« Quand on enferme la vérité sous terre, elle s'y amasse, elle prend une force telle d'explosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. On verra bien si l'on ne vient pas de se préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres ». C'est Emile Zola qui parle. En dehors du contexte dans lequel il a formulé cette réflexion, cet avertissement est, aujourd'hui, d'une actualité saisissante. Il nous rattrape cyniquement aussi. Aux origines du « Non-Etat » La vérité ? Elle ne tient pas aux simples courbes du Coronavirus. Sceptiques, timorés, ils sont nombreux, parmi nos concitoyens, à verser dans la suspicion : L'Etat nous dit-il tout ? N'est-il pas lui-même taraudé entre l'impératif tenant au devoir d'informer et à ce que Jean Louis Servan-Schreiber appelait «Le pouvoir d'informer » dans un ouvrage de référence, pouvoir à la fois considérable et toujours menacé, et l'exigence d'éviter de traumatiser encore davantage les gouvernés ? Les suspicions ne se justifient pas. Ce que le gouvernement nous dit sur la pandémienne saurait être mis en équation. Sauf que les vérités accumulées sous terre, depuis une décennie, personne n'ose les affronter. Personne n'ose les déterrer. Elyès Fakhfakh qui est, maintenant en train de concocter ces décrets lois (identifiés au nombre de douze pour le moment) est dans l'urgence absolue. Le champ, par trop restreint, sciemment délimités par nos « élus du peuple » (lequel ?), loin de lui conférer une liberté de manœuvre, l'astreint plutôt à la force coercitive de la camisole de force. Pourquoi l'y a-t-on astreint ? Par crainte, justement, qu'il ne « s'amuse » à rétroagir, à remuer « cette terre » où sont encore « enfermées » les véritables causes ayant concouru à l'installation du non-Etat, à la faveur du clientélisme politique qui sévit depuis dix ans de « révolution ». A la faveur de la force tentaculaire de ces nouveaux « Saigneurs » qui font pire que le régime déchu Fakhfakh, lui- même, a fait partie de l'appareil de la Troïka. C'est un fait. C'est lui qui, en 2013 et sur instigation de Chedly Ayari, nous a placés sous la coupe du FMI. Pouvait-il s'y dérober ? Il nous fallait une bouée de sauvetage, en effet. Parce qu'en à peine deux ans (entre le départ de Ben Ali et 2013) l'Etat a été vandalisé. Tous les équilibres macroéconomiques se sont déglingués. Les entreprises ont été surplombées de recrutements massifs au nom de la sacrosainte « réparation des outrances du régime déchu ». L'un des décrets lois prévoit la répression de la contrebande : Fakhfakh pourra-t-il la circonscrire ? Pourra-t-il risquer d'en remonter la filière jusqu'aux « protecteurs occultes », si bien drapés de leur immunité, si prompts, tels les félins, à délimiter leur territoire et à empêcher l'Etat -si tant est qu'on puisse parler d'Etat- de s'y aventurer ? En fait, ces décrets lois ne représentent pas une opportunité pour revoir les choses en fond et en comble. Ils représentent même des freins. Car « l'œil de Moscou », transposée, au Bardo veille au grain. Les démons ne dorment jamais En fait, les démons ne dorment jamais. Et, alors, toute la question est là : Fakhfakh aura-t-il les moyens, la latitude de remettre à plat le système de gouvernance ayant sévi durant dix ans ? Un leurre, sans doute parce que les forces de rétention sont tenaces. Il ne pourra pas se permettre, non plus, un discours à la Macron, avant-hier, où celui-ci a parlé courageusement d'insuffisances, de modèle de gouvernance obsolète, en en profitant pour avancer l'idée d'un nouveau « projet français », d'une France qui se réinvente. C'est ce qu'il a aussi appelé « la sobriété carbone ». Réinventer l'Etat en somme. Fakhfakh a, certes, parlé d'opportunité qu'offre la pandémie pour se réorganiser, pour un audit tant structurel que mental de la Tunisie toute entière. Sauf qu'il ne pourrait en appeler à une certaine force de résilience. Pas plus que le champ restreint de ses compétences ne puissent lui permettre de revaloriser le sens de l'Etat-providence vers lequel tendent tous les pays de la planète dans cette guerre. Il sera vite rattrapé par la partitocratie dont les corollaires sont la médiocratie et « l'inaptocratie ». On continue, en face de lui, à se vautrer systématiquement dans la cupidité et la corruption morale. Réaffirmer la primauté de la loi, celle du Droit, « la morale de ceux qui n'en ont pas », ce Droit dont Maya Ksouri dit qu'il représente « l'ascèse » au-dessus de l'Etat ? « Ils » ne le laisseront pas faire. Car cela reviendrait à placer l'Etat au-dessus des «instincts grégaires». Le vampirisme, le cannibalisme ont fait leur œuvre. Tels Don Quichotte, L'INLUCC de Chawki Tabib et la Cour des comptes se battent contre les moulins à vents de la corruption. Ils alertent. Ils dénoncent depuis longtemps, bien avant même la pandémie : où est l'Etat ? Il ne nous est même plus donné à le chercher ailleurs que partout, ce socle édificateur de Bourguiba. A défaut de se mettre dans la peau du lion, Fakhfakh pourra- -t-il, alors, se muer dans la peau du renard, comme le dit le proverbe ? Là aussi, on s'arrangera de sorte à ce qu'il ne soit ni lion, ni renard. Tout le reste est littérature. Car, de surcroît, les dysfonctionnements se meuvent au sein même de son gouvernement. En fait, c'est une guerre dans les règles. Seul un Etat fort pourra la mener. Sauf que, pas tous les politiques ne sont prêts de monter au front. Et, il y a simplement à ne pas devoir paraphraser Churchill quand il sermonnait les siens dans la guerre contre Hitler : ils avaient à choisir entre la guerre et le déshonneur, et ils ont eu les deux.