Cette façade de marbre, cette «force tranquille» affichées dans sa dernière interview autorisent certains questionnements. Et si c'était l'expression d'une profonde lassitude, un aveu «simulé» d'impuissance à gouverner comme il prétendait vouloir le faire ? Cette promptitude aussi à systématiquement défendre le comportement de certains parmi ses «lieutenants» épinglés dans certaines suspicions, ne cache-t-elle pas, elle non plus, une espèce de résignation face à des situations de faits accomplis ? Nous parlions, dans nos précédentes éditions, de partitions en solo au sommet de l'Etat. D'aversion également que se vouent mutuellement le Président de la république et le Président de l'ARP. De la situation entre deux feux dans laquelle se trouve Fakhfakh, cela aussi. Quelque part, néanmoins, ce gouvernement trop hétéroclite et où dominent les pesanteurs de la partitocratie, paraît dissolu. Si l'on fait miroiter le leurre d'un « gouvernement de guerre », à l'évidence cette guerre contre la pandémie n'est pas la même pour tous. Si l'on parle aussi de « miracle », de ce que les courbes du Covid+ soient tenues en respect, on ne saurait dire qu'un « gouvernement+ » tienne réellement les rênes du pays. Justement, parce qu'au sein même de ce gouvernement, les discordances sont sournoises. Maârouf se dresse contre Abbou Si l'on fait le compte, le gouvernement Fakhfakh est composé de trente-trois membres entre ministres et secrétaires d'Etat. Il en est même, dans son cabinet, de hauts responsables jouissant du même rang et du même statut et des mêmes avantages. Soit dit, en passant, que le Président de l'ARP ne s'en est pas privé : son chef de cabinet est, en effet éligible aux avantages dévolu au rang de ministre. Chez nous, l'embolie gouvernementale a toujours été de mise. Et, davantage, depuis une décennie de « révolution » où le gouvernement doit refléter l'architecture partisane. On a commencé par le verrouillage exercé par la Troïka ; puis, on s'est accommodé d'une bipolarisation s'étant mue avec l'alliance entre Nida Tounes et Ennahdha ; puis, au final, maintenant, c'est le difficile équilibre entre partisans et technocrates dans le gouvernement Fakhfakh. La partitocratie, on n'y échappe pas. Et, on a bien vu comment, dérogeant aux consignes de son « mentor » Ghannouchi, Habib Jemli a essuyé un camouflet pour avoir mis sur pied un gouvernement de technocrates. Un jour, furibond face à des ministres qui dérogeaient aux principes de la cohésion gouvernementale, Hédi Nouira leur jetait ceci à la figure : « Si vous êtes là, c'est parce que la nature a horreur du vide ». Il visait, en l'occurrence, leur rendement précaire. Elyes Fakhfakh ne peut pas se permettre ce coup de gueule. Il ne peut pas se permettre, non plus, des limogeages en plein tumulte. Il doit composer aussi avec des super-ministres, des ministres trop puissants et des ministres qui sont là parce qu'il faut bien qu'il y ait des ministres. Il se trouve, cependant, que des affrontements au sein de son équipe gouvernementale surviennent, assez souvent selon nos sources, et que ces affrontements déteignent sur le rendement gouvernemental. Il s'agit aussi de vagues délimitations des pouvoirs des uns et des autres. Mohamed Abbou, ministre d'Etat chargé de la Fonction publique, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption a normalement vocation à aller là où il y a dysfonctionnements et corruption dans tous les départements publics et, par ricochet, dans tous les ministères. C'est, donc, un super-ministre d'Etat. On l'a même affublé de ce titre pour, quelque part pour le neutraliser, dès lors qu'il prétendait avoir, pour son parti, les ministères de l'Intérieur, de la Justice et de la Fonction publique. Frayeurs pour Ennahdha. Or, ce qui se serait passé, toujours selon des sources fiables, lors du conseil des ministres, jeudi dernier, donne à penser que Mohamed Abbou est destiné à tourner en rond. Super-ministre d'Etat, oui, mais on le tiendra en laisse. Voilà donc, qu'un autre ministre d'Etat, Anouar Maârouf, plus puissant parce que dans les bonnes grâces du Président d'Ennahdha, se dresse contre lui, en plein conseil, lui déniant tout droit de s'immiscer dans les affaires du ministère du Transport, notoirement gangréné par la corruption. Il lui reproche, en passant, de ne l'avoir pas défendu dans cette affaire de la voiture de service ! Cela fait que Abbou est quelque part placardé : il touchera à tout, sauf à la corruption ! Et voilà le paravent ! Et Fakhfakh dans tout cela ? Il se sait, lui-même, dans l'œil du cyclone nahdhaoui. Et, comme formulé dans une précédente édition, les arcanes occultes de l'ARP prépareraient un scénario à la Habib Essid dans cette motion de censure qui fait date. Au diable le rendement gouvernemental dans cette guerre contre la Covid+ ! Et, qui plus est, la cote de popularité de Fakhfakh a grimpé, tout autant que celle d'Abdellatif El Makki. Dans les deux cas, cela n'est pas pour plaire au Président d'Ennahdha. Cela tient, dans le premier, à la mésentente « cordiale » entre Fakhfakh et Ghannouchi. Dans le deuxième cas, cela tient aux ambitions du ministre de la Santé au sein d'Ennahdha. Il figure, en effet, parmi les prétendants à la succession de Ghannouchi et fait partie de cette aile dite « réformiste » considérant que « le chef historique » a fait son temps. Par ricochet, Abdellatif El Makki et Anouar Maârouf, au-delà des apparats partisans, transposent eux aussi cette course à l'échalote au sein du gouvernement. Fakhfakh, fils spirituel de Mustapha Ben Jaafar, sait ce que représente le tribut à payer en s'arrimant à Ennahdha. Ettakattol ne se relève toujours pas de ce syndrome post-traumatique. Et les dernières élections l'auront même accentué. Il se trouve, cependant, que ce Chef du gouvernement sans parti, doit bien se forger une carapace. Il s'appuie, certes, sur les technocrates. Mais, il lui faut une solide ceinture partisane. Et c'est dans l'axe Attayar/Echaâb qu'il va la rechercher. A un degré moindre, Tahya Tounes et Al Badil, sans oublier quelques composantes de la « Coalition nationale ». Et, alors, il tranche : prenant à contre-courant toutes les tentatives partisanes de mettre au pas son gouvernement, et répondant au bouillonnant Anouar Maârouf est ses objecteurs de conscience, il use de l'article 92 de la constitution pour déléguer une partie de ses pouvoirs à Mohamed Abbou. Au sein du Parlement, on a crié à la supercherie jugeant que la délégation adoptée, selon l'article 72 de la Constitution en faveur du Chef du gouvernement pour émettre des décrets lois, n'induit pas des sous-délégations. Or, à malin et demi : ce que consent l'article 72 est limité dans le temps et dans l'espace. Ce que consent, en revanche, l'article 92 n'a pas de limitations en dehors de ce que délègue Fakhfakh à Abbou, ce qui fait de celui-ci et de facto, un vice-Chef du gouvernement. Et la boucle est bouclée. En fait, Fakhfakh choisit sa propre ceinture politique. Parade, déjà, contre ce qui l'attend après le Covid-19.