Depuis quelques jours, et à en croire les déclarations des milieux de l'instruction, cinq personnes ont été arrêtées, dans le cadre du dossier de l'incendie d'une locomotive sur un lieu d'extraction et de transport « interne » des phosphates à Medhilla, dans le bassin minier. L'ambiance où ce crime a été perpétué, écarte toute possibilité d'un acte criminel isolé, individuel, involontaire, passionnel etc. Il s'agit plutôt d'une « opération » qui a été bel et bien préméditée, avec un message fort qui transparait presque nettement dans la brume qui enveloppe cette région, depuis l'ouverture du premier tunnel au début du Vingtième siècle. Il s'agit, de prime abord d'un acte de sabotage à multiples facettes. Depuis la crise de 2008, le bassin minier a brillé par des mouvements de foule de nature essentiellement revendicatrices. Des foules qui, même quand elles haussent le ton, ont toujours gardé l'espoir de faire partie un jour du personnel de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG). C'est ainsi que jamais les manifestants, sit-ineurs et autres mécontents n'ont osé assumer que l'on touche à une vis ou à une quelconque pièce du patrimoine d'une entreprise qu'ils ont toujours convoitée et assimilée, à travers l'histoire, à un morceau de leur être intime. Même au plus fort du soulèvement entamé le 5 janvier 2008, ayant culminé à la première semaine d'avril de la même année, aucun matériel appartenant à la CPG n'a été endommagé. Les vicissitudes de cette histoire Cette histoire a connu certains rebondissements qui, jusqu'à nos jours n'ont pas été suffisamment analysés, ou à défaut reconnus à juste titre. Un élément nouveau introduit lors du passage de Ben Ali à Carthage. Par des combines politiques qu'il n'est pas opportun de détailler dans le contexte présent, il ne faut pas perdre de vue cette période, au cours de laquelle la CPG a été au centre de toutes les hantises et les convoitises, économiques et politiques. Ben Ali, après avoir assis le RCD en tant qu'accoudoir du régime dans la région, a vite compris qu'il ne pouvait pas à lui seul, racler dans les caisses de l'entreprise, sise dans la région tunisienne au syndicalisme le plus véhément. Avec moins de bâton et plus de carotte, il a réussi en un tour de main à apprivoiser, afin de l'« associer », la direction de l'UGTT de l'époque à son programme de gestion des phosphates ainsi extraits, créant une ambiance d' « amour et d'eau fraiche » complètement inédite dans l'histoire du mouvement syndical en Tunisie. Une tactique qui a tellement marché que certains « syndicalistes », également parmi les plus fervents du parti au pouvoir, cumulant les deux casquettes, se sont mis à pomper de l'argent du bassin minier, afin de nourrir les caisses du RCD, de l'UGTT, sans oublier de se servir au passage. Au bout de cinq ans, certains RCDistes-syndicalistes de la région se sont transformés en véritables potentats, aux capacités financières et aux privilèges qui font pâlir les plus réputés des mafiosos méditerranéens connus dans les films et séries présentés par le cinéma mondial. L'argent d'une main, et la littérature « nationaliste » de l'autre, ces nouveaux potentats se croyaient capables de mobiliser en leur faveur tous les récalcitrants de la région, bien ceinte de tout côté par un appareil sécuritaire implacable. Cette littérature « nationaliste » consistait à mixer, moyennant quelques formules bien frappées que le parti au pouvoir, basé sur l'amour selon le malheureux Mohamed Mzali en 1983, la phraséologie politique du parti à celle, toujours épique, des milieux syndicaux. Une tranquillité appétissante… L'argent ainsi pompé a bien ouvert l'appétit insatiable de nos potentats régionaux qui avaient compris que le temps était venu de fructifier à l'infini leur butin minier. C'est ainsi que soudainement, et à la faveur d'un accroissement fébrile de la production, ces milieux de la CPG ont créé de toute pièce un nouveau besoin à leur entreprise : Celui du transport des phosphates par les privés, comme solution d'appoint au blocage du réseau ferroviaire, qui n'avait connu aucune extension depuis la colonisation et jusqu'à 2020, ainsi arrivé à ses limites. D'ailleurs en 2008, l'une des revendications premières du mouvement social était multidimensionnelle : Economique d'abord, puisqu'il s'agissait bel et bien d'une série de conflits d'intérêts et d'abus qui ont rendu exsangue l'entreprise phosphatière. Parallèlement, ces mêmes revendications s'articulaient aussi autour de considérations de nature purement écologique, eu égard aux dégâts multiples occasionnés par l'introduction de ces nouveaux mastodontes du transport, dans une région où les réseaux routiers sont encore archaïques. Faute de suivi, ce service de transport privé est devenu d'un appétit vorace et insatiable, non seulement par les potentats de l'ère Ben Ali, mais aussi et surtout par ceux qui ont émergés à la faveur de la « Révolution ». Dans ce commerce maudit et néanmoins facile, nous n'avons plus affaire à cette sacrosainte alliance. Car de nouveaux arrivants débarquent. Non pas à leurs titres personnels, mais sous l'écu des nouveaux partis au pouvoir. A nos lecteurs avisés d'imaginer la toile des alliances tactiques et stratégiques qui se déchirent désormais cette richesse nationale que cette situation est en train de détruire systématiquement. C'est ainsi aussi que la région semble avoir fait ses adieux à des termes largement galvaudés, du genre « patriotisme » ou « nationalisme », au profit de balbutiements techniques, faisant tourner les machines de la politique et de la propagande des nouveaux protagonistes de la 2ème république. Selon certaines « fuites », parmi les personnes arrêtées dans cette affaire de l'incendie de la locomotive « martyre », deux appartiennent officiellement au parti Ennahdha. L'un des deux semble faire partie du bureau local de ce parti à Medhilla. Autre élément sensas, l'accusé principal semble soutenu par pas moins de cinq avocats dont on ne connait rien sur l'adresse de leurs cabinets respectifs (Gafsa ? Tunis ? Ailleurs), au moment même où ces fuites s'accordent à faire appartenir l'accusé à une catégorie sociale plutôt modeste. Cerise de ces fuites, il semble que l'accusé principal réside à Tunis. Comment a-t-il fait pour joindre le lieu du crime à 350 km de sa demeure ? Et par temps de confinement sanitaire ! Quelles que soient les péripéties post-criminelles de cette affaire, une question lancinante ne cessera de hanter la mémoire : Qui paiera le prix de la locomotive incendiée à Medhilla ? Une question simple et vulgaire à la fois, comme la définition philosophique la plus simple du Droit.