Nous avons consacré notre dernière chronique aux « Destouriens », ces nouveaux damnés de la contre-Révolution et dont on redoute la « machine » électorale, encore qu'ils sont loin de constituer un front uni pour différentes raisons principalement de leadership et de positionnement à l'échelle régionale et nationale. Autant « Nida Tounès » s'affirme de plus en plus et en partie dans la peau d'un « Néo-Destour » comme avec Bourguiba à Kessar-Helal en mars 1934, autant certaines autres formations destouriennes paraissent bien déclassées et soucieuses d'un certain amour propre, que d'une auto-critique sérieuse qui précéderait une véritable rénovation. Dans tous les cas de figure, les destouriens n'ont pas le choix, ils doivent se rassembler dans un front « utile » s'ils veulent contre-balancer Ennahdha aux prochaines élections, sinon le train repartira sans eux ! Qu'en est-il maintenant des « vainqueurs » d'octobre 2011. Je dirai d'abord, et sans hésiter, que celui qui a fait le plus de mal à la « Nahdha » et son image de formation populaire, c'est la « Nahdha » elle-même. Seule la grâce divine est éternelle, car celle des hommes est éphémère et non durable et la Nahdha après une victoire écrasante, dégringole dans les sondages. Il a fallu quelques accumulations de comportements anti-démocratiques et de manœuvres « dilatoires » pour aiguiser chez les Tunisiennes et les Tunisiens un profond sentiment et une attitude de méfiance catégorique vis-à-vis du « discours » et de l'action politique des leaders de la Nahdha toutes tendances confondues. En fait, ce mouvement, malgré sa solidarité apparente n'est pas tout à fait homogène. Son leader actuel le Cheikh Rached Ghannouchi, l'a confirmé à plusieurs reprises : Nous sommes un mouvement populaire qui brasse large et nous avons des tendances et des différenciations. L'essentiel c'est de sauvegarder l'unité du mouvement ... » D'où l'approche du dernier congrès de la formation islamiste qui a évité à tout prix de déballer les contradictions internes entre les Nahdhaouis locaux et ceux de l'émigration (El Hijra) et surtout entre les libéraux modernistes et les conservateurs, défenseurs de l'orthodoxie de l'Islam politique pur et dur. A écouter, Habib Ellouze qui s'est arrogé de quel droit la fonction de porte-parole et protecteur de la « Révolution » sans que personne ne le charge de cette mission on se demande parfois ce qu'il a en commun avec Samir Dilou, tiens, porte-parole officiel du gouvernement, on commençait à l'oublier ou de Néjib Karoui, médecin personnel du Premier ministre, Hamadi Jebali, ou même de Lotfi Zitoun qui a osé, et c'est à son honneur, faire une autocritique qui a constitué l'événement il y a quelques semaines. Il est visible et vérifiable que la Nahdha a ainsi plusieurs « porte-parole », mais, lequel croire et lequel est le plus influent ou le plus crédible dans le mouvement... ? L'avenir proche nous le dira. On parle, certes, d'une « rivalité » en sourdine entre le « clan » du Premier ministre-secrétaire général du Parti islamiste, et celui de Rached Ghannouchi, son président. On suggère même que l'actuel Premier ministre n'a pas les mains libres pour engager des réformes d'envergure au sein du parti ou choisir ses collaborateurs et ministres ou même opérer un remaniement annoncé par « Radio-opinion » mais jamais confirmé par le chef du gouvernement lui-même. L'expérience des partis de masses comme le Néo-Destour ou la Nahdha dépend en grande partie des rapports de force, des cadres et de charisme des dirigeants. Pour le moment, rien ne transparaît à part une grande « hésitation » des uns et des autres à vouloir faire du neuf tout en conservant les valeurs de toujours de l'Islamisme politique radical. Tous les leaders de ce mouvement à quelques exceptions près, dont Habib Ellouze, le maçon-maître, chargé de « cimenter » la Révolution ou plutôt de l'emmurer comme veulent profiter du « prestige » qui accompagne les réformateurs libéraux. Mais tous aussi, s'attachent à cet instinct de conservation de « l'orthodoxie » qui demeure la sève commune et l'idéal commun. D'où ce flux et ce reflux dans les déclarations que les plus critiques des observateurs appellent « double langage » destiné surtout à la consommation « externe » et à rassurer nos partenaires occidentaux. La dernière de ces déclarations émane de Samir Dilou à un journal français de grande diffusion « L'Express », où il critique ouvertement les atermoiements et les hésitations de la Nahdha et où il se présente comme un adepte d'une démocratie libérale aux normes universelles en Tunisie. Il va même jusqu'à reprocher à ses collègues de chercher à « ouvrir des portes ouvertes » comme l'Islamité de l'Etat ou l'incrimination de l'atteinte au « Sacré » dans la future Constitution, alors que le Droit pénal est largement suffisant pour traiter de la question ! On croit rêver et « Youjadou fil nahri... ma la youjadou fil bahri » (On trouve parfois dans le fleuve... ce qu'on ne trouve pas en mer). Eh oui, si la Nahdha avait réellement adopté cette démarche, Béji Caïd Essebsi serait maintenant entrain de couler des jours tranquilles et heureux avec sa famille, en dehors de « Nida Tounès ». Mais, les choses ne sont pas aussi simples. Dilou, malgré sa bonne foi et ses grandes qualités de communicateur et de fin diplomate, ne constitue pas la majorité au sein du mouvement islamiste. La réalité des faits et tous les comportements de ce parti en cette période de transition, plaide pour le contraire. Certes, il se trouve au sein de la « Nahdha » des hommes qui veulent donner de l'espoir aux Tunisiens quant à l'édification d'un système politique réellement démocratique, mais le courant conservateur est encore largement dominant. Et pour faire l'équilibre et pousser la Nahdha à revoir sa stratégie et même sa philosophie de l'organisation des pouvoirs il faut que la société civile maintienne la pression et persévère dans ses exigences démocratiques telles que pratiquées en Occident. Et comme dirait l'adage : « Si « Nida Tounès » n'existait pas... il fallait le créer ! ».