Nous avions récemment comparé Elyès Fakhfakh à ce Sisyphe sommé de trainer une volumineuse pierre au sommet de la montagne et que cette pierre dégringole aussitôt par le caprice cynique des dieux. Nous avions, aussi, fait état de toutes ces forces de rétention freinant l'action de son gouvernement dans la lutte contre le COVID-19, alors que, partout dans le monde, le temps est au retour de l'Etat, parce qu'il y a une demande d'Etat. Chez nous, cependant, toute cette énergie mise par le gouvernement à affronter la bête immonde est comme tranchée dans le vif par un glaive satanique. Comme dans le tragique d'un destin ricanant. Les techniques de harcèlement mues par une épidermique suspicion à l'endroit du gouvernement Fakhfakh prennent, dans la réalité, au-delà des mythes et, au-delà de Sisyphe, une tournure pour le moins indigne. Déchirante même pour un peuple qui ne sait plus par qui il est gouverné réellement. Sinistres sons de cloche à Carthage. Techniques du harcèlement au Bardo. Le gouvernement s'en retrouve pris entre deux feux. Un Président qui désavoue « son » Chef du gouvernement, ne mettant les pieds sur terre que, pour aussitôt, planer et rejoindre les stratosphères de son mysticisme endémique. En face, une Assemblée qui voit le mal partout, parce que le mal est dans sa propre enceinte. Discours inintelligible Dans un discours où il aura allègrement passé du coq à l'âne, entre ses recettes pour rapatrier et redéployer les fonds des « corrompus » de l'ancien régime, tenant à des propositions datant de 2012, et des dénonciations de certains dysfonctionnement dans les mécanismes mis en place par le gouvernement face à ce tsunami, les Tunisiens sont restés sur leur faim. Si l'on refuse à Elyès Fakhfakh un statut de chef de guerre, ce statut doit bien être assumé par quelqu'un. La contorsion d'idée fixe et hautement populiste du : « Le peuple veut », se révèle être un foisonnement de chimères par les temps qui courent. Que veut le peuple ? Il n'en sait plus davantage lui-même. Le seul fait réaliste soulevé par le Chef de l'Etat tient aux fonds ayant alimenté les campagnes présidentielles et législatives. Lorsqu'il parle de 12 milliards de dinars détournés et qui doivent revenir au peuple, il serait plus inspiré de pointer du doigt les mécanismes déglingués, approximatifs et, même, clientélistes mis en place pour résorber ces fonds au profit de l'Etat. En plus, lui, parle peuple et non Etat. Il évite de parler de cette IVD qui s'est installée plus en tribunal de l'inquisition qu'en instance chargée d'ouvrir la voie à une réconciliation, moyennant la restitution au pays des biens et des fonds mal acquis. Il n'y a pas eu de justice transitionnelle et pas davantage d'achèvement de démocratie transitionnelle. A-t-il fait quoi que ce soit, depuis quatre mois, pour induire une véritable politique de justice sociale, pour éviter à « son » Chef du gouvernement de s'emmêler les pinceaux à la faveur de la schizophrénie s'étant emparée de lui entre son fameux discours du 4 mars à Ben Guerdane, où il décentralise tout et son volte-face du 20 mars où il re-centralise tout? Foires aux vanités en somme. Cortège des fatuités, alors que l'heure est grave. Et, pourquoi n'appelle-il pas les choses par leurs noms lorsqu'il parle de barons de la contrebande qu'il assimile à des criminels de guerre ? Voilà, il a demandé à la ministre de la Justice s'ils étaient fichés. Elle a dit « non ». Criminels de guerre ? Loufoquerie. Parce qu'il faudra saisir la Cour pénale internationale ! Car, les textes pour les incriminer existent dans la législation tunisienne. Et, pourquoi ne dit-il pas que ces barons agissent sous protection occulte ? Tout le monde sait qui les protège. Descendre en flammes les honnêtes chefs d'entreprises, les assimiler, tous, sans distinction, au Capital sauvage fut aussi une grosse erreur. La machine occulte du Parlement Erreur qu'a, par ailleurs, commise Elyès Fakhfakh lui-même, un premier temps. Peut-être bien pris de panique face au manque de fonds à la disposition de l'Etat pour faire face à la pandémie, il aura eu des écarts de langage et des fautes d'appréciation. Ghazi Chaouachi s'est arrangé, à son tour, pour enfoncer le clou. Réaction aux propos trop virulents de Samir Majoul, Président de l'UTICA ? Sans doute. Nizar Yaïch y aura, néanmoins, remédié devant l'ARP. Mais le mal est fait. Diabolisation des honnêtes chefs d'entreprises et diabolisation de l'Etat en même temps ! Pour autant, la panique est mauvaise conseillère. Mais, quelque part, il faudra bien trouver des atténuantes à Elyès Fakhfakh. Voilà un Chef de gouvernement qui se retrouve, comme les victimes des sérials killers, au mauvais endroit et au mauvais moment. Mais il assume. Courageusement. Tout autant que le ministère de la Santé publique que les forces sécuritaires et les forces armées. La stratégie ayant consisté à adopter des mesures préventives et à anticiper sur les paliers de la pandémie s'est avérée judicieuse et hautement sécurisante. Mais, cela ne suffit pas. Depuis combien de temps a-t-il demandé l'aumône constitutionnelle au Parlement, ces outils lui permettant de faire face ? Ils tiennent tout simplement à des outils d'ordre constitutionnels, à des décrets lois (il en a demandé 13) lui permettant d'agir les mains relativement libres. Or, aujourd'hui, le Parlement s'est érigé en exécutif parallèle. Un Etat dans l'Etat. Rien ne se fera qui contrarie cette armada du bureau de l'ARP, composée d'autant d'éminences grises au service de celui qui trône du haut du perchoir. Des intérêts colossaux sont en jeu, en effet. Et cela fait que le Parlement a pris tout son temps, à travers la commission de règlement intérieur à laquelle se sont ancrées d'autres commissions non concernées par la question, pour accoucher d'une souris. Voilà, donc, que le délai de deux mois demandé par Elyès Fakhfakh pour l'émission de décrets lois est consenti sur un seul mois, contrevenant, d'ailleurs, à ce que dit l'article 70 lui-même. Voilà, encore, que les domaines d'intervention sont réduits à la portion congrue. Voilà, surtout, que le diktat parlementaire assujettit ces décrets lois au contrôle de l'Instance provisoire de la constitutionalité des projets de loi, démarche dangereusement anticonstitutionnelle elle-même, dès lors que cette instance ne saurait suppléer la Cour constitutionnelle, une Cour dont la naissance est, sciemment, dans l'œuf. Et, alors, que reste-t-il comme outils à Fakhfakh pour gérer le pays en cette période d'exception? Ghazi Chaouachi a même évoqué l'abandon pur et simple de la part du gouvernement du recours à l'article 70. Car, finalement, nous sommes aussi dans la logique des recettes tactiques outrancièrement défensivistes du football : un buteur soumis à un impitoyable marquage à la culotte. Et, qui plus est, Fakhfakh est mis sous l'éteignoir par deux hommes à la fois : Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi…. De surcroît, Elyès Fakhfakh est tout bonnement sommé d'hériter de la haine que se vouent mutuellement les deux hommes. Il est aussi sommé de s'immoler sur l'autel de cette foire aux vanités.