Selon radio Mosaïque FM, le président de la république Kaïs Saïd aurait convié le chef du gouvernement Elyès Fakhfakh et Rached Ghannouchi, président de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) à un « Iftar » (Rupture du jeûne) à Carthage, une activité personnelle du chef de l'Etat qui n'a aucune résonnance formelle quant à la situation actuelle, dominée par le conflit né entre le chef de l'Etat et la mouvance islamiste conduite par le parti Ennahdha, avec son sempiternel président Ghannouchi, et ce depuis les élections de 2019. Jusqu'à la rédaction de ces quelques lignes en fin de matinée, aucun doute ne subsiste sur la réponse du chef du gouvernement, tandis que la réponse de Rached Ghannouchi tarde à s'ébruiter. Le dossier est lourd. Il ne s'agit pas d'une querelle de salons. Il s'agit du bilan de quatre mois au moins que les islamistes ont vécu comme étant les plus ardus depuis leur « arrivée » en Tunisie, qu'ils devaient gouverner au nom d'un nouveau Moyen Orient sous la houlette des Frères musulmans. Déraillement ou plan prémédité ? La mort de l'ancien président Béji Caïd Essebsi a été perçue par la confrérie comme une occasion inespérée pour accélérer la mainmise des islamistes sur les rouages de l'Etat. Le tableau n'était pas très reluisant cependant. Le parti Ennahdha se trouve déchiré de l'intérieur sur des questions majeures, comme la succession de Rached Ghannouchi à la tête du parti, une guerre intestine qui ne dit pas son nom. En plus, et par l'usure, les islamistes sont de moins en moins portés par les électeurs. Leurs scores depuis 2012 présentent une courbe irrévocablement descendante d'une échéance à l'autre. En « bon tacticien », Ghannouchi a décidé d'articuler la résurrection du parti Ennahdha autour du dossier libyen, l'intérieur tunisien étant devenu un désert devant les apôtres des Frères musulmans. En Libye, Ennahdha a opté naturellement pour le soutien, à corps perdu, des Frères musulmans en poste à Tripoli, avec les assistances multiformes de l'axe turco-Qatari, lequel se propose de tenir tête à l'axe égypto-Saoudo-émirati- franco-russe. Reste que l'axe turco-qatari présente des failles qui l'empêchent de discuter d'Etat à Etat avec les pays de la région, en particulier ceux limitrophes de la Libye. Par les temps qui courent et les coups portés chaque semaine au gouvernement de Sarraj à Tripoli, cette guerre d'usure imposée par l'est libyen à un gouvernement qui doit sa longévité au mercenariat, Ghannouchi a trouvé la parade. Jouer un rôle « actif » dans le soutien multiforme à présenter à l'axe turco-qatari en Libye, en usant des facilités qu'offre le territoire tunisien et son infrastructure. Le scénario initial tel qu'endossé par les Frères musulmans renvoyait la récolte à une dizaine d'années maximum, avant que l'Algérie ne soit encerclée par la confrérie, appuyée par la Turquie, le Qatar, le Soudan etc. Au bout de cette décennie, avec les péripéties de la chute des Frères musulmans d'Egypte, de Syrie, du Soudan et du Yémen, les données se sont corsées. Ne restent en selle que les maigres troupes de Sarraj, sous perfusion turque, et Ennahdha en Tunisie que les urnes ne cessent de trainer dans la boue d'une élection à l'autre. C'est dans ce contexte que Ghannouchi a opté pour l'officieux pour faire avancer son schmilblick. Dès la fin des législatives, et à la faveur d'une série de chantages des plus répugnants et immoraux, le « peuple » assiste à l'intronisation de Ghannouchi en tant que président de l'ARP, par les voix de Qalb Tounes, le parti qu'Ennahdha tenait pour une allégorie de la corruption, quelques jours seulement avant les élections. Bien installé au Bardo, il s'est vite fait entourer par les proches de sa famille consanguine, jusqu'à transformer l'administration de l'ARP en une cellule familiale de Montplaisir, transplantée au Bardo. Parallèlement, et afin de couvrir sa vraie mission extraterritoriale, il a laissé aux « durs » d'Ennahdha la latitude de se placer et de placer les leurs dans les différents rouages du nouveau gouvernement et de l'administration tunisienne. Surévaluer ses forces…pour mieux sombrer Une hégémonie que ne justifient aucunement les 52 sièges sur 217 remportés par le parti islamiste à l'issu des législatives. Sans attendre l'évolution née de l'élection du nouveau président de la république, Ghannouchi commença son travail, le vrai. Gardant un mutisme embarrassé sur les questions et les dossiers internes, dont justement la Cour Constitutionnelle, l'homme a vite commencé à « honorer » les engagements qu'il avait pris devant ses protecteurs et pourvoyeurs de fonds, la Turquie et le Qatar. Des contacts informels, en marge de toutes les traditions diplomatiques l'ont conduit à plusieurs « sommets » avec les directions turque et qatarie. Ses contacts avec d'autres milieux moins gradés de ces deux pays restent toujours inconnus pour le grand public, mais circulent tels des secrets d'oreillers dans les chancelleries étrangères en poste à Tunis, sans parler du Conseil National de la Sécurité, dont Ghannouchi est membres es-qualité, qui commence à se poser de sérieuses questions que rendent plus préoccupantes les câbles diplomatiques que le ministère des Affaires étrangères reçoit sans contexte. En somme, Ghannouchi a enfilé le costume du Président de la République tunisienne, pour passer des accords « oraux » avec des pays qui ont des représentations officielles à Tunis. A Tunis, c'est le blackout total. Les « sommets » d'Istanbul entre Erdogan et Ghannouchi ont été communiqués par la Présidence turque, à l'insu de l'homologue tunisienne de celle-ci! Interrogé sur ces graves manquements, Ghannouchi se justifia par «la diplomatie parlementaire» héritière, dans son lexique unipersonnel, de la «diplomatie populaire», au nom de laquelle il sillonnait la région en avion privé. En souterrain, les sujets d'Ennahdha ainsi placés au Bardo, préparent deux textes de lois inédits dans les annales de l'ARP. Un accord de siège avec le Fonds Qatari de Développement, et un accord de coopération tuniso-turque qui effaçait l'accord de libre-échange signé en 2004. Le trait commun à ces deux textes, c'est le biffage pur et simple de la notion même de souveraineté nationale tunisienne. Il s'avère maintenant que contre ces deux textes, la Turquie a gagné une aisance qu'elle n'avait pas en territoire tunisien. Elle n'a pas perdu son temps, en ce sens qu'elle a multiplié les vols impromptus sur les aéroports tunisiens (le confinement contre le Covid-19 aidant) afin d'acheminer les moyens de son entrée en scène militaire en Libye. Le Qatar n'était pas en reste. Il achemine au sud-est tunisien un hôpital de campagne, comme complément à la préparation de quelque chose non loin de là, en territoire libyen. Mission pas très honorable Il parait que la Présidence de la République, en désespoir de cause, a fini par y mettre les moyens forts. Devant l'arrogance de Ghannouchi, qui s'est pris pour le seul garant de la stabilité de nos relations diplomatiques avec les pays de la région, l'expertise tunisienne a vite trouvé la parade. La diplomatie revenant de droit et de Constitution au chef de l'Etat, c'est à ce dernier de «baptiser», au nom de la Tunisie, et non d'un quelconque parti, les cadeaux qui nous pleuvaient d'Ankara et de Doha. C'est ainsi que pour l'avion turc, c'est la Tunisie qui a pris en charge, sur instructions présidentielles, la cargaison des médicaments turcs (pour la dernière fois). Plus aucun vol de ce genre ne sera toléré. Le droit international n'oblige pas un pays à porter atteinte à sa propre stabilité, pour acheminer des secours à un Etat tiers, et en guerre en plus ! Pour le cadeau qatari, il n'y avait rien de plus facile qu'un déplacement du président de la république, pour inaugurer cet acquis de la diplomatie tunisienne, plus à même de récolter en public les fruits de son travail, conformément à la loi internationale. Sur ce, on voit mal Ghannouchi avoir un appétit débordant sur la table de Kaïs Saïd. Au moindre faux pas, c'est toute l'ARP qui volera en éclats. Qalb Tounes n'y sera d'aucun secours, puisqu'il aura disparu spontanément à l'annonce de la dissolution de ce nid de guêpes, niché au Bardo, afin d'enquiquiner Mnihla ! Belle guerre de banlieues en perspective.