Le parti Ennahdha vit ces jours -ci des moments difficiles et se sent attaqué de tous les côtés, en attendant la journée du jeudi 31 juillet qui s'annonce houleuse et qui pourrait se solder par un vote négatif à l'égard du président d'Ennahdha et son Cheikh, Rached Ghannouchi. C'est là où on découvre que ce parti qui a prétendu, 10 ans durant, régenter toute la vie politique du pays, n'est plus ce qu'il était un certain 23 octobre 2011. En plein chaos post-Ben Ali, les nahdhaouis qui étaient absents depuis le 17 décembre 2010 des rues en ébullition à Sidi Bouzid, à Sfax ou à Kasserine et ailleurs à Tunis, se sent vite emparés du « moment révolutionnaire » pour leur compte. Ils ont usé de trois outils qui se sont montrés fort efficaces. Discours de victimisation D'abord les islamistes ont développé un discours de victimisation à toute épreuve pour souder leurs troupes et pour drainer des sympathisants, ensuite ils se sont emparés aussi du discours religieux pour atteindre les consciences de beaucoup de tunisiens croyants et pour stigmatiser leurs adversaires accusés de « laïcisme », une honte aux regards d'une société musulmane conservatrice. En troisième lieu ils ont mis en place un système fort efficace de noyautage pour diviser tout adversaire sérieux qui les menace. Ils ont pu, ainsi, et à travers le système électoral mis en place en 2011, dans la peur du retour de la dictature, investir les pouvoirs centraux du pays soit directement par la majorité qu'ils ont su convaincre, soit à travers des alliés qu'ils ont choisis et influencés comme ils veulent (Ettakattol de Mustapha Ben Jaafar et le CPR de Mohamed Moncef Marzouki). Entre 2011 et 2013, ils ont laissé se développer les groupuscules salafistes afin de se décharger sur eux, le moment venu, comme ils l'ont fait, après les assassinats des martyrs Chokri Belaïd et Haj Mohamed Brahmi ! S'ils ont perdu la première place en 2014 face à Béji Caïd Essebsi, ils ont quand même manœuvré pour être au centre du pouvoir jusqu'à l'éclatement de Nida Tounès et le décès de son leader ! Cependant toute cette habilité politique a commencé à refluer depuis les dernières élections municipales où le parti Ennahdha a commencé à reculer partout dans les urnes, ce qui s'est confirmé largement avec les élections de 2019. Une image mal au point Avec un peu plus d'une cinquantaine de députés à l'assemblée aujourd'hui ils veulent continuer à régenter tout le système. Ils détiennent la présidence de l'Hémicycle et la gère tellement mal qu'aucun travail sérieux n'a été fait depuis un an, même si les députés du PDL ne leur facilitent pas la tâche. Ils sont en baisse constante dans les sondages et l'image de leur leader est tellement mal au point auprès de l'opinion publique qu'il n'est jamais cité parmi les personnalités politiques auxquelles les Tunisiens font confiance. Même la bataille où ils ont su fourrer la gauche dedans, à propos de l'identité et de la culture, est hors d'usage dans une Tunisie qui a démontré son attachement à un modèle de société plutôt laïc, moderniste et ouvert. Il faut ajouter à tous cela deux autres dossiers des plus dangereux pour le parti de Rached Ghannouchi, celui de l'appareil sécuritaire secret et celui des assassinats politiques. Deux dossiers qui refont surface toujours, malgré tout ce que le parti a déployé comme moyens pour les étouffer. Aujourd'hui, Ennahdha est devant un examen historique. Elle risque de perdre la présidence du parlement et ainsi inaugurer sa première grande défaite politique. C'est peut-être le moment enfin de faire les révisions politiques et idéologiques qu'elle a toujours refusé. A.L.B.M