Depuis quelques semaines, les médias et les réseaux sociaux foisonnaient d'informations et d'intox sur une vague de nominations « suspectes » qui a commencé par l'entourage direct du chef du gouvernement, pour finir en une liste que Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha et Président de l'ARP, veut imposer à l'Exécutif, concernant les gouverneurs, délégués et autres Omdas. Une fébrilité qui a été largement présentée comme étant un signe de volonté de « Tamkin », ou de mainmise du parti islamiste sur les différents rouages de l'Etat. Une volonté aussi de la part de ce parti de ne rien laisser au hasard, en ce sens que l'occupation de postes nationaux ne garantit plus rien comme force électorale pour les échéances à venir. Pas plus tard que la semaine dernière, le parti Ennahdha a occupé le devant de la scène politique par une série de déclarations enflammées de certains de ses députés, dont justement le chef de son bloc à l'ARP, Noureddine Bhiri. Une série de menaces multiformes servies aux catégories sociales tunisiennes telles que « définies » par le parti islamiste. Le tout mobilisé afin, d'une part, de présenter le parti Ennahdha sous un jour qui n'est plus d'actualité, comme par exemple la représentation digne de cette force irrésistible du peuple à retrouver son identité arabo-musulmane perdue on ne sait où, et d'autre part, la capacité incommensurable d'Ennahdha à s'installer en légitime héritier du défunt parti unique, le RCD. Les menaces d'Ennahdha cette fois-ci se font doubles : La violence sous ses deux formes (les milices de voyous sur les réseaux sociaux), et les menaces de violences dans la rue. L'autre versant de ces menaces et le recours systématique à la Justice, afin de coller aux opposants à cette secte, toutes sortes d'accusations, dans le but de les impressionner, faute de pouvoir les museler en public. Une drôle de pratique de la politique où l'élu entend jeter l'électeur dans les geôles tristement célèbres du « régime ». Un mouvement populaire qui fait peur Cette campagne semble vraisemblablement adressée à un mouvement populaire d'opposition qui commence à se former à la faveur des réseaux sociaux. En sa perspective, un sit-in général avec en main une feuille de route où le changement du régime parlementaire débridé est plus que jamais sur la sellette. Avec une volonté unanime de changer la loi électorale, vers un mode de scrutin plus transparent, parce que moins dépendant de l'argent sale des lobbies et des groupes de pression qui semblent avoir mis l'économie du pays en coupe réglée. L'instauration de la Cour Constitutionnelle y figure en prime place ! Un non-dit, cependant, dans ce tableau peu reluisant, ni Ennahdha et ses satellites (comme El Karama, de l'opposition, riez doucement !), ni du côté des prochains « sit-inneurs » : La position face à la Présidence de la République, et au président Kaïs Saïd en personne. Si le parti Ennahdha et ses satellites évitent d'en parler afin de ne pas s'aliéner Kaïs Saïd en cette période de crise, les mouvements sociaux entendent présenter au Président de la République un appel à l'organisation d'un référendum, en tant que forme suprême consacrant le pouvoir et la souveraineté du peuple, la seule à pouvoir initier les changements recherchés par la contestation. C'est dire l'étendue de la crise à laquelle le pays se prépare officieusement. Les députés d'Ennahdha et de ses satellites, ne cessent de ressasser que ce mouvement de contestation est imputable à la seule formation du PDL de Abir Moussi. Or, sur l'antenne de la radio Mosaïque FM, Abir Moussi a pris distance sans ambages de ce mouvement « populaire » qui se prépare. Elle s'est clairement prononcée pour la Justice et la loi comme seuls et ultimes recours du Parti Destourien Libre. Il s'agira donc de faire face à un mouvement de foules de catégories sociales et culturelles que Ghannouchi, Bhiri, Mekki et les autres ont toujours du mal à identifier avec précision. Ce qui réduit toute la littérature islamiste des derniers jours à de simples effets d'annonce, sans consistance réelle. Grands changements régionaux en perspective Reste un point pour le moins bizarre : Avec quelle force réelle Ennahdha entend faire face à ce futur proche ? N'y a-t-il pas quelque part un effort délibéré de noyer le poisson de la part de ces grands orateurs (GO) de la mouvance islamiste sur les médias ? Cette volonté artificielle, et parfois carrément déplacée, cache mal les luttes qui déchirent le mouvement islamiste depuis son dernier congrès, avec en prime la place de Rached Ghannouchi et ses velléités de mainmise définitive sur le parti, dont il entend devenir le « président à vie ». Le mot a fini par être lâché par Bhiri, qui a chanté : Ghannouchi est combattant (Moudjahid !). Un sujet sur lequel on peut broder à l'infini. Décidément, Bourguiba a l'os dur ! Et puis il y a les sorties de ce même Ghannouchi qui semble obéir plus à des forces étrangères qu'à son propre président de la République. Les deux « accords-cessions » de coopération « unilatérale » respectivement avec la Turquie et le Qatar ont fini par convaincre de la suspicion de bicéphalie à la tête de la diplomatie nationale, laquelle commence à agacer l'entourage régional et international de la Tunisie. Pour la première fois depuis l'indépendance, des informations et des allégations plus ou moins fantaisistes, mais non infondées, sont véhiculées par des médias et des câbles diplomatiques et de renseignements, lesquels renvoient à des activités parallèles de l'Etat tunisien, dans des dossiers aussi complexes que la situation en Libye. Bien que depuis plusieurs mois, nous avions annoncé sur les colonnes de ce même journal l'imminence de changements drastiques à la tête de l'Etat du Qatar, la semaine dernière, ont commencé à être ébruitées des séquences reprises par certaines chaines du Golfe, sur la possibilité d'un changement de leadership à la tête de l'Etat gazier. Un changement qui, d'apparence, est basé sur une rupture pure et simple entre le Qatar et la mouvance des Frères musulmans à laquelle Ghannouchi et Ennahdha sont officiellement affiliés. Il en va de même, de l'incertitude croissante quant à la chute prochaine du président turc Erdogan, avec son parti islamiste, l'AKP, à la faveur de changements majeurs auxquels la région se prépare. Une deuxième phase du « printemps arabe » ? Où une rupture définitive avec celui-ci ? Le ciel se dégagera sur ce chapitre avant la fin du coronavirus. Tout le promet. Un énorme chantier devant la diplomatie tunisienne. Une opportunité pour qu'elle retrouve son professionnalisme du temps de la guerre du Golfe de 1991.