Il y a comme un parfum de polémique dans le monde de la culture ; alors que les autorités, le corps médical, la société civile, dans son ensemble, sont profondément préoccupés par l'impact de la pandémie du COVID-19 sur les citoyens en cette période incertaine, le ministère des Affaires culturelles publie un communiqué en date du 5 avril, portant sur les tournages de séries télévisées en cette phase terrible. « En cette période de confinement, le ministère des Affaires culturelles annonce la décision de permettre aux producteurs de l'audiovisuel et aux chaînes de télévision tunisiennes de reprendre le tournage en prévision du mois de Ramadan…en se conformant aux consignes de rigueur ». Comment définir cette décision irréfléchie, sinon étourdissante, venant de surcroît de hauts responsables ? Les motivations, on imagine, est de soutenir la communauté des artistes et de trouver une solution aux fragiles acteurs du landernau culturel et créatif, on aimerait bien adhérer à cette intention légitime et généreuse. Mais cette générosité se heurte à un mur d'incompréhension qui interpelle le citoyen «ordinaire» et le sélectif «instruit» ; la communauté des arts est-elle plus transcendante, est-elle favorisée au détriment des autres corps de métier ? Les nombreux intervenants dans le tournage, producteurs, scénaristes, réalisateurs, comédiens, figurants, techniciens etc…, même soumis aux consignes de rigueur, seront-ils pendant le filmage (avec ses reprises), protégés contre le virus, sachant qu'ils ne sont pas totalement à l'abri des contaminations ? Les acteurs, en l'occurrence, seront dans l'impossibilité d'éviter les gestes interdits, de respecter la distanciation sociale, à moins de jouer en mode masqué, de se tenir la main à distance, de s'embrasser virtuellement et de se bagarrer par Skype. Les scènes seraient loufoques, à défaut d'être pathétiques. Décision ou proposition ? Le communiqué précise, «cette décision est en application des mesures du chef du gouvernement et émane d'une volonté de satisfaire les attentes des familles tunisiennes sous la pression du confinement, évoquant la place importante des productions dramatiques nationales auprès des téléspectateurs ». L'argument appuyant « les attentes des familles… » est à notre sens fallacieux, populiste ; ne tenant pas compte des circonstances exceptionnelles. Il est vrai que les dramatiques nationales ont la faveur des publics, principalement au mois de Ramadan, mais le public est en mesure de comprendre ce que la situation implique et exige. A défaut, une campagne d'information soutenue pourrait l'aider à comprendre les changements survenus dans le paysage audiovisuel. De plus les responsables des chaînes privées et publiques, jamais à courts d'idées (ils sont créatifs, n'est-ce pas ?) ont certes dans leurs tiroirs des solutions de change : reprises d'anciennes séries, achats de feuilletons étrangers (les turqueries sultanesques n'en manquent pas)… les amateurs de séries ne seraient pas plus malheureux. Quant au public averti, il continuera à rêver de regarder des émissions culturelles, des films de référence, des émissions littéraires locales ou étrangères (doublées), mais c'est une autre histoire. Moins d'une semaine après la parution du communiqué du ministère, la Chambre syndicale nationale des producteurs du cinéma et de l'audiovisuel relevant de l'Utica, indignée, se fend d'un communiqué virulent où elle apporte des explications fermes sur les conséquences de la reprise des tournages. Extraits « …une décision unilatérale », « Le traitement de faveur accordé à certaines chaînes traduit la faiblesse de la présidence du gouvernement aussi bien que du ministère des Affaires culturelles… », « Cette décision est sujette à interprétation, comme étant une forme de favoritisme et de corruption qui se fait aux dépens de l'intérêt général … ». Samedi 11, Mme Chiraz Laatiri, ministre des Affaires culturelles, invitée à Mosaïque ajuste le tir « Il y a incompréhension, ce n'est pas une décision, mais une proposition… à l'étude », ajoute-elle. Pourtant le communiqué indique clairement «décision». Mme Laatiri explique dans le détail « le protocole sanitaire … », et de complimenter avec fortes louanges… le ministre de la Santé pour ses décisions et la somme de travail qu'il abat contre la propagation du virus, réitérant ses vœux d'établir des relations avec les acteurs de son département, fondées sur « le principe de confiance ». M. Nouri Lajmi, président de la HAICA, intervient (dans l'émission), et dit regretter la prise de décision du ministre sans consulter l'Instance, « tous les secteurs économiques, sont à l'arrêt… cette décision est à contre-courant de celles de l'Etat… ». Mme Laatiri, certes, pétrie de bonnes intentions n'a pas jugé utile d'associer ses partenaires (Syndicat, HAICA) qui l'auraient déconseillé d'autoriser les tournages. A- t- elle préféré l'avis des professionnels et autres patrons de chaînes ? Elle affirme n'avoir rencontré qu'une ou deux personnes du monde… Alors, cette ardeur, cette opiniâtreté à défendre cette initiative ? Un coup médiatique ? .