychologique des citoyens ? Les personnes qui utilisent les réseaux sociaux ont plus de risques d'être en mal-être. La consommation des réseaux sociaux augmente l'angoisse et l'isolement. * Comment se prémunir des risques engendrés par le confinement ? Au-delà de la crise sanitaire, la crise économique représente aussi une source importante d'angoisse et de peur, (peur de perdre son emploi, peur de ne pas arriver à répondre aux besoins de sa famille…). Les sentiments d'incertitude, angoisse, tristesse et flou, sont fréquents et trouvent leurs places dans une situation pareille. Généralement, chaque personne a ses propres stratégies de gestion de stress, des stratégies qu'elle a utilisé avant et qui ont prouvé leur efficacité (parler avec quelqu'un, gérer ses pensées, méditation, relaxation, cuisiner, faire du sport...) Normalement, Les gens n'ont pas besoin d'un psychiatre pour gérer leur stress, sauf dans quelques cas. Cette situation a quelques particularités qui la rendent plus difficile à gérer l''incertitude. Chacun s'interroge : ne sait pas quand, comment, combien de temps faut-il pour s'en sortir ? Tout le monde souffre. Personne n'est épargné. Une personne qui a l'habitude de gérer son stress en parlant avec une amie, trouvera son amie elle-même en détresse, d'où un sentiment d'insécurité totale. Ces facteurs, parmi d'autres, peuvent aggraver le sentiment de détresse et d'incertitude d'où l'échec des outils habituels de gestion de stress. Certains, auront besoin de l'intervention d'un professionnel de santé si le stress cause une souffrance qui altère son fonctionnement normal. * Finalement comment peut-on gérer ses émotions en cette période difficile ? Il faut tout d'abord les identifier : écouter l'émotion et la comprendre, s'agit-il d'une tristesse, une culpabilité, une peur, une colère ? C'est normal de se sentir mal, même plus, c'est une réaction émotionnelle tout à fait adaptée. Il faut accepter l'émotion, mais la prévenir en utilisant les médias avec modération, en faisant une activité sportive régulière, des exercices de relaxation et de méditation... Mais, surtout, éviter de suivre avec obsession parfois toutes les nouveautés sur la pandémie (nouveaux cas, nombre de décès, mutation...). L'enjeu est de maintenir son angoisse à un niveau supportable. Si l'insomnie sévère, la tristesse et les attaques de panique persistent, il est souhaitable de contacter votre médecin de famille.